Dans une étude publiée récemment à Madrid, la Fondation 1er Mai analyse «Cahiers de prison», écrit durant sa détention par Antonio Gramsci (1891 – 1937, membre fondateur du Parti communiste italien) pour expliquer la lecture philosophique du marxisme faite par ce penseur. Dans le chapitre 22 de son œuvre carcérale, intitulé Américanisme et Fordisme, Gramsci fait référence par le biais de ces deux termes au système et à la conception de la vie aux Etats-Unis. Il invite à faire une interprétation et une lecture de ce système comme étant une évolution de la formation sociale du capitalisme dans ce sens. A ce niveau, Gramsci s'écarte de l'interprétation traditionnelle de la chute du système capitaliste. Une autre lecture est aussi possible dans ce Cahier 22 qui englobe une série de réflexions sur la vie dans le système capitaliste dans lesquelles l'on prétendait rencontrer une voie européenne équidistante de l'Orient et de la forte transformation qui vient de l'autre côté de l 'Atlantique. L'objectif est la recherche d'un style de vie «original» et non de marque américaine pour réinventer la liberté. L'Occident de Gramsci est dominé par une longue crise de l'Etat libéral avec ses manifestations extrêmes : la première guerre mondiale, la dépression de 1929 et le nazisme, et, à l'autre extrême, tout le phénomène syndical ainsi que la rationalisation dans la production du système capitaliste américain. De cette manière, le processus de modernisation de l'Etat libéral pourrait être résumé en la technologie domestique de la vie américaine (l'américanisation) et dans la diffusion de la méthode fordiste dans les entreprises. L'intérêt de Gramsci pour les Etats-Unis d'Amérique est politique. Les Etats-Unis étaient en train de provoquer un changement dans la corrélation de forces par rapport à d'autres Etats européens. Ils avaient commencé leur évolution comme Etat hégémonique. C'est pour cela que le fordisme l'intéressait (pour être une méthode de production et de primes) avec sa formation théorique, le taylorisme (organisation scientifique de l'entreprise), les considérant non comme simples théories de transformation techno-organisatrices mais comme des composants de domination et d'exploitation sociale qui tendent à exercer leur hégémonie sur l'ensemble du système des relations sociales et de production. L'hégémonie commence par l'usine. Le programme de recherche instrumentale a commencé avec Taylor (1911) aux Etats-Unis et avec Fayol (1916) en France. Ce programme part d'une hypothèse qui traite l'homme dans une perspective économiste au sein de l'entreprise. Cet homme est un simple instrument utile et capable de réaliser des tâches efficaces pour contribuer au développement adéquat de l'organisation productive. Les origines de ce programme remontent à la révolution industrielle, surtout durant la grande expansion qu'a connue l'entreprise au début du 19e siècle. Cette entreprise a besoin d'un ensemble de techniques et normes pour la diriger à chaque fois qu'elle grandit et devient complexe en tant qu'unité de production. Les principes technico-organisatifs de ce programme qu'appliquent les entreprises seraient : la hiérarchie, l'unité de commande, la délégation, l'extension et la subordination, et la spécialisation organisative. L'américanisme représente ainsi un modèle face à la civilisation européenne et devient un instrument capable de canaliser le phénomène de la révolution passive. Avec les termes «révolution passive» ou «révolution sans révolution», Gramsci propose une nouvelle interprétation de ce modèle de production qui est le capitalisme.