Enfin, on peut retenir une date pour la rentrée littéraire au Maroc. Rappelez-vous le très bien : c'est le mois de novembre. Il a fallu attendre le temps idoine, surtout qu'au mois de septembre, la rentrée scolaire est à la une. Mieux vaut tard que jamais, peut-on dire. A l'image de ce qui se passe un peu partout dans le monde, l'union des éditeurs marocains a pris l'initiative d'organiser pour la première fois une rentrée littéraire. L'évènement a eu lieu, mardi dernier à Casablanca, en présence du ministre de la Culture, ainsi que d'un parterre d'écrivains et d'auteurs marocains. L'idée est louable. Elle doit être également saluée, notamment dans un secteur qui fait face aux contraintes et aux défis énormes. De nos jours, être éditeur veut dire prendre des risques et s'aventurer dans un secteur qui n'est pas, pour quelques-uns, rentable. Dans cette optique, le soutien des pouvoirs publics constitue un levier assez important pour mettre le secteur sur les bons rails. A vrai dire, on ne peut pas aspirer à un véritable marché sans lui créer un consommateur. D'où la nécessité de la promotion de la lecture, la création de librairies, de bibliothèques... Organisé dans 27 villes marocaines, l'événement vise la réconciliation du citoyen avec le livre et la découverte des nouvelles publications des maisons d'éditions. Un premier pas qui demeure important. L'Union des Editeurs Marocains vient d'organiser, pour la première fois, au Maroc sa rentrée littéraire. Une occasion selon l'éditeur Abdelkader Retnani (La Croisée des Chemins) de faire connaitre les nouvelles publications des maisons d'éditions marocaines. Pour l'éditeur, le mois de Novembre devrait être retenu comme date de la rentrée littéraire au Maroc. Les propos. Al Bayane : Pour la première fois au Maroc, l'Union des Editeurs Marocains organise sa rentrée littéraire. Quelle est la portée de cet événement pour vous ? Abdelkader Retnani : L'organisation de cet événement a pour but de se faire connaître à l'échelon national. L'autre objectif c'est que les marocains retiennent ce mois comme rentrée nationale annuelle. Quelles sont vos nouveautés pour cette rentrée ? J'ai une vingtaine de titres en tant qu'éditeur et 170 nouveautés pour cette première rentrée littéraire avec 16 éditeurs et 30 librairies partenaires. D'après vous, comment se porte le secteur du livre au Maroc ? Cette rentrée est la raison pour faire bouger les choses et sensibiliser ce secteur qui a besoin de dynamisme. Que proposez-vous en tant que maison d'édition pour mieux promouvoir le livre et la lecture au Maroc ? Je propose plus d'émissions (Télévision et Radio) sur le livre, ainsi que la création de nouvelles librairies dans des régions ne possédant pas de librairies afin de drainer un sang nouveau dans le secteur. Qui a dit que le livre n'est pas rentable au Maroc ? Philippe Broc, éditeur de la maison d'édition «Editeur de Talents» basée sur Casablanca, estime que le livre est rentable à la condition de redéfinir intégralement le système économique du livre, de proposer des ouvrages qui intéressent un lectorat et de promouvoir fortement la mise en avant des auteurs qui sont les moteurs de l'attraction livresque. Al Bayane : Quelles sont vos nouveautés pour cette rentrée? Philippe Broc : Rentrée ? Une rentrée avec des prix littéraires, des révélations, des interviews, des controverses, des débats... ? Ou bien, comme celle qui vient d'avoir lieu, une rentrée dans un salon privé avec quelques personnalités du monde "culturel" favorisant des rééditions ou des ouvrages techniques ? Quant aux nouveautés, nous finalisons le lancement de divers ouvrages (romans, collectifs, dictionnaires...) à partir du 7 décembre. En tant que jeune maison d'édition, avez-vous rencontré des contraintes dans le secteur du livre ? Non, aucune. D'autant moins que j'ai bénéficié dès le début du soutien de Réda Dalil (Prix de la Mamounia) et de Guillaume Jobin (auteur et éditeur). Mais ça ne devrait pas tarder. Ce serait même plutôt bon signe, laissant à penser qu'Editeur de Talents devient un acteur légitime de