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LE ROI, CHEF DU CHEF DU GOUVERNEMENT.
Publié dans Lakome le 27 - 06 - 2011

Encore une fois, le souverain rate un rendez-vous unique avec son destin politique, tout comme son prédécesseur le roi Hassan II l'avait raté, alors qu'il était un connaisseur de l'histoire des monarchies Arabes et mondiales, dont certaines ont vécu des moments tristes avant leur fin tragique. En effet, à l'heure du déclin, elles n'ont trouvé pour les soutenir ni armée, ni organes sécuritaires, ni forces spéciales, ni festivals, ni partis dociles, ni commission de révision constitutionnelle, ni conseillers, ni médias officiels, ni courtisans obséquieux. Tout ce folklore et cette hypocrisie politique et sociale s'évapore et disparaît, laissant la monarchie dans un vide temporel et existentiel, marchant seule pour mourir seule.
Les forces politiques hypocrites tels les partis et les élites corrompues s'entêtent à vouloir convaincre le peuple et ses forces nationales et patriotes que la démarche du pouvoir en matière de révision constitutionnelle comporte des concessions royales généreuses et historiques, qu'il s'agit d'un tournant majeur dans notre vie politique et constitutionnelle et que ce document émane vraiment du peuple et constitue un pacte avec le trône, capable d'ouvrir la voie à un Maroc démocratique et une monarchie parlementaire. En un mot, elles veulent le persuader des vertus d'une marchandise périmée avant même d'être produite.
Ils ne veulent pas qu'on mette en cause la méthodologie de désignation de la commission de révision de la Constitution ni le mécanisme politique désigné pour contrôler ses travaux et qui a eu le dernier mot pour triturer le texte constitutionnel remis par la commission qui avait fini son travail après avoir écouté partis, syndicats et associations. Nous ne reviendrons pas non plus sur la méthodologie de travail de la commission et l'immense pression subie par les partis et syndicats en raison du calendrier très serré qui leur a été imposé.
Nous n'allons pas non plus nous étaler sur les irrégularités constitutionnelles et juridiques commises par le roi lorsqu'il a annoncé qu'il votera « Oui » dans un discours à la nation, alors que les discours royaux évoquent la volonté du peuple et que ce projet émane du peuple.
Revenons au projet de Constitution et son chapitre I consacré à la nature du régime défini comme « une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale ». La revendication actuelle majeure du peuple marocain et ses forces nationales, exprimée par le mouvement du 20 février et tous les autres mouvements de changement social et politique dans le sillage du printemps arabe, est l'établissement d'une monarchie parlementaire où le roi règne et ne gouverne pas.
Cette dernière phrase n'est pas destinée à discréditer la monarchie ni diminuer le respect du au roi : elle vise au contraire à assurer la longévité de cette monarchie et la confirmation de ce respect. En effet, le roi du Maroc, comme tout roi, ne peut être soumis ni à la reddition des comptes ni sommé de s'expliquer et encore moins à être sanctionné. Cet exercice concerne les élus du peuple : premier ministre, ministres, parlementaires, membres des conseils régionaux, provinciaux et communaux, car ils ont reçu ainsi un mandat en échange d'un programme politique, un agenda de mise en œuvre et un cahier des charges couvrant les domaines social, économique et celui des service.
Comment parler de monarchie constitutionnelle quand les prérogatives du roi et ses décisions dominent tous les pouvoirs et ne sont soumises à aucun contrôle de la part des représentants de la nation, sa justice et ses institutions constitutionnelles ? Ces décisions restent en dehors du périmètre constitutionnel, notamment le titre Amir Al-Muminin et autres articles de la Constitution aux multiples interprétations ?
Comment parler de l'indépendance de la magistrature quand le roi préside à la fois le Conseil des ministres, qui est le plus haut pouvoir exécutif, et le Conseil suprême de l'autorité judiciaire, sapant le principe de la séparation des pouvoirs ?
Comment parler du renforcement de l'institution du chef du gouvernement et de l'élargissement de ses prérogatives quand les orientations stratégiques de la politique de l'Etat restent du ressort du Conseil des ministres présidé par le roi et quand les pouvoirs dévolus au chef du gouvernement (la nomination des walis, gouverneurs, directeurs de l'Administration centrale, ambassadeurs) restent soumis à l'approbation du Conseil des ministres présidé par le roi, sans parler de « liste civile », qui demeure une prérogative royale ?
Comment parler de démocratie et de respect de la volonté du peuple lorsque le roi nomme un chef de gouvernement élu par le peuple et écarte des ministres choisis par le peuple, après consultation du chef du gouvernement. Ce dernier, dont on nous dit que ses pouvoirs ont été élargis, ne peut pas congédier un ministre qu'après le feu vert royal, ce qui est constitutionnellement logique car c'est le roi qui nomme les ministres. L'autorité investie du pouvoir de nomination est aussi l'autorité qui peut révoquer la nomination, conformément au droit administratif.
Nous sommes en présence d'un gouvernement désigné et non pas élu et d'une monarchie exécutive et non pas parlementaire, et une volonté royale qui conduit et dirige les affaires de l'Etat en l'absence de la volonté populaire déléguée à un gouvernement élu et responsable, que le peuple peut confirmer ou sanctionner via ses députés au parlement ou directement à travers des urnes. Le rôle du roi dans une monarchie parlementaire, toutes les monarchies parlementaires, au sujet de la nomination du premier ministre après que son parti ait obtenu la majorité des voix exprimées dans les élections législatives, est un rôle protocolaire et non pas hiérarchique.
