Créée il y a 17 ans, Valdeme se veut la seule entité marocaine opérant dans le traitement des métaux précieux à répondre aux normes internationales. Greenwashing oblige, le busisness est censé être lucratif. Et pourtant… Vous vous souvenez certainement de la grande campagne de communication lancée par Inwi notamment en 2014, et qui a accompagné une vaste opération de recyclage de vieux téléphones et de batteries, et ce, dans le cadre de la stratégie de responsabilité sociale et environnementale de l'opérateur. Ou peut-être vous rappelez-vous encore de la campagne de collecte des piles usagées qu'avait lancée Procter & Gamble via sa marque de piles Duracell, au Maroc, et qui a été abandonnée aussi rapidement qu'elle a été lancée… Des exemples isolés de ce genre ne manquent pas, toutefois, aucun suivi ne leur est accordé, puisque beaucoup de ces initiatives restent au stade du lancement, et n'aboutissent pas forcément. Mais une entreprise fait aujourd'hui exception dans ce marché spécifique, et son directeur général aura flairé l'affaire il y a près de 17 ans. Il s'agit de Valdeme, une entité de droit marocain qui se veut aujourd'hui être la seule entité nationale à répondre aux normes et aux standards internationaux, notamment en termes de sécurité et d'équipement. Elle est spécialisée dans la valorisation des métaux issus des déchets électroniques, appelés par les professionnels du secteur les DEEE ou D3E. «Il s'agit là d'un véritable secteur stratégique qui requiert une vraie politique, puisque le recyclage, notamment des métaux, constitue un substitut et une alternative aux matières premières, et donc leur préservation pour les pays. En France par exemple, la filière du recyclage enregistre une croissance de 10% chaque année depuis 15 ans, en termes de chiffre d'affaires mais aussi en termes d'effectifs employés», lance de prime abord, Philippe Baudet, DG de Valdeme. Ce dernier poursuit que l'intérêt écologique de manière général au Maroc est ponctuel, et qu'il se manifeste une fois tous les 10 ans, le plus souvent en marge d'une directive ou d'un discours royal, un peu à l'instar de l'engouement qu'il y a eu après la signature de la Charte Nationale de l'Environnement et du Développement Durable. D'ailleurs, ce retard qu'accuse le secteur, les professionnels l'imputent pour l'essentiel à un manque de sensibilisation quant à la chose environnementale, mais aussi à un retard au niveau législatif. Pourtant, le secteur est porteur et peut même se révéler être un business très lucratif, pour peu qu'on s'en donne les moyens. Un process bien huilé Valdeme n'est pas la toute première expérience de Philippe Baudet dans le domaine. Ce dernier a en effet créé, il y a près de 30 ans, Sovamep, basée à Toulouse, et maison mère de Valdeme, et qui est aujourd'hui leader français du traitement des métaux précieux. «Valdeme a vu le jour suite à un besoin exprimé par STMicroelectronics qui cherchait à l'époque un partenaire au Maroc, en vue du recyclage, selon les normes en vigueur à l'international, de certains éléments produits par leurs unités situées à Casablanca», indique Baudet. Il soulignera que les entreprises qui se soucient du traitement de leurs déchets sont le plus souvent des filiales de firmes internationales. Un constat qui se confirme en jetant un coup d'œil sur la liste des partenaires de Valdeme. Celle-ci a aujourd'hui une centaine de fournisseurs réguliers, comme IBM, Philips, LG, STMicroelectronics ou encore les firmes de l'industrie aéronautique… Concrètement, Valdeme collecte et/ou achète de façon mensuelle, auprès de ses fournisseurs, les éléments à trier en vue de leur prétraitement. Ces déchets sont ensuite démontés et puis séparés par famille de matériaux. De plus, pour les déchets provenant de l'industrie aéronautique, le traitement est particulier puisqu'il faut d'abord séparer l'huile -contenue dans ces déchets- des autres matériaux, avant de pouvoir les démonter. L'huile est à son tour traitée par une structure spécialisée. Il faut noter qu'il y a trois types de DEEE : le matériel informatique, comme les unités centrales d'ordinateur ou les GSM qui, une fois démontées, offrent une valeur plus importante ; le gros électroménager, qui n'a aucune valeur à l'achat et que Valdeme récupère gratuitement ; et finalement les DEEE qui regroupent les écrans à tube cathodique et le petit électroménager qui, eux, n'ont aucune valeur à la revente. Dans ce cas, Valdeme est rémunéré pour les démonter. Les matériaux ainsi revalorisés par la trentaine d'employés de Valdeme sont directement recyclables, et constituent une matière première pour d'autres opérateurs spécialisés dans le