«PP Gate» ou la corruption politique Aucun adjectif ni tournure idiomatique ne suffit pour décrire ce qui s'était passé, les trois derniers jours, à la suite de la publication par le quotidien El Pais des relevés de la comptabilité «B» du Parti Populaire (PP : au pouvoir en Espagne). Une infinité de documents, écrits de la propre main des ex-trésoriers du parti, font état de versements illégaux aux membres de la coupole de cette formation politique de salaires complémentaires ou gratifications non justifiées. Les noms cités dans ces documents sont ceux de ministres, actuels et anciens, parlementaires, conseillers municipaux, maires de petites et grandes communes, entrepreneurs, et surtout celui de Mariano Rajoy, actuel président du PP et du gouvernement. C'est le «PP Gate» du 21e siècle, assorti de noms et prénoms et détails du mode de paiement de salaires parallèles, de dessous de tables, tous non déclarés au fisc. Jeudi dernier, El Pais a publié à la «Une» un sensible document qui met en cause la crédibilité du PP et dans lequel sont mentionnés les dons de plusieurs entrepreneurs remis à ce parti, dont certains sont impliqués dans des trames de corruption. De même, le document signale comment sont répartis ces dons entre les hauts dirigeants du PP. Que disent les «papiers» d'El Pais ? Tout simplement que la comptabilité «B» de Barcenas, l'ex-trésorier du PP, indiquent que Rajoy et la secrétaire générale du PP, Maria Dolores de Cospedal, recevaient des gratifications régulières du parti sans qu'elles soient déclarées au fisc. Rajoy recevait de manière régulière depuis 11 ans des gratifications de 25.200 euros par an, selon les livres de comptabilité secrète qui étaient en possession des ex-trésoriers du PP, Alvaro Lapuerta et Luis Barcenas, entre 1990 et 2009. Dans ces livres, sont notifiées les entrées de fonds (dons d'entrepreneurs) et sorties (versements aux membres de la coupole du parti et autres frais de fonctionnement) pour tous les secrétaires généraux et vice-secrétaires que le PP a connus. Parmi ces dirigeants, est mentionné le nom de Rajoy, écrit El Pais, qui a publié des manuscrits de registres comptables occultes du PP. «Cette comptabilité secrète est structurée en trois colonnes : une avec des dons faits au PP avec date, origine et quantité. Une autre colonne qui montre des versements avec le nom du destinataire, la date et la quantité d'argent reçu. Une dernière colonne avec le solde final des mouvements d'argent», lit-on à la Une d'El Pais. Selon le journal, le nom de Rajoy commence à paraître dans les annotations des livrets de comptabilité «B» en 1997 avec des versements semestriels de 2.100.000 pesetas ou trimestriels de 1.050.000 pesetas qui, à partir de 2002, sont réglés avec leur équivalent en euros (12.600 euros semestriels ou 6.300 euros trimestriels), mais sans que soit changé le montant annuel qui est de 25.200 euros. Ces paiements vont se poursuivre jusqu'à 2008, précise El Pais. La somme totale qu'aurait perçue le président du gouvernement est de 277.200 euros, durant 11 ans, entre 1997 et 2008. Dans les mêmes documents, viennent aussi les noms d'anciens vice-présidents du PP, tels Rodrigo Rato (ex-président du FMI et de Bankia) et Jaime Mayor Oreja (ex-ministre de l'Intérieur à l'époque d'Aznar) ainsi que ceux des secrétaires généraux (Francisco Alvarez Cascos, Javier Arenas, Angel Acebes et Dolores de Cospedal). El Pais précise que la comptabilité reflète des versements périodiques et continus depuis 1997 des mêmes montants et avec le nom complet de Mariano Rajoy et du reste des membres de la coupole du PP. Comme il était attendu, ceux-ci ont démenti les informations publiées dans El Pais et affirment n'avoir jamais touché des «paiements trimestriels ni semestriels du trésorier du parti et que tout ce qu'ils reçoivent du parti a été déclaré à l'agence des impôts» (lire en P 4). Ce qui est, en outre, scandaleux est que les documents auxquels a eu accès El Pais couvrent la période allant de 1990 à 2008, avec l'exception des années 1993,1994, 1995 et 1996. Les annotations font état de versements de gratifications périodiques à des membres de la coupole du PP à partir de 1997 avec José Maria Aznar à la tête de ce parti et une année après la victoire électorale (sur les socialités) qui l'avait porté au pouvoir. Parmi les annotations qui font référence aux recettes, figurent les noms de certains entrepreneurs et promoteurs immobiliers qui ont été impliqués dans un présumé scandale de financement du PP ou versement de commissions illégales pour l'obtention de marchés publics aux administrations territoriales dirigées par ce parti. Il y a quelques jours, les médias espagnols avaient fait état de la découverte d'un compte en Suisse de Luis Barcenas (l'ex-trésorier du PP), de 22 millions d'euros. Une mauvaise conduite à un mauvais moment Le président du PP et du gouvernement, Mariano Rajoy, a voulu prendre le devant de la crise provoquée par la divulgation de ce matériel hautement explosif en niant en bloc, dimanche lors d'une intervention devant les médias (sans question) le contenu des «papiers» relatifs à la comptabilité «B» de son parti. Il a particulièrement annoncé qu'il allait publier une copie de sa déclaration de rente (ou de biens) et que la comptabilité de son parti est transparente et soumise à un contrôle et une