Hégémonie «présidentielle» et institutionnalisation théorique des «pouvoirs» Serait-il raisonnable de parler de Constitution quand l'Etat n'existe pas ? En droit constitutionnel, la déraison n'a pas droit de cité. La Constitution est un acte fondateur. Pour pouvoir s'en prévaloir à bon escient, des conditions de fond s'imposent en l'occurrence l'existence d'un territoire historiquement connu et reconnu, d'une population cimentée par un sentiment national comme par sa libre adhésion à un ordre étatique, d'un gouvernement légitime et capable d'administrer le territoire, et d'une souveraineté sur laquelle ne pèse aucun vice de reconnaissance internationale. Il se trouve qu'aucun de ces quatre critères ne se vérifie dans l'hypothèse de la «République arabe sahraouie démocratique - RASD». Autant dire que la discussion sur la «Constitution» sahraouie confirme, de par son caractère factice et apocryphe, la facticité même de la «RASD ». L'ordre constitutionnel n'ayant d'effectivité que nominale, il va sans dire que les développements qui suivent ont un caractère purement spéculatif qui ne préjuge en rien de l'existence d'une entité étatique à Tindouf. D'ailleurs, il serait même dangereux pour l'Etat algérien de souscrire à cette aberration : reconnaître l'existence d'un autre «Etat» sur son territoire, n'est-ce pas mettre en cause sa propre souveraineté sur ce territoire ? Par-delà ces observations liminaires, un des premiers commentaires qui s'imposent à la lecture de la «constitution» polisarienne est l'absence de principes et de «garanties procédurales» à même d'assurer un fonctionnement juste et équilibré des «institutions». Ladite «constitution» ne fait, à cet égard, mention ni de la «séparation des pouvoirs», ni de la « démocratie participative », ni de la «reddition des comptes» ni de la «gouvernance territoriale» comme référentiels structurants. Bien au contraire, l'impression prévaut que toute la volonté du «constituant» de Tindouf a été de mettre la fonction « présidentielle » au-dessus de l'édifice politique, le moyen pour y parvenir étant l'arrimage étroit de tous les «organes» à la personne du « chef de l'Etat ». Cette observation est vraie aussi bien du «pouvoir législatif» que des autres «organes exécutifs, judiciaires et consultatifs». On en voudra d'abord pour preuve la manière dont le « constituant » polisarien a aménagé l'hégémonie « présidentielle » ; aménagement qui n'est pas sans rappeler les excès de certains régimes présidentialistes de la région et dont certains sont déchus à jamais. Le premier argument à cet égard a trait au silence gardé concernant les conditions de l'exercice de la fonction de « chef de l'Etat ». Les auteurs de la « Constitution » ayant délibérément évité d'indiquer la durée et le nombre des mandats « présidentiels », tout prédispose le « chef de l'Etat » à briguer autant de « mandats » qu'il le souhaite. On est ici de plain-pied dans la logique de la «présidence à vie», logique qui explique, d'ailleurs, pourquoi c'est toujours le même personnage qui gouverne en maître absolu depuis la création, il y a bientôt quatre décennies, de la république fantoche sur le territoire algérien. Mais, il est un autre indicateur, et non des moindres, qui en dit long sur l'absence de pré requis «constitutionnels» au niveau de la fonction du «chef de l'Etat». À tous égards, la nature et l'ampleur des «prérogatives» accordées à ce dernier ne laissent aucune place aux autres «organes». Il n'est que de lire le premier «chapitre» de la « Constitution», dans sa mouture la plus récente, pour observer que celle-ci investit le «chef de l'Etat» de toutes les «prérogatives» essentielles dans les domaines, «gouvernemental, administratif, diplomatique et militaire» et lui réserve des marges d'intervention extrêmement confortables en matière «législative et judiciaire». On ne s'arrêtera pas, dans le présent article, sur l'absence de mécanismes de «responsabilisation» du dirigeant suprême de la « RASD», ni sur la confusion grossièrement entretenue entre la qualité de «chef de l'Etat» et celle de « Secrétaire général du Front Polisario» (article 51), confusion qui entérine la posture scandaleuse du parti-Etat. Pas davantage qu'on n'évoquera ici les écarts saisissants entre le texte et la réalité. Les développements qui