Jeudi 16 février 2012, une date à marquer d'une pierre blanche pour Fouad, un quadragénaire qui vient de subir avec succès une transplantation de rein pas comme les autres. Pour cette opération, rendue possible grâce à un don du frère cadet de l'intéressé, l'équipe médicale de l'hôpital Cheikh Zayed de Rabat a expérimenté pour la première fois une nouvelle technique chirurgicale permettant de réduire au minimum les désagréments postopératoires pour le donneur. «A la différence des prélèvements réalisés par le passé, celui-ci ne nécessite que quelques petites incisions au niveau de la région concernée, ce qui représente un atout majeur en termes de confort et de réduction de la durée de convalescence du donneur qui peut rentrer chez lui au bout de trois jours , explique à la MAP le professeur Tariq Karmouni, chirurgien urologue qui a réalisé l'opération, la première dans le cadre d'un programme de greffes dont la mise en place se fera progressivement. Cette innovation, qui ne manquera pas d'être émulée par les CHU du Royaume, a également l'intérêt de réduire de manière significative la douleur post-chirurgicale et de ne laisser que de petites cicatrices, ce qui revêt une grande importance pour les femmes surtout, qui se préoccupent beaucoup de leur esthétique, renchérit docteur Hakima Rhou, professeur de dialyse et de transplantation rénale qui a dirigé l'équipe médicale chargée d'effectuer cette première greffe. Ce sont, ajoute-t-elle, des facteurs qui comptent beaucoup quand il s'agit de rassurer les donneurs potentiels et de promouvoir le don d'organes. Ceci dit, l'intervention, dont le taux d'échec est quasiment nul selon Dr Karmouni, présente des risques communs à toutes les transplantations, notamment le risque de rejet de l'organe greffé. Pour parer à cette éventualité, des médicaments destinés à empêcher le rejet du nouvel organe sont administrés sur une longue période, voire à vie, et des visites médicales régulières sont recommandées. Pour ce qui est du donneur, des bilans de santé sont nécessaires au moins une fois par an pour prévenir les risques liés à l'ablation du rein, sachant, d'après les explications du spécialiste, qu'un individu peut mener une vie parfaitement normale avec un seul rein. Coût et manque de communication : principaux handicaps Malgré ses avantages médicalement prouvés, et bien qu'elle soit considérée comme le traitement le plus efficace contre l'insuffisance rénale, la transplantation n'est pas largement prisée par les Marocains, de manière générale, avec un total de l'ordre de 150 greffes durant les deux dernières années dans tout le Maroc. Et pour cause, pour bénéficier d'une opération de ce genre, qui dure 2 à 3 heures, il faut débourser pas moins de 300.000 DH, sans compter les frais annexes (médicaments à prendre à vie, bilans de santé réguliers). Un vice rédhibitoire qui ferme immédiatement et sans appel la porte aux personnes à revenus limités, surtout quand elles ne bénéficient pas d'une couverture médicale. Pour remédier à cet état de fait, il est nécessaire, selon Dr Rhou, que le ministère de la Santé subventionne les opérations, mais aussi les traitements post-opératoires qui restent assez coûteux. A ce handicap financier, Dr Karmouni ajoute un autre relatif au manque de communication et de sensibilisation sur cette pratique chirurgicale, qui fait que même les personnes ayant les moyens de se faire opérer n'y recourent que rarement. Selon lui, «L'écrasante majorité des patients ignorent même l'existence de cette possibilité de se faire greffer le rein, et optent donc pour la dialyse comme seule et unique thérapie». «Or, non seulement la transplantation rénale revient-elle moins cher que les sessions de dialyse qui s'avèrent très onéreuses à long terme, car devant être effectuées à vie, mais elle améliore aussi sensiblement la qualité de vie du patient en lui permettant de vaquer, de façon ordinaire, à ses occupations quotidiennes et de mener une vie sociale et professionnelle quasi-normale, ce que la dialyse ne permet pas», fait-il valoir. La loi interdisant l'importation des organes de l'étranger, les prélèvements ne sont possibles que sur des donneurs vivants. Mais, à la différence des autres types de transplantation, un lien de parenté de premier degré avec la personne opérée (parents, grands-parents, enfants, fratrie, conjoint, oncles et tantes) est exigé pour deux raisons. La première est d'ordre purement technique, c'est-à-dire pour faire en sorte que l'organe greffé soit le plus compatible possible avec l'organisme accueillant, car il y va de la réduction du risque de rejet, mais aussi de l'augmentation de la durée de survie du rein greffé, selon Dr Rhou. La deuxième raison, plus subjective, invoquée par la spécialiste, consiste à barrer la route au commerce illégal des organes qui prospère dans d'autres pays. Pour ce faire, le don de reins obéit à une procédure particulièrement rigoureuse : pour autoriser la transplantation, le donneur doit d'abord officialiser auprès du tribunal son accord de se faire amputer le rein. Il faut ensuite s'assurer qu'il existe bel et bien un lien de parenté entre le donneur et le récepteur, avant de procéder à un test de compatibilité. La culture de don d'organes étant encore limitée au Maroc, un grand besoin s'est fait sentir pour que les greffes d'organes, dont celles des reins, soient possibles à partir de prélèvements sur personnes en état de mort cérébrale. Bien que de tels prélèvements soient autorisés depuis belle lurette par la loi, il a fallu attendre jusqu'en 2011 pour les voir pratiqués, regrette Hakima Rhou. Ces prélèvements, couplés à une stratégie de sensibilisation adéquate, sont les seules susceptibles d'ouvrir de nouvelles perspectives devant cette spécialité jusqu'ici sous-investie, mais promise à un bel avenir.