C'est l'un des débats les plus récurrents de notre espace public : quelle(s) langue (s) enseigner et par quelle langue enseigner. Aujourd'hui encore, près de soixante ans après avoir acquis l'indépendance politique, la question linguistique demeure un point de clivage et de partage au sein de la société. Tantôt, elle est reléguée dans le hors champ de la conscience publique, tantôt elle revient en force aux devants de la scène à la suite de l'une des réflexions menées sur la crise non moins récurrente du système éducatif. La langue étant une des manifestations les plus criantes de l'échec scolaire. C'est le cas aujourd'hui avec l'initiative menée par la commission Azziman, président du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique. Le débat s'annonce, espérons-le- à l'image de l'homme qui l'initie, serein et pragmatique. La démarche préconisée est participative, souple adaptable au niveau des « praticiens » eux-mêmes. L'objectif est résumé ainsi par M. Azziman : il part d'une vision simple qui repose sur deux éléments fondamentaux : la diversité linguistique et l'alternance linguistique pour aboutir à un bachelier trilingue capable de poursuivre ses études supérieures dans l'une des langues : arabe, français, anglais. La formule brille par sa modestie et par le souci d'impliquer davantage le corps enseignant. Celui-ci effectivement a été la roue de secours occultée par les différentes réformes ; des réformes multiples et parfois contradictoires qu'il recevait comme des météorites qui venaient de plusieurs centres. Le sujet porte les stigmates d'un long passif historique qui avait empêché de résoudre ce préalable incontournable sur la voie du décollage économique et de la justice sociale. Longtemps le débat sur les langues, chez nous, a été obnubilé par le discours idéologique. Toute parole sur la langue avait en fait d'autres visées qui n'avaient rien avoir avec la langue elle-même. Les principes qui ont été ainsi imposés dans un contexte déterminé, ont instauré un rapport de forces linguistiques qui est à l'image du pouvoir qui l'a initiée. Les rapports des langues dans le marché symbolique étaient des rapports de pouvoir et de domination. La langue d'enseignement a ainsi fonctionné comme vecteur de perpétuation des disparités sociales. Les enfants issus des milieux populaires ou défavorisés culturellement subissaient à l'école une forme d'exclusion d'emblée. Longtemps notre école a fonctionné en tournant le dos à l'environnement immédiat de l'apprenant. Il y avait un hiatus entre l'univers bâti au sein de l'école et la vie quotidienne de l'élève. En franchissant le porte de la classe, celui-ci se trouvait face à un faisceau de signes qui heurtaient sa perception et son équilibre intellectuel. Pour les non héritiers, ceux qui venaient d'univers opposés à ceux enseignés à l'école, subissaient ce sentiment d'insécurité symbolique. Notamment dans les classes de langue. Habitué à réfléchir et à communiquer dans un schéma linguistique nourri de l'apport familial et social immédiat (la langue amazighe en l'occurrence), il est invité à l'école à adopter un autre schéma de pensée et de communication. Au sein de la société fonctionne en effet un marché symbolique de circulation des langues aux antipodes de celui en vigueur à l'école. Imaginez un instituteur qui enseigne dans un village du Haut Atlas et qui invite ses élèves des petites classes à déchiffrer un des textes majeurs de la séquence de lecture stipulant que la langue arabe est la langue des ancêtres (loughatou alajdad !). Rentrant chez lui, le petit écolier amazigh découvre une première contradiction flagrante : sa grand-mère, au coin du feu le soir, lui raconte des contes merveilleux dans sa langue maternelle qui n'est pas celle de l'instituteur et qui ne connaît de l'arabe que quelques versets du coran pour son service religieux minimum !!! Il a fallu des décennies de perdues pour que la langue amazighe soit enfin reconnue comme la première langue du pays. Une langue qui a plus de trente siècles. Quel statut lui prévoit la commission Azziman, En 1996, la ville de Barcelone, a vu se tenir une réunion de l'UNESCO qui a débouché sur la Déclaration universelle des droits linguistiques, la DUDL, dite Déclaration de Barcelone. Elle préconise le droit de chaque être humain à une vie linguistique libre, paisible et responsable. Elle indique aussi un ensemble de droits comme le droit de chaque groupe linguistique à l'enseignement de sa langue et de sa culture ; le droit de disposer de droits culturels ; le droit à une présence équitable de sa langue et de sa culture dans les médias. Le droit de chaque membre du groupe linguistique de se voir répondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics. Ce sont les grandes lignes à intégrer désormais dans tout projet de réforme et de développement.