suivent ont, tout juste, pour objet de souligner, à travers l'examen des rapports entre le « chef de l'Etat » et les autres « organes », l'absence de garanties minimales pour un fonctionnement démocratique du système polisarien. On peut d'abord rendre compte du caractère asymétrique des relations entre le «chef de l'Etat» et les autres «institutions» à travers le statut du «conseil national sahraoui» qui passe pour être «(...) l'instance législative du pays» (article 72). L'agencement même des «chapitres» de la « Constitution » laisse clairement apercevoir une certaine volonté de déclassement de cet «organe». Il n'est que d'examiner la rédaction du titre III, libellé, « Organisation des pouvoirs», pour s'en convaincre. Ainsi, s'il est normal, dans un régime bafouant les principes élémentaires de la démocratie parlementaire, de voir le «chef de l'Etat » figurer au premier chapitre (section 1) comme organe constitutionnel, rien ne semble justifier, au regard des pratiques constitutionnelles modernes, la préséance accordée au «gouvernement» (section 2 du chapitre 1) aux dépens de l'institution «législative» (chapitre 2) qui est pourtant censée « assumer des fonctions de contrôle» sur les autres instances (article 72). Par ailleurs, une des incohérences les plus criantes du «constitutionnalisme» polisarien est que ce dernier proclame vainement son adhésion au principe de « souveraineté populaire» en stipulant que «(...) la souveraineté appartient au peuple, qui est la source de tout pouvoir» (article 8). Cette profession de foi ne trouve d'écho nulle part dans la «Constitution» polisarienne. Pour preuve, la «loi» est publiée au nom du « chef de l'Etat » (article 56) là où les canons universels de la démocratie constitutionnelle veulent que la loi soit l'expression de la volonté générale du peuple ou de la nation souveraine. Le même mépris de la souveraineté populaire se perçoit, de façon non moins scandaleuse, au niveau de l'article 82 selon lequel «Le député est responsable devant ses collègues, qui peuvent le déposséder de ses fonctions de député (...)». Cette disposition intempestive représente pour le moins une violation de deux principes universels : d'abord, le parallélisme des formes qui implique que la destitution d'un député relève de la seule autorité d'investiture, en l'occurrence les électeurs ; ensuite, le principe de souveraineté populaire selon lequel les députés défaillants ne peuvent être sanctionnés que par le corps électoral par voie de suffrages libres et transparents. Le déséquilibre entre le «chef de l'Etat» et l'organe «législatif» transparaît, en outre, à travers l'exercice par ce dernier de certaines de ses «fonctions». Il en est ainsi de la «fonction de contrôle» qui passe pour être une prérogative essentielle des parlements modernes. Ainsi, si ladite « Constitution» (article 96 à 100) reconnaît au « conseil national » la faculté de retirer sa « confiance» au «gouvernement » en votant une « motion de censure », l'article 101 vide cette faculté de sa substance puisqu'il en soumet objectivement l'« exercice » à la discrétion du « chef de l'Etat ». Dans le cas d'espèce, ce « dernier » dispose, non seulement du « droit » de demander au « conseil national » de revenir sur sa « décision », mais aussi d'une arme fatale pour forcer les « députés » récalcitrants à céder, l'article 101 habilitant le « chef de l'Etat» à procéder automatiquement à la « dissolution » du «conseil national» au cas où ce « dernier» persisterait dans le maintien de sa « décision». C'est alors que l'on saisit la vraie signification de l'article 64 selon lequel «Le gouvernement est (...) responsable devant le chef de l'Etat.», responsabilité univoque qu'on ne saurait admettre qu'au mépris de l'institution parlementaire et de ses prérogatives universellement admises en matière de contrôle sur l'exécutif. Des observations analogues en termes d'hégémonie présidentielle s'imposent concernant les rapports entre le «chef de l'Etat» et le « gouvernement ». Ainsi, par-delà les prérogatives de «nomination», de «révocation» et de «contrôle» qui aménagent au profit du « chef de l'Etat » un large «pouvoir» d'action sur l'«exécutif», ce «dernier» se trouve objectivement sous la coupe du «chef de l'Etat» qui dispose de « prérogatives» assez fortes pour tirer