Comment parler du libre exercice des cultes quand le chapitre 41 désigne le haut Conseil des Oulémas, présidé par le roi, comme « le seul organe qualifié pour émettre des fatwas » ? Les grands savants et jurisconsultes de la nation islamique ont rejeté, à travers l'histoire ce type de restriction pour imposer une vision unique : L'imam Mâlik ibn Anas, fondateur du rite Malékite qui est pourtant la doctrine officielle de l'Etat marocain, a lui-même refusé que son propre ouvrage de droit « Al-Muwatta » soit imposé par la force de l'Etat !!
Comment le projet de Constitution peut-il stipuler au chapitre 7 que "le système de parti unique" n'est pas légitime, puis venir au chapitre 41 imposer à la nation une seule et unique compréhension de l'Islam et de ses objectifs majeurs et limiter la capacité à produire des avis consultatifs aux oulémas de la Cour en décrétant que le dernier mot au sujet de la chose religieuse est un monopole du roi en sa qualité d'émir des croyants ?
Comment le roi peut-il être l'arbitre suprême entre les institutions de l'Etat alors qu'il est partie prenante dans l'action politique, et même la partie qui domine tous les autres pouvoirs et l'acteur majeur dans la gestion des affaires de l'Etat sur le plans politique, militaire, judiciaire, religieux, économique et social ?
Dans un Etat de droit et des institutions, une seule personne ou des personnes, ne peuvent pas à la fois veiller au respect de la Constitution et au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la sauvegarde du choix démocratique et des droits et libertés des citoyens et des groupes de citoyens et au respect des engagements internationaux et garantir l'indépendance du pays, conformément au chapitre 41.
Ce type de prérogatives et des pouvoirs aussi étendus n'existent pas dans une monarchie parlementaire mais dans une monarchie exécutive absolue de droit divin.
Comment dire que le peuple est la source de la volonté et de légitimité de base quand les chapitres du projet de Constitution signifient que le roi est à l'origine de tout le système politique marocain et de l'Etat du Maroc, et que c'est autour de lui que pivote la vie et l'existence des Marocains tout comme leur inexistence? Sachant que le roi exerce ces droits absolus par le billet de ses dahirs (décret royal) non passibles d'appel auprès des tribunaux de l'Etat. Où est l'Etat des institutions, où est le contrôle législatif, où se cache l'indépendance de la justice et que reste-il de la primauté du droit ?
La lecture du projet de Constitution révèle les objectifs du régime politique : contourner la crise et essayer de s'en sortir à moindre frais. La crise est la sienne, c'est son incapacité à évoluer vers la démocratie et de répondre aux revendications des citoyens en particulier celle d'une monarchie parlementaire où le roi ne règne sans gouverner et le combat contre la corruption. Ainsi il a produit un texte constitutionnel loin de la philosophie et du langage constitutionnel et qui n'est pas de nature à poser les bases d'un projet de société capable d'améliorer la vie des Marocains sur les plans politique, culturel, social économique et sécuritaire.
Les compétences à qui la mission de rédiger ce texte a été confiée, qu'ils soient des spécialistes de la matière ou des amateurs, appuyés par élites partisanes corrompues qui préfèrent trahir l'avenir du Maroc en se compromettant avec le régime pour faire passer ce texte périmé en contrepartie de compensation financières immédiates et positions politiques lors des prochaines élections législatives, ont réussi le tour de force de produire un fourre-tout : religion, politique, langues, traditions, sécurité, jeunesse, femmes, famille, ainsi que les dimensions Africaine, Arabe, Islamique, Andalouse, Hassani, Amazigh et Hébraïque, en plus de la balkanisation de compétences entre le roi et les autres institutions constitutionnelles.
C'est un labyrinthe ou une équation mathématique sans solution. Le but de cette manœuvre est de noyer le poisson et camoufler les multiples pouvoirs du roi en créant un nuage d'institutions sous sa présidence, en vue de vider l'action du gouvernement de son contenu. Le roi ne se rend pas compte de l'impasse politique dans lequel l'ont coincé les rédacteurs de ce document dont l'architecture concède par une main ce qu'elle reprend par l'autre, ainsi que les partis et organes qui ânonnent ses louanges et chantent les vertus de ce document constitutionnel corrompu.
Probablement le référendum sera en faveur de la constitution royale et probablement les obséquieux de différents organes et les médias officiels se précipiteront pour annoncer la bonne nouvelle au roi.
Néanmoins, il serait dangereux de croire que la page de la contestation sera ainsi tournée et que les Marocains vont facilement avaler cette couleuvre, après avoir manifesté pacifiquement depuis le 20 février 2011 et subi les multiples violences de l'état et souffert d'une répression qui entrainé parfois la mort, sans parler des droits civiques élémentaires bafoués. En s'entêtant à croire que son astuce a marché, le pouvoir montre qu'il ne comprend rien aux réalités historiques et politiques du printemps arabe et ses interactions avec le reste du monde alors que des régimes sont tombés et d'autres sont en voie de tomber. Le pouvoir au Maroc peut certes gagner une bataille mais ne gagnera pas la guerre.
Ceux qui prétendent, au sein des partis et autres organes hypocrites, qu'ils sont plus royalistes que le roi, lui rendent un bien mauvais service ainsi qu'à la monarchie à qui ils offrent des cadeaux empoisonnés. Personne ne peut être plus roi que le roi lui-même. De ce fait, le roi Mohammed VI reste seul responsable de l'avenir du trône Alaouite. Personne au Maroc ne peut décider avec lui ou contribuer à la survie du trône, (il en a toujours été ainsi lors des règnes des différentes dynasties à travers l'histoire du pays) sauf les Marocains qui exigent aujourd'hui une monarchie parlementaire où le roi règne et ne gouverne pas. Si, le 1er juillet, ils disent « non » au projet de Constitution, cela signifie « non au roi ».
ancien diplomate


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