Amina Bouayach ne semble pas être de ceux et celles qui perdent de leurs capacités de travail pendant le mois sacré. Comme d'habitude, sa journée commence dès l'aube. Pour la présidente de l'OMDH, le Ramadan doit être un mois de paix, de quiétude, de plénitude et de sérénité plus que d'habitude pour avancer dans les dossiers. Donc, le Ramadan, nous impose son temps et son rythme. Cette année, elle saisit l'occasion pour préparer la rentrée de son organisation. Invitée de notre rubrique «Le divan», Bouayach s'en prend aux programmes TV qui «pêchent non seulement par leur médiocrité, mais elles pêchent aussi en s'opposant à la modernité, la démocratie et les droits humains» Elle met en exergue le changement de sociabilité pendant ce mois devenu aujourd'hui, un «fardeau» pesant sur le budget des ménages. Pour la présidente de l'OMDH, le changement de sociabilité occulte toute possibilité d'une société qui assume son islam et sa diversité. Que représente pour vous l'ambiance spirituelle et sociologique que procure le mois sacré du Ramadan ? Il faut veiller à ce que le ramadan soit, vraiment, une ambiance spirituelle intense, tant au niveau individuel que collectif. Collectif d'abord, ce mois permet, généralement, de temporiser les mésententes, les conflits et les incompréhensions des relations sociales. Ça devrait être donc, un mois de paix et de quiétude; mais la réalité est beaucoup plus compliquée que l'aspiration. Sur le plan individuel, le Ramadan est un mois de recueillement, de plénitude et de sérénité. Ce sont des moments de retrouvaille régulière avec les amis et les membres de la famille, que les onze autres mois ne les permettent pas. Ce sont des moments de vie communautaire. De plus, n'étant pas stressée par le temps communautaire, je trouve qu'on met plus de temps, que d'habitude, pour avancer dans les dossiers. Donc, le Ramadan, nous impose son temps et son rythme. Comment vous organisez vos journées durant ce mois ? Les soirées Ramadanesques sont propices aux rencontres de tous genres. Avez-vous le souvenir de quelque chose qui vous a marquée durant l'une d'entre elles ? Ma journée commence avec la levée du jour et l'accomplissement de la prière d'Al Fajr. Ensuite, je consacre une heure à la lecture du Coran. Je commence mon travail très tôt, bien avant 9h, avec la consultation, d'abord, de ma messagerie et la proposition de réponses, soit pour celles qui nécessitent une concertation du Bureau National de l'OMDH ou celles en rapport avec d'autres questions. Cette année, le mois de Ramadan ne coïncide pas avec la rentrée scolaire. Donc, je ne suis pas tenue d'accompagner mon fils au lycée. Je reprends mon travail professionnel à 9 h. Je profite, cette année, du Ramadan pour avancer dans les décisions pris en charge par le Bureau National ou le Conseil national, de préparer la rentrée et d'élaborer un certain nombre de rapports de fonctionnement de l'OMDH. Avant la rupture du Jeûne, je pratique le sport, notamment le footing ou la marche. Il faut dire que je profite, énormément des moments de Ftour, soit en famille, avec des amis ou des collègues Quant à la question relative aux souvenirs d'enfance qui m'ont marquée pendant le Ramadan, je me rappelle que j'imaginais mal la coïncidence du Ramadan avec la saison d'été. Dans mon esprit, ce mois arrive toujours pendant les saisons d'hiver ou d'automne. C'est à dire dans une période de froid et de pluie. On ne m'avait jamais expliqué que la période du Ramadan devait changer et que tous les ans, il avançait d'environ 13 jours. Etes-vous de ceux qui laissent apparaître des sauts d'humeur durant la période du jeûne ? Pourquoi ? On peut dire que je suis de tempérament calme, que ce soit durant le ramadan ou non. J'ai appris, dans la vie, à gérer ma colère et à relativiser les moments de tension, et le sport m'aide énormément à cet effet. Quelle appréciation portez-vous sur la programmation TV sur les chaînes nationales ? Etes-vous d'accord avec ceux qui estiment que le niveau esthétique et professionnel des sitcoms pêche par son indigence pour ne pas dire sa médiocrité ? A qui incombe la responsabilité de cette situation ? C'est une appréciation négative. Je constate que malgré les réactions du public et des faiseurs d'opinion par rapport à la programmation TV depuis déjà plusieurs années, soit à travers les journaux ou les micros-trottoirs, rien n'a changé. Toutes ces réactions du grand public n'ont pas été prises en considération dans les nouvelles programmations. J'attends de voir les taux d'audience des émissions de ramadan par l'Institut chargé de