La Conférence de Marrakech sur la Syrie, tenue mercredi dernier, a marqué un grand tournant dans le dossier de la crise qui secoue ce pays de puis mars 2011, et qui a déjà fait plus de 42.000 morts. En reconnaissant en chœur la Coalition nationale syrienne (CNS) comme seul représentant légitime du peuple syrien, la rencontre du Groupe des amis de la Syrie a quasiment scellé le sort du régime de Bachar El Assad, dont les jours semblent désormais comptés. En effet, face à cet important soutien diplomatique, et alors que la rébellion armée gagne de plus en plus de terrain sur le plan militaire, le protecteur russe est en passe de jeter l'éponge. Répondant indirectement à l'appel lancé depuis Marrakech par le président de la CNS, qui a clairement invité Moscou à cesser de ramer à contre-courant de la communauté internationale, la Russie semble désormais encline à saisir la perche qui lui est tendue. Non seulement le président russe, Vladimir Poutine, s'est ouvertement défendu d'être l'avocat du régime syrien, mais son vice-ministre des Affaires étrangères en charge du dossier syrien, Michaël Bogdanov, vient de faire une déclaration sans équivoque. Cité par l'agence Interfax, il a déclaré jeudi dernier, soit au lendemain de la Conférence de Marrakech, que la Russie doit «regarder la réalité en face, puisque le régime et le gouvernement syriens perdent de plus en plus le contrôle du pays, au moment où une victoire de l'opposition dans ce conflit n'est plus à exclure.» Un aveu inédit, qui sonne comme une volte-face. Jusqu'ici, la Russie s'est montrée intransigeante dans la défense du régime syrien, bloquant au Conseil de sécurité de l'ONU toutes les tentatives d'adoption d'une résolution le condamnant. Même si la Chine a agi dans le même sens, par respect du principe de non-ingérence politique et militaire dans les affaires des autres Etats dont elle a fait la pierre angulaire de sa politique étrangère, la Russie, elle, en protégeant El Assad, défendait du même coup ses intérêts économiques et stratégiques dans la région moyen-orientale. Disposant de la principale et seule base aéronavale en Méditerranée dans le port syrien de Tartous, la Russie a aussi fait de la Syrie l'un de ses principaux clients en matière d'achat d'armement (un marché estimé à 4 milliards de dollars en 2010). Gâteau sur la cerise, Américains et Russes semblent aujourd'hui être d'accord pour que Lakdar Ibrahumi, le missi dominici de l'ONU, revienne à Damas dans une ultime mission. Celle de proposer à Bachar El Assad une sortie plus «digne» que celles Ben Ali, Moubarak, Ali Abdallah Saleh. Avant qu'il ne soit trop tard. Comme ce fut le cas pour Mouammar Kadhafi. Reste à savoir de quoi sera fait l'après Assad, puisque jihadistes et Armée syrienne de libération, actuellement unis dans le même combat, affichent déjà deux visions diamétralement opposées sur ce que sera l'avenir de la nouvelle Syrie. Pour les futurs rapports avec Israël qui occupe toujours le Golan syrien, ou avec le Hezbollah libanais et le régime iranien, ce sera une autre paire de manche.