vérification par des audits. Devant l'abondance d'informations, de réactions et de commentaires, il est utile de tenter d'informer le lecteur marocain de ce qui se passe dans un pays où la conduite de ses hommes politiques n'est guère différente de celle de leurs collègues dans la rive sud de la Méditerranée. Donner des leçons sur l'éthique et la morale politique est devenue un exercice de vile valeur. En premier lieu, il est indispensable de savoir ce que Rajoy avait dit pour réagir aux fameux «papiers » d'El Pais. «Le PP n'a ni comptes dans un pays étranger ni donné des instructions de les ouvrir. Nous n'avons rien à voir avec le compte de Barcenas» (en Suisse), a dit Rajoy, qui a qualifié ces «papiers» de «scandale affectant des membres très significatifs du parti». Il a de même affirmé qu'il «ne connaissait pas les intentions non plus de celui qui manipule les données, ni de ceux qui les ont divulguées». Il a cependant rejeté tout ce qui le touche dans ces «papiers»: «ce qu'il m'attribue est faux. Je n'ai jamais reçu ni distribué de l'argent noir. Je le dis en toute sérénité. Je n'ai rien à occulter et je n'ai pas peur de la vérité. Je ne suis pas venu dans la politique pour me faire de l'argent ni tromper le fisc». Rajoy a dû intervenir, un dimanche matin, pour apaiser les esprits, tranquilliser ses adeptes et laver la face de son partit. Cependant, le déluge est fort à tel point que des dirigeants politiques du PP sont sortis de l'anonymat pour justifier publiquement les versements qu'ils avaient reçus, dénoncé la gestion des ex-trésoriers du parti ou tout simplement geler leur adhésion. Rajoy a aussi voulu assumer la responsabilité de maintenir la paix sociale et promettre qu'il allait continuer à gouverner : «(le PP) ne permettra pas qu'ils l'écartent de sa tâche, celle de représenter beaucoup d'Espagnols et défendre les intérêts de tous». Toutefois, les paroles de Rajoy n'étaient pas suffisantes pour apporter des éclairages sur le scandale politique et la corruption au sein de son parti. Des milliers de citoyens sont sortis dans la rue pour réclamer le départ du pouvoir de Rajoy alors qu'une pétition, pour réunir un million de signatures, est en train de circuler dans les réseaux sociaux pour demander la démission des dirigeants du PP ayant bénéficié de salaires illégaux et gratifications non justifiées. L'implication du PP dans la corruption politique n'est pas passée pas inaperçue eu égard à la monumentale étendue de la liste et de la qualité des personnes impliquées. Ce sont les médias étrangers qui ont saisi l'occasion pour critiquer un gouvernement qui opte pour l'application de programmes d'austérité budgétaire et en même temps encourage l'enrichissement illicite de ses dirigeants. «Rajoy, immergé dans un scandale de corruption», titrait vendredi à la Une le Financial Times alors que le quotidien britannique The Guardian parle de la soi-disant comptabilité «B» où «le président du gouvernement espagnol est accusé de versements de salaires secrets». The Washington Post se limite à écrire que les soi-disant salaires complémentaires est «le dernier scandale de corruption qui secoue l'Espagne» et qui concerne «une infinité de cas qui impliquent banquiers, hommes politiques, maires et même la famille royale». La BBC parle de «préoccupation» de certains dirigeants du PP «en ces difficiles moments que traverse l'Espagne». Pour Le Monde, cette affaire va souiller la popularité du Parti populaire parce qu'elle révèle l'existence d'une «caisse noire» au moment où le gouvernement Rajoy défend l'austérité pour faire face à la profonde récession et au taux de chômage le plus haut en Union européenne. Dans la vie réelle, de tous les citoyens en Espagne (y compris les immigrés), il y a à peine 30% de personnes qui déclarent être en mesure de finir le mois sans difficulté. Ceci signifie que 45% ont des citoyens ont des difficultés de joindre les deux bouts du mois et que 25% reconnaissent qu'ils ont toujours des problèmes de pouvoir faire face à toutes les dépenses du mois. Ces données ont été publiées, vendredi, dans une étude sur le comportement du consommateur financier de l'institut ADICAE à partir d'un échantillon de 1.651 citoyens de l'Espagne. Ce qui est surprenant dans cette affaire de corruption politique, est que le PP, qui a gagné il y a 14 mois les élections générales à la majorité absolue, se déclare une organisation politique résolue à éradiquer les mauvaises conduites dans le monde politique. Son crédo est de réduire le déficit budgétaire en invitant la société à consentir des sacrifices. Pour ce faire, et fort de sa majorité parlementaire, il a décidé de réduire les budgets destinés aux services sociaux, geler les salaires, introduire des hausses tarifaires des produits de grandes consommation (électricité, eau et gaz), augmentation de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), et à réformer le marché du travail. Un an après son arrivée au pouvoir, l'Espagne compte près de six millions de chômeurs et 1,8 million de ménages dont tous les membres sont en chômage. Avec la publication des «papiers» des ex-trésoriers du PP, Alvaro Lapuerta et Luis Barcenas, l'opinion publique espagnole et internationale a désormais une autre idée du gouvernement espagnol, du comportement de ses dirigeants et de sa conception de la chose publique.