A travers son émission littéraire « Macharif », l'animateur mais avant tout homme de lettres Yassin Adnan a donné une nouvelle impulsion au débat sur la modernité, notamment la modernité politique. Accueillant le penseur et sociologue Mohamed Sabila, Yassin Adnan s'est interrogé sur cette lenteur que connait la modernité politique de prendre forme, sinon pourquoi la classe politique prend du temps à libérer ce champ des spécificités et à lui donner son sens le plus profond dans un univers ouvert et interdépendant. Il a aussi mis la main sur cette relation rarement amicale entre l'élite politique et l'élite culturelle. Face à ces questions, le penseur Mohamed Sabila n'a pas mâché ses mots. Pour lui, si la modernité techniciste s'est imposée, au fil des jours, la modernité politique est liée, quant à elle, à une dynamique et à des facteurs plus profonds, mais aussi plus complexes. Il s'agit non seulement des changements sur le plan culturel, mais aussi des changements sociaux de la société en elle-même qui ne vont pas avec la même vitesse de la modernité technique. L'élite politique ne détecte que partiellement les fondements du discours de la modernité, parce qu'elle reste toujours liée aux forces conservatrices. Elle demeure ainsi déchirée entre une dynamique de changement d'une part, et d'une dynamique réactionnaire et pour le moins conservatrice. En cela, Sabila s'est attardé sur cette relation conflictuelle tacite entre l'élite politique et l'élite intellectuelle, notamment sa partie moderniste. Il s'agit, en fait, de deux choix, deux options. L'élite culturelle et intellectuelle reproche à l'acteur politique d'être trop pragmatique et de se soumettre à des données faciles à surmonter, puisque ne représentant pas les aspiration de l'avant-garde sociétale à même de réaliser des percées dans l'histoire, du point de vue de l'intellectuel. De l'autre côté, l'élite politique accuse les intellectuels d'être trop lents dans leurs réactions face aux faits progressifs qui prennent place dans la société. Le bras de fer va jusqu'à accuser les intellectuels de nihiliste et de scepticisme, et par conséquent « entravent les programmes politiques prometteurs à même de moderniser le pays ». Ce doute systématique de l'intellectuel dans tout ce qui est politique vient du fait que l'acteur culturel et intellectuel estime que les slogans et devises politiques ne sont qu'une manière visant à justifier et à expliquer vainement des décisions « pragmatiques et conservatrices ». Cette dimension critique de la part des intellectuels n'est aucunement acceptée par les acteurs politiques, qui n'y voient qu'un nihilisme manifeste. Certes, l'un des aspects faisant montre du succès de l'action politique reste ce contact continu et organique avec la réalité, le quotidien et le niveau d'instruction des masses, mais il faut dire, explique Sabila, que les élites politiques, du moins dans le passé, est en contact avec un niveau d'instruction très élevé. Il n'est pas possible pour des élites non instruites, du moins un niveau donné, de décortiquer la réalité dans une société de plus en plus complexe. Cela nous amène à la question d'existence ou non d'un débat public. Dans ce cadre, Sabila n'est pas sûr de ce fait. « Je ne peut trancher de l'existence d'un réel débat public, pour plusieurs raisons, d'abord on n‘est pas arrivé à rationnaliser le champ politique et on n'accepte pas encore les reproches et critiques des autres, ce qui nous laisse proie à la pensée unique. Par contre, nous étions contents de voir plusieurs intellectuels et universitaires s'impliquer dans le débat sur la constitution, même si c'est encore sous la même tente de la pensée unique qui a certainement peur de la différence, estime le penseur.