l'édition au Maroc. Pensez-vous que le livre soit rentable au Maroc ? Oui, clairement oui. A la condition de redéfinir intégralement le système économique du livre, de proposer des ouvrages qui intéressent un lectorat et de promouvoir fortement la mise en avant des auteurs qui sont les moteurs de l'attraction livresque. Sinon, il faut se spécialiser dans les livres scolaires... «N'ayant pas été présent au lancement de la rentrée littéraire marocaine, je ne puis en donner un jugement à juste titre. Il faut l'avouer, l'événement lui-même doit être salué, soutenu et encouragé, aussi bien par les professionnels du livre que par le gouvernement. Le livre est le moyen le plus efficace pour instruire et cultiver les peuples, le seul capable de former l'esprit critique dont nous avons cruellement besoin pour aiguiser le jugement, affiner la sensibilité, inculquer les grandes valeurs de l'Humanité, à savoir la liberté, la tolérance, le respect de l'autre, le respect de l'environnement... La littérature, art majeur par excellence, a un rôle fondamental dans cette entreprise car sans littérature, il n'y a pas de cinéma, pas de théâtre, pas de peinture... bref, pas de culture. La culture, c'est d'abord le livre. Le reste fait office de complément. Les festivals ne sont - et là je pèse mes mots - ni plus ni moins que du divertissement public. Cela dit, la question fondamentale qui doit être posée dans notre pays est la suivante : comment faire lire à nos concitoyens, esprits allergiques à la lecture, un bon livre du début jusqu'à la fin ? Si cette rentrée littéraire peut apporter quelques éléments de réponse à cette question, le problème de l'inculture au Maroc sera résolu». Dans le but de promouvoir la lecture auprès des enfants, l'éditrice Nadia Essalmi (Yomad éditions) a créé l'initiative «Lire pour grandir» qui a eu lieu dans plusieurs villes marocaines. «L'idée du départ était d'offrir aux enfants qui ont eu la malchance d'être nés dans des familles démunies, la possibilité de lire des livres», souligne Nadia. Pour ce qui est du marché du livre au Maroc, l'éditrice estime qu'il faut réinventer et recréer le secteur. «Il marche certes bien pour ceux qui ont des relations qui leur permettent souvent d'écouler leurs productions avant leur parution, mais les petits éditeurs rament et peinent à joindre les deux bouts », déclare t-elle. Les propos. Al Bayane : Quelles sont les nouveautés de votre maison d'édition pour cette rentrée ? Nadia Essalmi : Deux livres : Aicha Kandicha écrit par Mâati Monjib et illustré par Rachid Jibjib. J'ai voulu par la publication de ce livre lever le voile sur une légende héritée et transmise par des générations et dédramatiser tout ce que nous avons accumulé sur ce personnage qui hante et sème la terreur dans les esprits. La légende est racontée merveilleusement par Mâati Monjib, avec une trame de fond romancée afin d'accrocher l'attention du petit lecteur. A la fin du livre, Mâati donne les différentes interprétations de la légende. Le deuxième livre qui n'est pas encore en librairies est une première au Maroc. Il s'agit d'un manga. Ce livre illustré par la jeune et talentueuse Dounia Derfoufi est scénarisé par Mostapha Oghnia. Il est un brassage de deux cultures. Le dessin est japonais et le contenu est un conte tiré du patrimoine marocain. Il s'appelle Lalla Aicha bent Nejjar. Peut-on parler d'une rentrée littéraire au Maroc ? La rentrée littéraire est un événement culturel. Il a ses règles. Chaque éditeur travaille tout au long de l'année pour présenter ses nouveautés à la rentrée. Une manière aussi de préparer les prix littéraires qui sont remis entre les mois d'octobre et novembre. La presse écrite et les médias accompagnent cet événement en mettant sur le devant de la scène ces auteurs et leurs écrits. Au Maroc, on vient de se réveiller. Vous me direz il n'est jamais tard pour bien faire. Oui, mais où sont nos médias ? Où sont nos émissions culturelles ? Ils sont quasi inexistants. On dirait que parler du livre est une perte de temps et d'argent. A chaque fois qu'on fait une proposition