Deux années après avoir pris les rênes de la RAM et ses marques, Abdelhamid Addouveut rompre avec une croissance trop timorée de «sa» compagnie. Entre l'Open-Sky, le contrat-programme en préparation et une levée de fonds en gestation. «Rupture». Le mot est présent dans les récentes sorties du PDG de Royal Air Maroc et il garde toute son importance. Le patron de la RAM, nommé au début de l'année 2016 pour prendre la succession de Driss Benhima, entend faire franchir un nouveau cap à la compagnie nationale. Déjà, juste après sa nomination, en septembre 2016, il avait annoncé que «la nouvelle stratégie de RAM s'inscrira dans la rupture». À cette occasion,il proposait deux scenarii si bien résumés : « Soit nous allons rester sur une croissance naturelle du marché comme celle que nous avons connue ces dernières années (3% à 4%), soit nous allons avoir de l'ambition et nous irons vers une croissance beaucoup plus forte». Le premier scenario s'inscrivait dans la dynamique précédemment entamée par RAM, celle de concentrer ses efforts sur son cœur de métier et ses marchés traditionnels afin de consolider sa rentabilité financière. Dans le second cas, c'est une nouvelle stratégie à mettre en place, consistant à plus d'agressivité en termes de marchés, de capacités et de relation client. Même si Addouaffirme toujours que la dernière décision revient à l'actionnaire majoritaire, l'Etat, sa volonté de marquer une rupture avec les précédentes époques est ardente et le message est clair : il est temps pour RAM de décoller.«En optant pour ce scénario, nous pouvons atteindre des objectifs plus ambitieux mais les moyens à mettre en place seront importants. Ce sera au gouvernement de trancher», déclarait Abdelhamid Addou. Dans ce plan, Casablanca aura un rôle capital à jouer. Et ceci commence, selon le patron de RAM, par une exclusivité de sa compagnie sur l'aéroport de Casablanca. Décollage «enfin» imminent ! Dans une sortie très récente, Abdelhamid Addoune s'est pas ménagé pour pointer le mal qu'il pensait de l'Open Sky tel qu'il a été mené au Maroc. «Ciblé», «réfléchi», les termes utilisés par le PDG de RAM n'ont pas été choisis au hasard pour exprimer son désarroi. Ils disent ce qui aurait dû être fait pour ne pas dire ce qui n'a pas été fait.En filigrane, ce sont autant de piques adressées à ceux qui, il y a 12 ans, ont, selon lui, mal négocié l'ouverture du ciel marocain à la concurrence.« L'Open Sky a été une excellente nouvelle pour notre tourisme. Il a permis de stimuler les arrivées, de manière très conséquente et au-delà des capacités intrinsèques de RAM.Néanmoins, force est de constater que cet accord a aussi détruit la valeur sur des destinations moins touristiques (Casablanca), en attaquant RAM de manière frontale sur les routes que nous avions mis des décennies à développer», détaillait Addou. Résultats : des pertes sèches pour la compagnie nationale et des lowcost ayant fait de Casablanca et Marrakech leurs bases, au détriment des autres destinations touristiques du pays. Royal Air Maroc en souffre et pourrait tout perdre dans cette configuration. «Soit nous allons avoir de l'ambition et nous doter des moyens qu'il faut pour développer la compagnie et lui donner une impulsion historique, soit nous allons rester dans un mode conservateur comme cela a été le cas jusqu'ici, et rester sur des progressions de 1 à 2% par an. Soit on se développe, soit on disparaît», prévient-il. À moins que l'on ne refasse le chemin, et comme en Tunisie, l'on accorde l'exclusivité à sa compagnie sur la ville blanche. Voilà qui est dit. La RAM se sent mieux lorsqu'elle n'est pas dérangée sur ses positions. À la décharge de Addou, de nombreux pays ont procédé ainsi pour protéger leur compagnie nationale d'une concurrence très rude dans le secteur. L'exclusivité d'un hub n'est pas une invention marocaine ; encore moins, ces «suggestions» ne sont pas des caprices d'enfant unique. En Tunisie, pays auquel fait référence le PDG de RAM, l'accord de l'Open skysigné en fin d'année dernière a exclu Tunis et l'a laissée aux seules mains de Tunisair, et ne concerne que les autres villes touristiques du pays. En France, Angleterre, Qatar, Dubaï, Emirats Arabes Unis, Allemagne, Turquie, Espagne et de par le monde, les mêmes dispositions prévalent et chaque pays protège sa compagnie nationale en lui consacrant un hub.