la mesure d'audience.. Je m'interroge si les faits et les événements vécus aussi bien sur le plan des individus que des collectivités ne méritent pas une attention particulière de la part des producteurs marocains. Pourquoi ne pensent-ils pas à produire les écrits, les romans, et les expériences nationales politiques ou autres? Le mois de ramadan, pourrait être aussi une opportunité de promotion de la culture, par le biais des médias audio-visuels, et d'agir dans le sens de changement de mentalités et des comportements sociaux. Les producteurs s'obstinent à être en marge d'un processus de changement. Le changement politique a besoin, aujourd'hui plus qu'hier, d'un support culturel et social, qui lui permet de faire face aux résistances et de créer de nouvelles perspectives. Personnellement, je ne me retrouve pas du tout dans l'humour que ce soit dans la manière et encore moins dans la langue utilisée dans ces programmes. Les émissions et programmes télévisuels devront contribuer à améliorer le goût artistique et élever le niveau culturel des citoyens et citoyennes. C'est aussi un outil pour véhiculer des valeurs de citoyenneté, de respect, de tolérance et d'égalité. Il s'agit donc des valeurs de droits humains qui servent à constituer un nouvel imaginaire collectif. Malheureusement, ces programmes et émissions n'ont rien à voir avec le processus en cours dans la société marocaine qui est en train de se développer, en matière de législation et des libertés et dont la culture est un outil et moyen fondamental dans leur consolidation. Il n'y a pas d'émissions ou programmes qui accompagnent et interpellent cette évolution, quoique très relative mais elle est réelle. Personnellement, je pense que ces programmes prêchent non seulement par leur médiocrité, mais elles prêchent contre la modernité, la démocratie et les droits humains. Pour moi, la responsabilité incombe aux producteurs d'abord et, ensuite, à la Société nationale de Radiodiffusion (SNRT). Car, c'est elle qui est responsable de la diffusion par les chaînes publiques de programmes et émissions véhiculant des valeurs tout à fait à l'opposé de la société qu'on est en train de se bâtir. Quelles sont vos lectures préférées durant ce mois sacré ? Durant Ramadan, mes habitudes de lecture ne changent pas. Je lis des livres en relation avec les droits humains, de philosophie, des romans et beaucoup d'autobiographies. Actuellement, je me penche sur un livre de Jacques Attali sur Ghandi. Il aborde son expérience en matière de lutte contre la pauvreté. Quel regard portez-vous sur le paysage médiatique marocain : presse écrite et audiovisuel ? On constate des suppléments et des pages consacrées par la presse écrite aux thèmes de la religion, de l'histoire, des présentations de livres, des biographies ou des narrations des expériences qui sont parfois intéressantes … Les journalistes, également font un effort monumental, pour assurer leur métier à temps surtout avec le rythme que leur impose le ramadan. Ils essaient de continuer à faire leur travail de manière normale. Car, les informations quotidiennes, dont ils sont les premiers utilisateurs, ne sont pas faciles d'accés pendant le mois de Ramadan. Ils sont confrontés, un peu plus, tenant compte, du temps et du rythme du ramadan, à l'accès à l'information. Qu'est ce qui a changé dans la société marocaine ? Les mécanismes de sociabilité qui ont permis de perpétuer les fondamentaux de la personnalité marocaine fonctionnent-ils toujours ? Le mois de Ramadan est une radioscopie des changements opérés par la société marocaine. Je dois noter qu'autant auparavant, la société appréhendait normalement et tolérait toutes les personnes qui ne faisaient pas le Ramadan, autant aujourd'hui on ne tolère pas celles qui ne faisaient pas le Ramadan. Elle est passée d'une société tolérante à une société stigmatisée et « encadrée », ce qui constitue pour moi, un recul en matière de sociabilité. De même, si auparavant la rupture du jeûne allait dans le sens prêché par la Chariâ, aujourd'hui elle devient un fardeau. Le budget alloué au Ramadan est multiplié par trois ou quatre fois par rapport au budget des autres mois. Le mode de vivre le Ramadan a donc changé. C'est comme si ce mois a perdu de ses valeurs de sobriété, de modestie, d'austérité, de quiétude et de plénitude. D'autres valeurs prévalent aujourd'hui, aussi bien au niveau de la table qu'au niveau vestimentaire ou sur le plan de faire le ramadan ou de ne pas le faire. Ce changement de sociabilité occulte toute possibilité d'une société qui assume son islam et sa diversité.