Mustapha Labraimi, Professeur à la Faculté des Sciences de Rabat et membre du BP du PPS tire la sonnette d'alarme quant à la catastrophe écologique de Oued Moulouya. Pour Labraimi, fallait-il attendre que des poissons crèvent massivement pour qu'une commission technique soit créée comme si aucune réglementation n'existait auparavant ? Et de souligner que c'est là une interpellation qui montre le hiatus qui existe entre l'arsenal juridique et sa mise en œuvre par les autorités mises en place à cet effet. Al Bayane : Quelle lecture faites-vous du communiqué des «commissions techniques de vigilance» prétendant expliquer le phénomène de mortalité de l'ichtyofaune de la basse Moulouya ? Mustapha Labraimi: Enfin, pourrait-on dire, un communiqué officiel ! Malgré le retard très important qui a été enregistré pour que la réaction officielle se matérialise, on apprend l'existence « des commissions techniques de vigilance » instituées suite à la catastrophe écologique constatée et dénoncée par les associatifs et les responsables politiques. Cette annonce, aussi positive qu'elle soit, pose en elle-même des questions graves dont on ne peut éviter la réponse : * Est-ce que le SIBE de la basse vallée de la Moulouya ne disposait d'aucune «institution» ou structure de gestion, d'observation et de vigilance ? * Quel a été le rôle de l'Agence du Bassin Hydraulique de la Moulouya dans cette affaire, particulièrement pour la mise en œuvre des dispositions prévues par la loi 10-95 sur l'eau et de ses textes d'applications ; et d'une manière plus précise, ses articles 20 et les articles du chapitre VI concernant la lutte contre la pollution ‘article 51 à 57). Fallait-il attendre que des poissons crèvent massivement pour qu'une commission technique soit créée comme si aucune réglementation n'existait auparavant. C'est là une interpellation qui montre le hiatus qui existe entre l'arsenal juridique et sa mise en œuvre par les autorités mises en place à cet effet. Dans le cas de l'atteinte au milieu aquatique de la Moulouya, des défaillances ont été enregistrées qu'elle que soit l'explication avancée de la catastrophe. Des responsabilités n'ont pas été assumées et le communiqué tardif en constitue la preuve. Estimez-vous que le communiqué est clair ou contient-il des contradictions, car on parle d'un côté de résultats préliminaires, et d'un autre on affirme que la seule explication de cet incident de mortalité anormale des poissons reste le déficit en oxygène ? En effet, le communiqué «des commissions techniques de vigilance» souligne l'absence de toxines dans les cadavres de poissons, ce qui est relativement rassurant, mais précise que «les résultats des analyses des substances toxiques dissoutes ne sont pas encore disponibles», ce qui laisse ouverte l'interrogation sur la cause réelle de la catastrophe écologique. Cette ambiguïté permet aux rédacteurs du communiqué de conclure que «la seule explication de cet incident de mortalité anormale des poissons reste le déficit en oxygène provoqué vraisemblablement par une charge ponctuelle de matière organique survenue rapidement ». Thèse probable car «les commissions techniques de vigilance» restent dans le vraisemblable sans aucune indication concrète. C'est le commentaire du communiqué par la MAP qui parle de rejets d'origines industrielle, agricole et domestique auxquels s'ajoutent des ponctions illicite sur le débit sanitaire réservé à la biodiversité ( Mais où est donc l'ABHM ?). La question à laquelle les CTV instituées par les gouverneurs devraient répondre clairement et sans ambiguïté concerne «la charge ponctuelle de matière organique» sa nature, son origine et son introduction dans l'écosystème pour déterminer l'origine de la pollution et sa responsabilité. Leur crédibilité est à l'aune de l'exactitude de la réponse qui sera apportée à cette cause présumée de la mort subite et massive de l'ichtyofaune dans la basse vallée de la Moulouya. S'agissant de la gestion environnementale, quelles sont, selon vous, les défaillances de cette dernière ? En plus des défaillances relevées sur la non application des dispositions de la loi sur l'eau et de la mise en œuvre des prérogatives de l'Agence du Bassin Hydraulique de la Moulouya, le communiqué (ou plutôt le commentaire de la MAP) fait remarquer que «ce phénomène de mortalité a été enregistré deux fois dans les années 80 et 90…». Cette affirmation est cynique et donne l'impression que l'on veut banaliser l'événement. Cela signifie aussi que cette catastrophe écologique est récurrente depuis plus de trente années. On ne peut alors que se poser la question sur les actions qui ont été menées par les autorités compétentes pour éviter la répétition néfaste de cette destruction massive des poissons. C'est là une atteinte à l'environnement encore plus grave que celle commise par l'ignorance. Le suivi des CTV n'a pas été ressenti ni par les riverains, qui ignorent les répercussions négatives que la catastrophe peut avoir sur leur vie, ni par l'opinion publique qui est avertie que «compte tenu de l'ampleur du phénomène de mortalité qui s'est produite, les services du département de l'Environnement, l'Agence du Bassin Hydraulique de la Moulouya, l'Office National de la Sécurité Sanitaire des produits alimentaires, la direction régionale des Eaux et Forêts et de la lutte contre la désertification, l'Institut National des Recherches halieutiques, les services du Ministère de la Santé ont engagé des investigations visant à en identifier les causes». Dans l'attente, le déficit en oxygène provoqué par une charge de matière organique ponctuelle… avancé par les CTV, restera une hypothèse vraisemblable! L'opinion publique a besoin d'une information claire dans ce genre d'événement. L'exemple en est fourni par le communiqué lui-même où il est mentionné que «le suivi de salubrité effectué sur des échantillons représentatifs d'espèces de coquillage marin (petite praire) n'ont révélé aucune anomalie ou mortalité de poissons sur la frange marine». A défaut, les gens de Cap de l'Eau, au moins, seront rassurés sur la qualité de leur environnement !