Difficile d'échapper, ces jours-ci, à l'actualité dont le protagoniste n'est autre que le peuple tunisien. La révolution de Jasmin est un cas inédit dans l'histoire politique du monde arabe. Le changement de régime est venu directement de ceux que les gouvernants de Tunis, sous la houlette du président déchu, avaient réussi à réduire au silence durant plus de deux décennies. Le choix du régime tunisien de l'ère après Bourguiba avait mis en place un mode de gouvernance procédant de l'autocratie ou au mieux du «despotisme éclairé». Ben Ali et consorts ont tenu à mettre les formes en déguisant leur dictature sous l'habillage d'un modèle économique vendu comme exemple de réussite. Le rétrécissement des espaces de liberté, avec tout ce que cela comporte comme exactions et diverses formes de répression, donnait l'illusion d'un pays stable attrayant pour les investisseurs étrangers. Le modèle tunisien cadrait parfaitement avec le concept de « libéralisme autoritaire » développé par l'anthropologue américain Clifford Geertz. Une ouverture économique doublée d'un régime autoritaire enveloppé dans un gant de démocratie. La confiscation des libertés et surtout celle de l'expression des opinions est l'ingrédient redoutable qui prépare l'éclosion de toutes les formes d'implosion sociale. Le syndrome tunisien, si on peu le qualifier ainsi, est en passe de servir de modèle au sein du monde arabe en l'absence de tout encadrement politique. La spontanéité des excès de colères populaires que l'on constate ici et là devrait inquiéter les centres de décision. La stabilité politique et économique n'est jamais un acquis définitif. Elle devrait être nourrie par l'exercice du pluralisme et de la démocratie, la vraie. Une démocratie où les règles de la compétition, entre les acteurs, sont clairement définies et acceptées par tous. Une démocratie où le règne de la loi est souverain. Le soulèvement du peuple tunisien est avant toute chose la traduction d'un mal-être profond qui renseigne sur les déséquilibres structurels du fonctionnement des modèles socioéconomiques des sociétés arabes. Les pays d'Amérique Latine ont vécu des situations similaires et ont su, pour certains d'entre eux, trouver le modus vivendi idoine qui permet l'articulation heureuse entre démocratie et libéralisme économique. La Tunisie avait vendu à l'occident en général qu'elle était le seul rempart, parmi les pays de la région, contre la propagation de tous les intégrismes. Résultat des courses : nous nous sommes retrouvés avec un régime policier dans un habillage démocratique. Ce qui restera inscrit dans les annales de l'histoire de ce pays est que l'ancien régime a réussi à faire valider son mode de gouvernance aux yeux du monde et surtout des bailleurs de fonds, sensés être très à cheval sur le nécessaire respect des droits humains. Un pré requis érigé souvent comme une conditionnalité ferme à tout partenariat économique. Or, aujourd'hui le peuple tunisien a pu, au prix de lourds tributs humains, donner l'exemple que la volonté des peuples ne saurait être indéfiniment occultée ni confisquée.