Karima Ahddad, une jeune poète amazighe en devenir Malgré son jeune âge, Karima Ahddad a su apprivoiser l'un des genres littéraires les plus difficiles : la poésie. Ses poèmes écrits en amazigh ne laissent personne indifférent autant par leur côté esthétique que par le genre de thématiques qu'elle aborde. Dihya, comme elle aime être surnommée, la jeune poète, à la silhouette fine et au regard perçant, s'est forgé un style propre à elle. Elle surprend agréablement le lecteur avec des images poétiques authentiques et riches sur les plans émotionnel et littéraire. Le langage qui prédomine dans ses vers est inspiré, d'un côté, des éléments de la nature (le vent, la nuit, la pluie, le temps qui passe, le ciel, la mer, les éclairs, la lumière etc..), et de l'autre, des expériences humaines intimes: la solitude, la mélancolie, l'amour, la recherche de soi, la joie, la séparation. Cette jeune native d'Al Hoceima aime décidément «troubler» ses lecteurs. Elle mène un combat contre les tabous qui, selon elle, continuent de «gangréner» notre société. «Dans mes poèmes, j'aime perturber l'horizon d'attente du lecteur et le déranger par des sujets qui ne font pas l'unanimité», a-t-elle affirmé dans un entretien accordé à la MAP. Il est vrai que ses poèmes sont marqués un tantinet par un air triste et parfois mélancolique, mais ils distillent en filigrane un optimisme et une joie de vivre inavoués. «Beaucoup de mes poèmes dénotent d'un air mélancolique car il s'agit d'un état qui inspire et favorise la création poétique», dit-elle. Depuis qu'elle a commencé à écrire à l'âge de 13 ans, son plaisir pour la poésie n'a pas cessé de croitre. Sa première expérience étant un essai, elle a enchainé des nouvelles, des fictions, puis elle a plongé dans le monde de l'écriture poétique dès l'âge de 14 ans. Manis ditek u?u ya? (d'où vient ce vent ?) A?yyeq n tifawt (le déjeuner du matin), Nunja n idurar iyyugjen (Nunja des montagnes éloignées), Djirat s?uyyunt (les nuits qui crient), ar?em titawin-nnek, qa neb?a (ouvres tes yeux ! nous avons commencé), Ad iri? ! (j'existerais), Takesna n usife? amggaru! (la détresse des adieux), autant de poèmes qui revisitent les questions et les préoccupations universelles qui hantent l'humanité. «Un poète n'est pas censé écrire juste sur les choses qui l'intriguent, mais sur les grandes questions qui occupent l'esprit humain», signale la jeune hoceimie. On comprend mieux cette tendance universelle chez elle quand on jette un coup d'Âœil sur ses lectures: «Ahlam Mestghanmi, Gibran Khalil Gibran, My Ziada, Ghada al-Samman, Ghassan Kanafani, Najib Mahfoud, Abderrahman Mounif, Alfred de Musset, George Sand, Flaubert, sont tous des auteurs qui m'ont marqué», souligne-t-elle. Ce sont aussi des auteurs qui n'ont pas hésité à prendre la défense de la condition de la femme, une cause qui lui tient beaucoup à cœur. «En tant femme, il en découle de source que l'esprit féminin occupe tout l'espace de mes écrits», s'est-elle confiée, ajoutant qu'«une femme intellectuelle ne doit pas se cloisonner seulement dans un combat strictement féministe, elle doit embrasser l'ensemble des causes justes de l'humanité». Abordant le sujet du choix de la langue d'écriture, elle a noté que «ce qui compte est d'opter pour la langue qui permet de décrire le mieux les sentiments et les émotions qui nous traversent». Et en effet, pour elle, la langue amazighe remplit largement cette fonction et met à sa disposition un vocabulaire riche, difficilement traduisible dans d'autres langues. «La variante amazighe que j'utilise est certes le Rifain, mais j'emprunte parfois des termes propres à l'amazigh du moyen Atlas ou du Souss, au cas où je ne trouve pas d'équivalent en Tarifit, c'est aussi un moyen pour diffuser ces termes et favoriser la familiarisation des amazighophones avec les différents dialectes, a-t-elle dit. Manifestement, l'avenir de la poésie d'expression amazighe n'est pas compromis, au contraire il se révèle très prometteur dans la mesure où beaucoup de jeunes ont pris le relai et commencent à écrire en utilisant leur langue maternelle.