Entre la réalité et le discours, il y a toujours un décalage que les pragmatiques tentent de nuancer. Et dans ce même registre, on est tenté de rappeler cette évidence dès lors qu'il s'agit de mesurer l'implication effective de ceux qui sont censés encadrer le champ religieux. La raison en est bien simple. On assiste depuis quelque temps déjà à un foisonnement jamais égalé en termes d'offres de «fatwas». Au point qu'une telle surproduction remet en cause les bases même de l'économie du discours, la demande étant par ailleurs des plus faibles. Sauf dans la tête de ceux qui occultent les vraies raisons d'une telle logorrhée. Pour ceux qui font dans les soldes des «fatwas», la maîtrise du marché serait tributaire d'une occupation de tous les rayons et de tous les registres. C'est à peine s'ils ne raisonnent pas en termes exclusifs éminemment monopolistiques. En tentant, chemin faisant, de faire éclore des «leaders» du marché qui n'hésitent devant rien pour assurer, y compris dans l'effronterie la plus totale, la «halalisation» de la chose… et de son contraire ! Et le pays n'est pas exempt de ces apprentis sorciers qui s'adonnent à cœur joie au plus dur des exercices : l'exégèse. On comprend mieux pourquoi le ministre des Habous et des affaires islamiques a décidé de monter au créneau. Pour haranguer la foultitude des Oulémas dont la production intellectuelle est loin d'être proportionnelle à leur nombre. Une sorte d'attitude en retrait vis-à-vis de ce qui court dans la société et qui n'arrange en rien la politique cultuelle telle qu'on voudrait qu'elle soit. En d'autres termes, Ahmed Taoufiq voudrait sortir les Oulémas de leur léthargie en exigeant d'eux d'être de toutes les batailles engagées sur le champ religieux. Bref, une réoccupation en règle des divers fora qui permettent à d'autres idéologies d'instrumentaliser la religion à des fins bassement politiciennes. La fatwa, et les plus sages de nos Oulémas le savent, n'est pas la panacée. Et elle n'est pas le lot de n'importe quel quidam qui, marmonnant dans sa barbe quelques textes dont la véracité n'est même pas avérée, se permet le luxe de s'ériger en fkih incontournable. C'est bien de taper sur la table comme ça. A. Taoufiq a certainement raison de vouloir occuper le terrain en permettant aux membres du Conseil supérieur des oulémas de s'investir plus en avant dans les débats qui ont court. Ne serait-ce que pour séparer le bon grain de l'ivraie et montrer à toutes les autorités autoproclamées que l'exégèse est une affaire de maîtrise « scientifique » et que la fatwa lui est subordonnée. N'oublions pas que la nature a horreur du vide. Un vide que s'empresse d'occuper le tout-venant avec ce que cela comporte comme dangers incommensurables. Le radicalisme n'est pas loin et la commémoration des sanglants événements du 23 mai, à Casablanca, doit donner du tonus à nos vaillants fkihs qui sont capables de déconstruire les soubassements idéologiques des nébuleuses terroristes. Le ministère ad hoc qui jouit de l'autorité morale nécessaire n'est pas si isolé que ça d'une réalité des plus complexes. Celle qui vient de pousser les FAR à intégrer la dimension de lutte contre le terrorisme à leur champ d'intervention pour assurer la sécurité du pays. Le Sahel n'est pas loin et les ombres chinoises qui s'y activent incitent à mieux sanctuariser le pays contre les dangers cultuels et culturels qui le guettent. En un mot comme en mille, il faut mettre un terme au baratin idélogico-cultuel qui sévit dans le Royaume. Tout en affranchissant les uns et les autres de ce à quoi aspire le pays dans sa quête démocratique, s'ancrer dans les seules valeurs sûres que sont le progrès et la modernité. Avec ce que cela suppose comme ouverture et respect d'autrui. A nos Oulémas de passer au tableau !