La brigade nationale de police judiciaire poursuit son enquête dans ce qui est devenu « l'affaire Comanav-Comarit-Tanger Med ». Au moment où nous écrivons ces lignes, Taoufiq Ibrahimi, ancien patron de la Comanav, et plusieurs prévenus sont entendus par le procureur du Roi. Comme c'est permis par la procédure pénale, la période légale de détention de 48 heures a été prorogée de 24 heures pour complément d'enquête. Pour l'heure, on ignore la nature des charges retenues contre les principaux prévenus. En principe, c'est le juge d'instruction qui diligente cette enquête judiciaire, en concertation avec le procureur du Roi. On ne sait pas encore si l'enquête aboutit à des charges sur quelques chefs de poursuite. Auquel cas, il rend une ordonnance de renvoi devant les juridictions pénales qui vont décider de la mise aux arrêts (détention préventive) ou de la liberté provisoire. Tout dépendra des charges retenues (crime financier) ou délit commercial. Pour l'heure, rien ne filtre et le procès, au sens juridique stricto sensu, pourrait être entamé demain. Cette « affaire », dont les ramifications remontent à 2007, année de la cession de la compagnie marocaine de navigation au Groupe CMA-CGM, que préside Jacques Saâda, un Français d'origine libanaise, laisse planer un air de confusion, tant en ce qui concerne sa restructuration que les actes de due diligence. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Aujourd'hui, les langues se délient et la presse en fait ses choux gras. Taoufiq Ibrahimi, un des personnages dominant de l'establishment, se fait écroué, cela relève de l'exceptionnel, pourrait-on dire. Les observateurs sont quelque peu perplexes. Mais, il y a une série d'événements qui, liés les uns aux autres, autorisent à croire qu'il y a anguille sous roche. D'abord, la Comanav n'a pas connu le sort escompté : une grande ouverture à l'international et un renforcement des programmes d'investissement pour une meilleure insertion du Maroc dans l'économie mondiale. L'immobilisation des bateaux de la Comanav Ferries-Comarit à Sète et Algesiras et la signature par le gouvernement marocain d'un contrat avec l'armateur italien, la veille de l'opération transit 2012, cela signifie que le Maroc a échoué à maintenir ce joyau, qui faisait la fierté du pays. Le pavillon marocain fut englouti dans les eaux noires du bizness. Les 200 millions d'euros empochés par le Trésor en contrepartie de cette transaction ne pouvaient ramener une flotte qui comptait pas moins d'une quinzaine de navires de grands tonnages (pour le transport des phosphates et autres marchandises) dont des paquebots de prestige pour le transport des voyageurs. Il y a aussi cet autre élément qui tombe quelques jours seulement avant l'interpellation du sieur Ibrahimi : un communiqué signé par le patron de la Comarit, Samir Abdelmoula, publié sur le site maritimenews.ma, destiné à l'ensemble des collaborateurs à terre et à bord du groupe Comarit-Comanav Ferry (daté du 15 juin), dans lequel il dit avoir reçu une offre d'un fonds d'investissement italien pour sauver la société. Dans ce courrier, Abdelmoula confirme la volonté de ce fonds d'investir 40 millions d'euros, dès fin juin, sous réserve des conditions habituelles de due diligence et de la participation de l'Etat marocain (par apport complémentaire de 25 millions d'euros) au capital du Groupe. A contrario, si rien ne marche, Abdelmoula n'aura d'autre alternative que de déclarer son groupe en cessation de paiement. D'aucuns voient là la goutte qui fait déborder le vase de la cupidité de certains prédateurs, qui ont tenté les dernières manœuvres de reprise, sous d'autres formes.