Après «Le périple des hommes amoureux» (Casa Express, 2015), Jean Zaganiaris revient avec un nouveau roman «Un cœur marocain» publié aux éditions Marsam. A travers un homme cherchant la rédemption dans l'amour, l'auteur nous parle des difficultés à vivre au quotidien avec une maladie de cœur. L'écriture d'un roman ne se fait pas instantanément, l'idée a muri préalablement. «Le périple des hommes amoureux» fait «ressac» et l'auteur se surprend à écrire «Un cœur marocain ». Car, il s'agit avant tout d'une rencontre qui est une secousse, un choc. C'est en effet un événement en soi. La rencontre s'est faite avec le Maroc et Jean Zaganiaris s'y est laissé prendre pour ensuite en témoigner dans son dernier roman. En lisant le livre, je me demandais si Jean Zaganiaris écrit ou s'écrit, j'en suis arrivée à me résoudre aux deux. L'auteur a pu concilier entre cette paire pour le moins paradoxale, en n'établissant aucun pacte autobiographique car la fiction prend de l'ampleur, même si le vécu prédomine. Ecrire pour dire, ou s'écrire pour se dire. Une belle alliance que Jean Zaganiaris a su camoufler par son aptitude à raconter avec une fluidité qui est pourtant complexe. Les faits s'écoulent facilement avec un ordonnancement chronologique particulier et l'histoire est composite de réalité et de fiction. Cette dernière est en effet un champ propice, laissant proliférer ce cœur marocain, qui ne se fatigue pas à dire et à dénoncer et ce en dépit de la maladie chronique dont il souffre : «l'arythmie». C'est l'histoire d'Adam, un journaliste qui souffre de problèmes cardiaux, c'est un patient récalcitrant, inconscient de la gravité de sa maladie. Il tombe amoureux de sa cardiologue, et finit par se réconcilier avec son cœur, palpitant lentement mais d'amour. En revanche, l'histoire est aussi autre, Jean Zaganiaris loue son cœur marocain, soucieux du bon devenir de son pays, et dénonce aussi ses tares dans une langue apaisante et conciliante, il ouvre un débat dans son livre, et il attend. Il ne s'agit pas comme il le dit lui-même d'une diatribe misérabiliste, mais d'une mise à nu de notre monde qui a perdu toute humanité dans tous les domaines. Il y a certes des soleils qui illuminent, cependant cette lumière ne suffit pas, ne suffit plus. Un pessimisme assumé Un cœur marocain est sain d'amour, de sincérité, d'émotions, d'amitié mais il souffre d'arythmie, il bat lentement et a besoin de beaucoup de soins. C'est une histoire triste qui nous dévoile le monde de la maladie avec ses attentes, ses souffrances et ses espérances. Adam est malade, épuisé, se trouve contraint à transformer le cours de sa vie, à prendre des médicaments avec une dose précise à une heure précise. Il fréquente les hôpitaux et fait la rencontre du corps soignant. Le récit est poignant, cinglant dans son originalité à dire les choses simplement. Adam touche le fond tragique, mais croit tout le temps aux joies qui surviennent même brièvement. Il accepte sa maladie en riant de tout, il ne cherche pas de sens à sa maladie, mais a l'espoir de rencontrer ses amis Abdellah et Mamoun, Sabrina et Mehdi, et à vivre éternellement avec Leila. Quand il sort de sa première opération, il rétorque qu'il n'avait rien senti, qu'il avait fait une sieste, à sa dernière opération il répond qu'il avait passé un moment intense. Quelle force d'esprit, quelle capacité à conjurer contre la douleur, contre le destin tragique par cette maniabilité qu'offre l'humour dans son sens le plus fort : se détacher de la réalité en la présentant de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites, et parfois absurdes. Peu importe le mobile qui a fait naître «Un cœur marocain», l'écriture zaganiarisienne s'apparente à la philosophie schopenhauerienne quant à sa définition de la tragédie. Par ailleurs, Adam fait en sorte de garder un rapport objectif avec sa maladie, il ne se laisse pas abattre et même si le tragique est présent de manière pointue, il est surtout au niveau métaphysique et non psychologique. La maladie ne déteint pas sur Adam, il laisse faire et continue de vivre : «Et d'ailleurs, demande Schopenhauer, d'où est-ce que Dante a tiré les éléments de son Enfer, sinon de ce monde réel lui-même ?».