d'émission culturelle aux responsables des programmes, la réponse est simple «pas de moyens». Mais les moyens surgissent comme par enchantement quand il s'agit de ces sitcoms qui sont, dans leur majorité, ridicules pour ne pas dire débiles. Vous comprenez alors que nous sommes loin de donner à la culture la valeur qu'elle mérite. Quels sont les défis auxquels fait face le secteur du livre au Maroc ? Les défis sont innombrables. Il me faudrait beaucoup de temps pour les énumérer. Nous travaillons dans un secteur qu'il faut réinventer et recréer. Il marche bien pour ceux qui ont des relations qui leur permettent souvent d'écouler leurs productions avant leur parution. Par exemple auprès des banques ou de grands instituts. Mais les petits éditeurs rament et peinent à joindre les deux bouts. Le plus grand défi est une équation à laquelle nous n'arrivons pas encore à trouver de solution. Nous nous démenons, nous les éditeurs, à chercher les moyens qui nous permettent de publier des livres à la hauteur des petites bourses. Mais une fois les livres sur le marché, ils n'intéressent ni les libraires, ni les distributeurs, vu que la marge bénéficiaire est très faible. Une réelle politique du livre s'impose. Vous avez initié l'activité «Lire pour grandir». Parlez nous un peu de cette expérience ? Qu'en est-il de la lecture au Maroc ? On entend souvent dire que les Marocains ne lisent pas. C'est un fait, le taux de livres vendus en témoigne. Mais alors que faisons-nous pour créer le lectorat ? Pas grand-chose. Je suis alors partie en louve solitaire pour créer, à ma petite échelle, un petit lectorat. J'ai commencé par des tournées dans les écoles. Animer des ateliers autour du livre et de la lecture dans les classes. Je sème dans chaque classe des graines d'amour du livre. Elles ne pousseront pas toutes, mais quelques-unes certainement. Ces graines donneront des fruits qui seront consommés par leur entourage. Je suis allée également, aidée par quelques associations étrangères, dans les villages les plus reculés pour distribuer des livres gracieusement. J'ai initié récemment l'activité «Lire pour grandir» qui est en train de devenir un événement national. L'idée du départ était d'offrir aux enfants qui ont eu la malchance d'être nés dans des familles démunies, la possibilité de lire des livres. La Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc (BNRM) a accepté d'accueillir l'activité et d'ouvrir ses portes tous les dimanches pendant deux heures de temps (de 11h à 13h). Les enfants viennent accompagnés de leurs parents pour plonger dans un bain de livres. Toutes sortes de livres, en arabe et en français sont mises à la disposition des enfants. Ils se servent et lisent soit seuls, soit avec leurs parents, soit avec des bénévoles. De temps en temps, j'invite un écrivain, un artiste ou un conteur pour aller à leur rencontre. La participation n'obéit à aucune condition, elle est gratuite, sans engagement et sans inscription. L'objectif est de prendre du plaisir à lire et à caresser les livres. Vu le succès de cette activité, les demandes me parviennent de plusieurs villes. C'est alors que le premier bébé est né à Tanger l'année dernière en marge du salon du livre. L'institut français de Tanger l'a adopté. Le deuxième est né cette année à Beni-Mellal le 11 octobre au centre culturel Les grands arbres. Le troisième à Casablanca au centre culturel de l'Ermitage, en collaboration avec la direction régionale du ministère de la culture. D'autres «Lire pour grandir» sont en cours de réalisation à Marrakech, El Jadida et Fès. La nouveauté concernant l'activité est l'intégration de la lecture pour adultes. J'ai constaté que quelques-uns des parents qui accompagnent leurs enfants passent leur temps à ne rien faire. Je me suis dit que ce serait bien de leur proposer de la lecture également. Aujourd'hui, une table de livres est mise à leur disposition. Tout le monde lit, grands et petits. «Lire pour grandir» devient un rendez-vous incontournable pour plusieurs lecteurs dans plusieurs villes du Maroc au même moment et le même jour.