Al Adl wal Ihsan continue le jeu des lettres et des conseils Après les célèbres lettres d'«Al Islam ou le déluge» et «A qui de droit» qu'Abdessalem Yassin, chef spirituel du mouvement politico-religieux, avait adressées respectivement en 1975 au roi défunt Hassan II et au début du millénaire au Roi Mohammed VI, voilà qu'une troisième lettre intervient pour défrayer la chronique. Cette fois-ci, c'est son gendre (mari de Nadia Yassin), et l'un des puissants dirigeants de cette formation, en l'occurrence Ahmed Chibani, qui prend l'initiative. Différence de taille : la lettre est adressée au chef de gouvernement Abdelilah Benkirane ! Avec également un caractère saillant et remémoratif, qu'elle est adressée dans un cadre fraternel et amical. Chibani qui semble parler, en l'absence politique d'Abdessalem Yassin, au nom de son mouvement, la débute par la formulation : «Cher frère». Mais loin des messages politiques que la formation, interdite mais tolérée, a voulu transmettre, il y a lieu de s'arrêter sur un point essentiel : Le projet de société requis par Al Adl wal Ihsan. Les informations relatives à des pourparlers secrets entre l'Etat et la formation d'Abdessalem Yassin au sujet de la participation au système politique, en se transformant en un parti complètement légal, semblent avoir encore une fois buté sur des handicaps d'ordre idéologique. Un projet donc reporté... Les frères d'Al Moutrawakkil doivent attendre encore. Mais s'il y a une chose qui a retenu l'attention de bien d'observateurs politiques et civils dans la lettre, c'est bien cette notion d'«Etat du Coran». Une notion qui doit avoir des suites, au niveau de l'exégèse et de l'interprétation politique et jurisprudentielle. Bref, «c'est quoi un Etat du Coran, quels sont ses fondements et ses institutions ?». Outre les incitations et conseils prodigués au chef du gouvernement pour appliquer les axes principaux des programmes autrefois évidences chez les islamistes, ou carrément passer à la démission en cas d'incapacité, Chibani a ainsi dévoilé le stratagème que le mouvement a voulu occulter ou simplement faire passer sous silence, lors de la dynamique sociale et politique qu'a connue le Maroc, avec le mouvement 20 février. Tout le monde se rappelle ainsi que le débat sur l'Etat civil et religieux avait subitement émergé à la surface et que l'un des ténors de cette formation islamiste, à savoir Moutawakkil, chef du cercle politique de la Jamaâ et membre du conseil d'Al Irshad, avait déclaré que les siens étaient d'accord avec un Etat civil. Démagogie ? Manœuvre politicienne ? Conviction ? En fait, Chibani, l'un des plus proches membres de la Jamaâ des Yassin, a en quelque sorte rappelé au chef de gouvernement son acharnement à effacer la notion d'«Etat civil» des termes explicites de la Constitution approuvée en juillet 2011. Une question se pose et s'impose donc : comment donc comprend-on cette volte-face ? Y a-t-il deux points de vue au sein de la Jamaâ d'Adl wal Ihsan ? Ou tout simplement cette position n'était-elle qu'une manière de calmer les esprits de ceux qui étaient prêts à y croire aveuglément ? A l'époque, les reproches émis par une partie des démocrates et modernistes aux formations politiques légitimant l'action adliste pour un Etat religieux s'articulaient exactement sur ce point, à savoir le projet de société requis par les parties désirant le changement dans le pays ? Quand on revient aux positions des deux dirigeants, l'on se rend compte que la première, à savoir celle d'Al Adl wal Ihsan en faveur d'un Etat civil, n'était que démagogie, car visant à calmer la psychologie des foules et des autres partis politiques.