les ficelles du «régime». Le « gouvernement » n'est pas le pouvoir exécutif comme cela se doit entendre dans un régime respectueux de la séparation des pouvoirs, mais tout simplement «l'appareil exécutif» qui assume la «responsabilité» de «(...) l'exécution des programmes, des lois et des règlements (...)» (article 64). Cela ressort d'ailleurs du qualificatif choisi par les auteurs de la «Constitution» pour désigner les actes du «premier ministre», dits «décrets exécutifs», et explique l'absence du « pouvoir réglementaire autonome» comme attribut essentiel de l'exécutif dans les démocraties modernes. D'ailleurs, les « amendements » apportés au texte « constitutionnel » depuis le mois d'octobre 2003 ont renforcé l'arrimage de l'« exécutif » entier à la personne du « chef de l'Etat », marquant ainsi une nette régression par rapport au « texte » de 1999. Depuis cette «révision», «les attributions du gouvernement, l'organisation des ministères, les attributions et les fonctions des ministres» ne sont plus définies par une « loi » comme par le passé, mais désormais par des «décrets présidentiels» (article 68). Ceci consacre de facto la mainmise du «chef de l'Etat» sur le «gouvernement» tout en réduisant à sa plus simple expression la « séparation des pouvoirs» au niveau de ces deux organes. Constat d'autant plus probant que la «Constitution» ne prévoit, au profit du «gouvernement», aucun mécanisme «constitutionnel» ni marge d'action réelle dont on pourrait tirer l'existence d'une quelconque «subsidiarité» au niveau des rapports entre le «chef de l'Etat» et le «premier ministre». Ni la pratique du «contreseing » qui est un point d'équilibre entre le «chef de l'Etat» et le «chef du gouvernement» en régime démocratique, ni celle de la «consultation» que requiert l'existence même d'un «premier ministre», ni encore celle de la «délégation » qui devrait avoir pour but de décongestionner le fonctionnement de l'« exécutif » ne sont repérables dans la «Constitution» polisarienne. Pis encore, « celle-ci » va à contre-courant de toute logique de subsidiarité en excluant, de façon formelle, toute « délégation de pouvoir » du «chef de l'Etat» vers le «premier ministre». Le « chef de l'Etat », lit-on dans l'article 60, «(...) ne doit en aucun cas déléguer son pouvoir de nomination du Premier ministre et les autres fonctions énoncées dans la Constitution». Le seul cas où le «texte» de 1999 évoquait l'hypothèse de la «consultation» l'était dans le sens inverse. Il s'agissait, aux termes de l'article 54, du choix par le «premier ministre» des membres de son «cabinet», lequel choix ne pouvait aboutir qu'en consultation avec le «chef de l'Etat». Au niveau du «pouvoir judiciaire», les «amendements » apportés récemment au texte «constitutionnel» de 2003 sont porteurs de régressions lourdes de conséquences. A tous égards, le grand perdant du rendez-vous de Tifariti, ayant eu lieu en décembre 2011, fut le principe de «séparation des pouvoirs» qui se voit ainsi bafoué de la manière la plus fâcheuse. Pourrait-on se réclamer encore de la «séparation des pouvoirs» et de l'«indépendance de la justice» lorsque c'est le « président de la RASD », organe majeur du « pouvoir exécutif », qui préside l'«instance suprême de l'appareil judiciaire», en l'occurrence le «conseil supérieur de la justice» ? «Amendement» d'autant plus regrettable que, désormais, ce n'est plus au « président de la cour suprême» qu'échoit la présidence de ce « conseil» comme le stipulait l'article 121 du « texte » de 2003, mais au «chef de l'Etat» qui, du reste, nomme une bonne partie des membres de cette «instance» ainsi que de nombreux membres de la « cour suprême » dont son «président». On le voit bien, la volonté d'arrimer les « institutions » à la personne du « chef de l'Etat » est sensible même dans la fonction « judiciaire ». Oserait-on alors parler de «Constitution» et, a fortiori, d'«Etat libérateur» ? Les événements du «Printemps arabe» recèlent une partie de la réponse. Les vents ont vigoureusement soufflé au Nord avec les résultats que l'on sait. Rien ne semble indiquer que le Sud saura échapper indéfiniment à l'épreuve. Professeur à la faculté de droit de Rabat-Agdal Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales* *Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.