« La stratégie du hub permet aux compagnies de drainer une partie du marché et d'économiser 25 à 35% du tarif du billet», estime-t-on.Les ambitions d'Addou sont donc légitimes, d'autant plus que d'autres compagnies, bien établies par le passé, ont fait faillite suite à une ouverture désordonnée de leur espace domestique. Sabena (Belgique), Swissair (Suisse) et Alitalia (Italie) ont fait l'amère expérience de cet open sky mal négocié. Mais comment négocier ce rétropédalage avec le minimum de casse et sans enrager les voyagistes en première ligne des vols lowcost sur le Maroc et Casablanca ? Car en douze années, de nombreuses compagnies ont eu le temps de poser leur ancre et d'établir des fondations solides sur Casablanca. Les déloger manu militari pour les orienter vers d'autres villes ne sera pas une partie gagnée d'avance. La méthodologie reste à déterminer. Néanmoins, une configuration dans laquelle RAM aura l'exclusivité sur l'aéroport de Casablanca devraitlui permettre de se développer et prendre une autre dimension. Une stratégie ambitieuse «En procédant comme nos voisins (Tunisie), la RAM aurait ainsi pu se développer sur Casa et évoluer vers une masse critique, en termes de nombre d'avions, lui permettant de résister à une concurrence de plus en plus rude», avait expliqué le Président de la RAM.Pour franchir cette étape, la stratégie concoctée par RAM et ses partenaires donne la priorité à un élargissement de sa flotte, aux côtés de stratégies sur le long courrier, la qualité de service, l'expérience client, la formation et les infrastructures. En effet, la compagnie nationale ambitionne tout bonnement de doubler sa flotte dans les trois prochaines années, d'ici 2020 et de la porter de 55 à 120 aéronefs, « idéalement », précise Addou. D'ailleurs, le dirigeant de Royal Air Maroc affirmait que la compagnie a fait l'acquisition de trois Dreamliner additionnels l'année dernière. Et la réception d'une commande de huit autres avions dont quatre Dreamliner et quatre 737 Max n'est prévue qu'entre 2018 et juin 2019, si Boeing respecte ses engagements. Le déploiement d'une telle stratégie requiert des investissements colossaux. Pour exemple, la commande de 4 Dreamliner coûte 1,1 milliard de dollars. Pour soutenir sa stratégie, un nouveau contrat-programme est en préparation. Menées dans le secret du ministère de tutelle, les discussions autour de ce nouveau deal pour RAM devraient faire la part belle aux investissements d'envergure pour renforcer la flotte de RAM. Il devrait être prêt au plus tard en juin 2018. Les indiscrétions annoncent un contrat-programme de 36 milliards de dirhams, «afin de permettre à Royal Air Maroc d'accompagner les fluctuations majeures que connaît le secteur, notamment l'apparition des compagnies aériennes à bas prix», comme l'indiquait le ministère du Tourisme, du transport aérien, de l'artisanat et de l'économie sociale. La compagnie n'exclut aucune opportunité pour se donner les moyens de renforcer ses capacités. Si toutes les possibilités sont envisagées, une levée de fonds pourrait également être déjà dans le pipe.Ces moyens devront permettre à RAM de consolider son assise sur le continent africain, en Afrique subsaharienne où elle s'est développée ces dernières années avec des dizaines de dessertes. D'ailleurs, c'est le Continent qui a permis de maintenir la compagnie nationale marocaine à flot, après l'open sky en 2006. «La compensation a pris du temps, mais une fois que nous avons commencé à générer des flux, ces marchés sont devenus plus intéressants», précisait Abdelhamid Addou dans L'Economiste. En 2017, RAM a ainsi transporté pas moins de 1,3 million de passagers subsahariens. La priorité au marché africain se trouve ainsi renforcée dans la stratégie de RAM, notamment sur les lignes Afrique-Europe. La compagnie marocaine pourra également compter sur le terminal 1 dont la livraison est imminente et qui sera quasi-exclusivement consacré à ses seules activités. Si la stratégie est très ambitieuse, RAM devra se battre pour trouver les moyens de sa politique. Royal Air Maroc semble s'être définitivement mise en bout de piste, pour un nouveau décollage.