Bouchaïb Fokar, conservateur de la Fondation de la Mosquée Hassan II de Casablanca, est un homme de culture. Il est l'initiateur de plusieurs projets culturels à Casablanca. Dans un entretien qu'il nous a accordé à l'occasion du démarrage de la médiathèque de la Mosquée Hassan II, il nous parle de la dimension culturelle et éducative de cette institution à vocation religieuse et culturelle. L'aubaine aussi d'évoquer avec lui la corrélation entre la mosquée entant que lieu de culte et la promotion de la pensée. Propos. La fondation de la mosquée Hassan II est une institution qui a pour mission de valoriser cet édifice religieux aux dimensions culturelles et sociologiques certaines. Quelles sont les missions qui lui sont assignées ? Vous savez qu'après l'inauguration de la mosquée Hassan II en 1993 par Feu Hassan II, sa gestion a été confiée à l'Agence urbaine de Casablanca. Le ministère des Habous s'est chargé de la gestion du volet religieux de la mosquée et celui éducatif de l'école coranique. En 2006, d'autres espaces rattachés à la mosquée ont été construits conformément à la volonté royale. Quand au volet financier, des subventions de différents secteurs leur ont été allouées. Lesquelles ont fait l'objet d'une convention signée lors d'une cérémonie présidée par SM le roi Mohammed VI. Cet accord porte sur l'achèvement des travaux de la médiathèque, de l'Académie des arts traditionnels et de son équipement. Après la réalisation de l'ensemble de ces projets, SM le Roi a tenu à ce qu'une institution autonome s'occupe de la gestion de la mosquée avec les espaces qui lui sont reliés. Il a donc été décidé de la création de la Fondation de la mosquée Hassan II de Casablanca. Cette institution a pour mission de garantir la promotion culturelle et religieuse, la gestion, la conservation et l'entretien des espaces, en l'occurrence la médersa, la médiathèque et l'académie des arts traditionnels. En quoi consiste exactement le travail du conservateur de la mosquée Hassan II ? Ma tâche est déterminée par le Dahir portant sur l'institution de la Fondation publié dans le bulletin officiel. Elle consiste à piloter la direction de la Fondation, de chapeauter toutes les missions qui lui sont attribuées et de garantir le bon fonctionnement de cette structure. Y-a-il des mécanismes de fonctionnement qui font que cette institution soit la plus proche des usagers ? Les textes d'application du Dahir, portant sur le fonctionnement de l'institution, définissent deux tâches principales. La première relative à l'entretien et la conservation de cet édifice et de ses dépendances en tant que monument historique ainsi que la mise en disponibilité de toutes les conditions et les ressources nécessaires et moyens utiles pour que la fondation puisse accomplir sa mission de manière efficace. La fondation est appelée, à cet effet, à contribuer au rayonnement culturel de la ville de Casablanca. Cela consiste à mettre en place des programmes éclectiques, à la fois scientifique, culturel et artistique dans l'objectif de contribuer à illuminer la pensée et donner à cet édifice la vocation scientifique qu'il mérite. Selon quel principe vous préconisez la programmation de la médiathèque ? D'abord, il faut souligner que suivant les directives royales et en réponse aux attentes des intellectuels et ceux concernés par l'univers de la pensée et des sciences, nous avons profité déjà du mois du Ramadan pour amorcer un programme culturel et artistique dès plus riche. Nous avons tenu à ce que ce programme soit multidisciplinaire. Ainsi, nous avons ouvert le bal avec une conférence sur l'univers en rapport avec l'être humain animée par le docteur Kaydar, un chercheur dans le domaine de la physique et de l'astrologie. L'économiste Fath Allah Oualalou a animé également un débat sur la crise économique mondiale et son impact sur l'économie des pays en développement. Le cheikh Abdallah Ben Biya a, par ailleurs débattu de la thématique du renouveau dans la religion. Un débat, non des moindres, a eu lieu avec le docteur Taki Najib sur l'histoire de la presse à Casablanca à l'époque du protectorat. La fondation est aussi un espace de création artistique. Récemment, nous avons présenté au public une exposition de l'artiste peintre Abdallah El Hariri. Ce programme a été conçu en concertation avec des penseurs, des universitaires et des créateurs. Nous avons constitué une petite commission scientifique qui met en place le programme culturel annuel. Nous nous sommes mis d'accord pour donner la priorité à certains volets notamment, les sciences de la charia, les arts, les sciences sociales, économiques et politiques, la gouvernance, la philosophie et la pensée, ainsi qu'un volet spécifique consacré à l'histoire de Casablanca. Quel est le profil des publics ciblés qui fréquentent la médiathèque ? La médiathèque s'adresse à un public multiple, varié et de tout âge. Elle est conçue de manière à subvenir aux besoins d'un public hétérogène, commençant par les enfants de 3 à 17ans. Des espaces sont également réservés aux jeunes et adultes toutes catégories socioprofessionnelles confondues. Je pense qu'il est nécessaire, aujourd'hui, d'offrir aux Marocains, tous particulièrement les Casablancais, un espace culturel d'envergure qui correspond à leurs exigences. Car, il faut œuvrer pour une culture de la lecture et un retour du livre sur la scène culturelle. Une nation, quelque soit son évolution et son progrès, ne peut avoir aucune considération sans une plateforme culturelle solide. Son progrès est tributaire de l'évolution de sa culture et de pensée. Comment peut-on concevoir la conciliation entre la vocation de la Mosquée Hassan II, en tant que lieu de culte et la médiathèque comme espace culturel, en principe à large fréquentation ? L'un complète l'autre. Il faut souligner que la Mosquée, dans toute l'histoire de la nation islamique, était la source de toutes les sciences et savoirs. Quant on parle d'Ibn Rochd ou d'Ibn Sina, on évoque des érudits qui n'ont pas fréquenté l'école moderne. La mosquée était, à l'origine, le centre de débats sociaux et politiques. La dissension entre la pensée et la mosquée est causée par des individus ou des courants. Mais la mosquée, dans son essence, ne rejette pas la pensée au profit de la religion. Il n'y a pas de divergence entre les deux. En est la preuve la medersa coranique qui enseigne toutes les sciences. Au Maroc, nous avons des personnalités comme Abdelhadi Boutaleb et Abdelhadi Tazi qui sont des lauréats de la Quaraouiyine. L'idée de placer donc la mosquée aux antipodes de la pensée est une aberration. Bien au contraire, la mosquée se repose sur la pensée et l'esprit islamique qui sont puisés dans le Coran, la Sunna et le Hadith. Lesquels appellent à la réflexion sur l'univers. Justement pour bannir ces idées préconçues, la fondation œuvre à travers son programme à rapprocher les différents points de vue dans le but d'enraciner le principe de la différence, la tolérance et de l'échange culturel.