Quel contenu donner à la réforme fiscale ? Les Assises nationales sur la fiscalité ouvrent leurs travaux ce lundi matin au Palais des congrès de Skhirat. Placé sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi, ce conclave, qui verra la participation de plusieurs membres du gouvernement, des partenaires sociaux, des universitaires et des experts nationaux et internationaux, s'inscrit dans le cadre du processus de modernisation du système fiscal marocain. Après la grande réforme instituée par la loi cadre de 1984 et la tenue des premières assises de 1999, il devenait indispensable de revoir le système fiscal actuel à la lumière des évolutions qu'a connues le Maroc, pour le rendre plus efficient et plus équitable, en cohérence avec les réformes institutionnelles et politiques engagées par le Maroc. De l'avis général des experts, le système fiscal marocain est malade de ses propres incohérences. Le diagnostic est connu : il est illisible, inéquitable et peu rentable. Les recettes fiscales, étant la principale ressource pour le budget d'Etat, ne couvrent finalement que 60% des dépenses ordinaires. Que faire alors pour combler les trous de la Caisse de compensation, rembourser la dette, financer les investissements et la protection sociale ? Les angles d'attaque diffèrent selon que l'on se range du côté des technocrates ou du côté des politiques. Il est certain, en revanche, que le débat qui se déroule aujourd'hui à Skhirat est capital, en ce sens qu'il doit aboutir à plus de clarté, plus de transparence et plus de justice. Cette réforme, très fortement souhaitée, devrait se faire dans la concertation (avec les différents partenaires sociaux) et viser, par la même, «une adaptation aux nouvelles donnes de l'économie marocaine et aux meilleures pratiques sur le plan international. Dans une récente étude réalisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), «des pans entiers de la production et de la distribution restent en dehors du champ d'imposition». De plus, «l'incivisme fiscal reste très présent dans le pays, soit par les activités qui sont dans l'informel, totalement ou partiellement, soit par l'évasion fiscale pratiquée par des entreprises ou par des particuliers qui ne déclarent pas la totalité de leur activité ou de leurs revenus. La lutte contre cet incivisme est aujourd'hui une demande exprimée aussi bien par les responsables de l'Administration que par les contribuables eux-mêmes qui y voient une source d'injustice, mais également une source de concurrence déloyale. Pour le CESE, les aides de l'Etat, sous forme de réduction ou d'exonération fiscale doivent être équitables et ne pas créer d'effet d'aubaine. Ces dépenses fiscales représentent, faut-il le rappeler, 32 milliards DH et profitent essentiellement à l'export, aux secteurs de l'agriculture et de l'immobilier. Selon Noureddine Bensouda, le Trésorier du Royaume, «le principe de neutralité de l'impôt n'avait pas résisté longtemps... Les régimes dérogatoires ont fini par altérer le sens de la réforme initiale avec pour conséquence une aggravation des distorsions économiques et sociales». L'impôt devenait de plus en plus interventionniste et l'équité fiscale perdait tout sens face au pouvoir des groupes d'intérêt... En fiscalité, note le Trésorier du Royaume, «il y a toujours ce conflit permanent entre la vision à court terme, souvent électoraliste, et la vision à long terme qui privilégie les intérêts de la collectivité dans son intégralité. L'outil de gestion de temps dans l'action gouvernementale, à savoir la planification ou la programmation, est parfois banalisé et négligé en faveur de la précipitation. A partir de cette expérience, le Maroc s'est acheminé vers un approfondissement de la réflexion, notamment sur la politique fiscale pour éviter les erreurs du passé». Mais la réforme fiscale doit aller de pair avec la réforme de la Caisse de compensation et celle de la retraite. En outre, la réforme doit permettre une grande confiance entre l'administration fiscale et le contribuable, via la concertation et une meilleure lisibilité des règles. Tout ceci nécessite, selon Abdelahad Fassi Fihri, professeur universitaire et membre du Bureau politique du PPS, une remise à plat «pour s'engager dans une réforme de nouvelle génération prenant en compte toutes les évolutions fondamentales de notre pays et de notre environnement» Salah Grine, expert comptable, appelle de son côté, à une « rupture culturelle». «Le Maroc ne peut faire l'économie de s'appuyer sur un système fiscal performant et qui permette, avec la maîtrise nécessaire des dépenses et l'amélioration de leur efficacité, le redressement et la consolidation continue de ses finances».