En souvenir d'amis défunts, tu tais, à l'ombre de tes cils, un chagrin innombrable. Tu imagines tes pleurs délébiles, ta tristesse taciturne et le sanglot de tes entrailles indolent. Traître est le tourment qui, dans tes mots, choit. Le tocsin de ton cœur tressaille, dans tes yeux, lancinant. Pétulant est ton émoi. Te plaindrai-je à la colombe d'Abou Firass Al Hamadani? La flûte orpheline ne languit plus d'une ardente mélancolie. Nul vent ne compatit à la complainte du roseau en sang. La phalène, désenchantée, dédaigne le feu nocturne et l'embrasement de l'aimant. Le soleil tarit dans les coupes et le nuage s'épand ternissant sur le vallon. La taverne se dépeuple et les jours s'effeuillent au rythme des violons en toutes saisons. Nous sommes fugaces, semblables à la sauge. A l'unisson, la soif dans les paumes, point un soupir dans les tréfonds de chacun : «Je me suis égaré au sein de moi-même, je suis perdu J'étais un embrun de la mer, dans la mer je me suis englouti»* Le bel ami de l'amitié s'est éteint, noble comme une étoile, à l'aurore ensoleillée. En ces bleuissons, nous sommes seuls comme linceuls dans leur inépuisable nuit. A sa mémoire, Casablanca pend comme une immense peine. Nos cent pas dans ses avenues étaient des hymnes à sa splendeur bleuie. Casablanca était un chant d'enfance odorant comme le basilic dans des demeures constellées de lauriers et de figuiers. Un ballon rond teinté de songes ondulants. Une promesse vive comme une table d'écolier. Casablanca était une pomme à consommer jusqu'à l'aube bégayante au gré du murmure suave des vagues du vert océan. Un baptême d'odes et de mélodies, de gouttes de pluie printanière, de souffles scintillants d'été. Un havre de la volupté pourpre de l'eau de la vigne au cœur de la complicité. Le bel ami de l'amitié n'est plus. Au seuil de l'imploration nous sommes reclus. Casablanca n'est plus qu'un vin aigre sans compère. Un fruit âpre teint de cendres. Un vers d'oraison amère. Des dépouilles des pétales d'antan et des larmes de la treille jaillit une ultime flamme en hommage au bel ami qui nous console sans guérir nos adieux désolés. * ces vers sont de Faridu Din Al Attar, poète soufi qu'appréciait le défunt.