s'est incrusté dans tous les domaines : le politique, l'économique, le social, le culturel et même le religieux. L'informel se conjugue le plus souvent avec le système «D» (débrouillardise) ou avec le système «B» (bricolage). Intéressons-nous à l'informel dans l'économie en laissant les autres champs d'investigation, qui sont aussi importants pour une bonne maîtrise des mécanismes de fonctionnement de la société marocaine et de sa reproduction, aux personnes plus compétentes que nous en la matière. Ce secteur dit informel a fait l'objet de deux enquêtes nationales de la part de la Direction de la Statistique en 1999 et en 2007 et dont les résultats nous rapprochent un tant soit peu de cet univers aux multiples facettes et dont la logique de fonctionnement échappe aux analyses de type classique. Le Bureau International de travail s'y est intéressé en produisant des études qui ne sont pas dénuées d'intérêt, notamment pour procéder au benchmarking entre pays et différentes régions du monde. Nonobstant la confusion de la notion et la profusion des synonymes, un consensus s'est dégagé sur le contenu du secteur informel qui couvre toute une série d'activités ayant en commun les traits suivants : faible capital, peu de main-d'œuvre qualifiée, accès limité aux marchés organisés et à la technologie, revenus fragiles et irréguliers, conditions de travail généralement médiocres, échappement aux réglementations publiques et quasi-absence de systèmes officiels de protection sociale et de protection des travailleurs. Partant de cette définition, la dernière enquête de la Direction de la Statistique (2007) a dénombré plus de 1,5 million d'unités de production informelle (UPI), soit 320.000 unités de plus par rapport à 1999 ou l'équivalent de 40.000 unités additionnelles en moyenne chaque année. Ce qui montre bien que nous sommes en face d'un phénomène durable. D'ailleurs, il est symptomatique de relever que ce sont les régions les plus industrialisées, particulièrement le Grand Casablanca, qui concentrent l'essentiel des UPI ! C'est pour dire que le formel et l'informel se développent comme des «frères jumeaux». Cette conclusion est révélée également par le BIT qui reconnait que «l'informalité ne régresse pas nécessairement avec la croissance des pays ; plusieurs pays connaissent une informalisation croissante en dépit de bons résultats économiques». Ce secteur est caractérisé en outre par la prédominance de l'auto-emploi : les trois quarts des UPI sont réduites à une seule personne. D'ailleurs, la moyenne des effectifs employés par unité de production est à peine de 1,4 personne, soit un effectif global d'emplois de 2,2 millions représentant 37,7% de l'effectif non agricole total. Quant au chiffre d'affaires (CA) réalisé, il est estimé à 280 milliards DH, soit une moyenne de 180.500 DH. Cependant, cette moyenne cache de grandes disparités entre différentes unités allant de 1 à 138 entre le quintile qui réalise le CA le plus bas (4886 DH par unité) et le quintile qui réalise le CA le plus élevé (674.785DH). Ce dernier quintile s'accapare à lui seul les trois quarts de la masse totale du CA réalisé par le secteur informel. Ce qui montre, ceteris paribus, la concentration du «capital» dans le secteur. D'ailleurs, les données sur l'investissement confirment cet état de fait dans la mesure où 11,3% des UPI à peine ont pu investir au cours de l'année 2007. Notons, enfin, que les domaines de prédilection de l'informel sont le petit commerce et les activités de réparation. Ces données, qui restent à affiner davantage, peuvent constituer une base pour l'élaboration d'une stratégie d'intégration du secteur informel dans le secteur formel, comme il est prévu dans le programme gouvernemental. Une telle stratégie doit écarter, ipso facto, toutes les UPI de taille trop petite qui sont de simples activités de survie. En atteste le chiffre d'affaires ridiculement bas qui génère des revenus en deçà du seuil de pauvreté absolue ! La meilleure façon d'intégrer ces «entrepreneurs» dans le formel consisterait à leur assurer un emploi salarié permanent ou, le cas échéant, à les inciter à se regrouper dans des coopératives et associations de production et de services. Reste la forme supérieure de l'informel, qui constitue «l'informel du formel» pour ainsi dire, pour lequel une stratégie appropriée doit être élaborée. Celle-ci doit allier la carotte et la rigueur : la carotte consisterait à lui appliquer une «fiscalité douce» et une réglementation souple, ce que l'Etat fait depuis l'année 2012 à travers des mesures qui commencent à donner les premiers fruits ; la rigueur consisterait à appliquer la loi contre les entreprises récalcitrantes qui continuent de sévir en tournant le dos aux normes minimales de travail et en se dérobant de leur devoir fiscal ! Dans les deux cas, la pédagogie doit être de mise. Cette responsabilité incombe aussi aux entreprises exerçant dans le formel qui recourent à la sous-traitance auprès des entreprises informelles. Ces pratiques sont devenues monnaie courante par les temps (de crise) qui courent. La course derrière les profits, aussi légitime soit-elle, ne doit en aucune façon être un alibi pour violer les droits humains élémentaires. *Membre du Bureau politique du PPS et Professeur à la FSJES Rabat Agdal.