recyclage. En effet, ces déchets prétraités sont ensuite revendus et acheminés vers des centres de traitement complet de recyclage à l'international ou vers des fonderies au Maroc. En ce sens, Baudet précisera qu'il ne réalise que 3 à 5% de son chiffre d'affaires avec des clients marocains. Et pour cause, -à part l'acier qui est traité à 100% au Maroc-, les fonderies et centres spécialisés n'existent pas au Maroc, faute d'investissements : les montants sont colossaux selon le directeur général de Valdeme. «Pendant 10 ans, notre centre était à Médiouna où nous étions en location. Depuis 7 ans, nous sommes sur le site de Berrechid, acquis en propre, et qui a nécessité un investissement initial de 50 millions de dirhams. Et pour avoir une idée de l'importance des investissements, un seul camion de collecte coûte 1,4 millionsde dirhams, et Valdeme en possède trois aujourd'hui», atteste-t- il. Mais si les investissements sont importants, les résultats ne sont pas forcément au rendez-vous, du moins pas de sitôt. Baudet avance en toute transparence son chiffre d'affaires qui tourne autour de 50 millions de dirhams. Et pourtant, le secteur, notamment au niveau informel, enregistrerait des résultats conséquents entre 300 et 400 millions de dirhams. Des chiffres réalisés par les collecteurs/recycleurs de la décharge de «Sbit», à Tit Mellil, et qui représentent 60% des récupérateurs de déchets au niveau national. Un constat que partage Rokaya El Boudrari, directrice de développement à l'association Al Jisr. «Il faut que ces derniers voient un intérêt à se former et se formaliser, qu'ils aient la garantie d'un meilleur niveau de vie et de conditions de travail décentes pour qu'ils acceptent de changer leurs pratiques. Une fois que ce cadre sera mis en place, leurs métiers (collecteurs, recycleurs, ..) seront reconnus et nous serons ravis d'accompagner cette évolution qui est à notre sens inévitable et fort souhaitable», poursuit- elle. La concurrence s'installe Du coup dans ce marché non structuré qui comprend un nombre indéfini d'acteurs informels, les entreprises fiables du secteur se comptent sur le bout des doigts, comme Elec'Recyclage, spécialiste en gestion de déchets industriels, présent au Maroc depuis 2012 dans la Zone Franche de Tanger, mais aussi en France, en Tunisie et aux Etats-Unis. Ou encore la Société Marocaine de Récupération et de Recyclage, située dans la Zone Indusrielle Tit Mellil, et dont les actionnaires gardent jalousement leur identité, puisqu'elle serait le fruit d'une joint- venture entre un important groupe industriel marocain et un acteur industriel majeur de la zone MENA. Aux côtés de ces acteurs, Baudet évoquera ainsi Managem, avec qui il a travaillé pendant un an. Le groupe marocain récupèrerait les éléments collectés par l'association Al Jisr, qu'elle récupère elle-même auprès des administrations et des entreprises en vue de les réparer et de les réutiliser, mais seuls 5% de ces ordinateurs sont réparés !», indique-t-il. En ce sens, la directrice de développement de ladite association précisera que depuis 2006, Al Jisr récupère gratuitement le matériel informatique auprès des entreprises partenaires, pour le réparer afin qu'il soit fonctionnel pour le redistribuer gratuitement aux écoles et associations d'intérêt général. Al Jisr n'avait pas pensé à l'époque à la question des déchets mais au fil du temps et de l'activité, les déchets s'accumulaient. «En tant qu'association reconnue d'utilité publique, nous nous devions de trouver une solution éco-responsable pour le traite- ment de ses déchets. Elle s'est alors adressée à la CGEM et le CMPP (Centre Marocain de Production Propre). Et comme il n'y avait pas d'acteurs locaux ‘formels', le CMPP a alors mis Al Jisr en contact avec Managem – qui s'intéressait également à cette problématique – pour réfléchir à une solution adaptée. C'est ainsi que le projet Green Ship a vu le jour, sans tentation mercantile ou d'éventuel potentiel économique de l'activité», rétorque Rokaya El Boudrari. Le projet Green Ship, lancé en 2010, combine la collecte de vieux ordinateurs et téléphones portables avec la formation de jeunes en maintenance des ordinateurs et démantèlement des déchets électroniques. Quoi qu'il en soit, Baudet parle clairement de concurrence déloyale de la part de ce nouvel acteur important. Il explique que concrètement, il achète à titre d'exemple la tonne d'unités centrales d'ordinateurs à 2.500 dirhams, qu'il revendra à 4.100 dirhams. «Valdeme gagne ainsi 1.600 dirhams pour le transport et le démontage. Or Managem récupère ces déchets gratuitement et, qui plus est, déjà démontés et donc valorisés!», conclut-il.