Les élections législatives anticipées que le Maroc s'apprête à tenir le 25 novembre, après avoir adopté en juillet dernier une nouvelle constitution censée rendre ses institutions plus démocratiques, constituent un véritable baromètre pour mesurer la capacité des partis politiques à donner corps aux valeurs constitutionnelles du Maroc du 21ème siècle. Autant dire que les semaines à venir seront déterminantes pour le bon déroulement de ce scrutin qui constituera une occasion de normalisation définitive de l'opération électorale et de consolidation du choix démocratique tel qu'il est consacré par la Constitution. Selon les observateurs de la vie politique marocaine, l'heure de la mobilisation a sonné pour les partis qui sont bien conscients du caractère crucial de cette consultation, qui doit impulser une nouvelle dynamique à la vie politique et faire dégager un nouveau gouvernement issu d'une majorité parlementaire solidaire et homogène. Pour le politologue Mohamed Darif, le prochain scrutin constitue un tournant pour la concrétisation saine des dispositions de la nouvelle constitution par l'élection transparente des membres de la chambre des représentants, à même de dégager une majorité forte et un gouvernement solide, responsable et comptable de ses résultats. Ainsi, et conformément aux dispositions de la Loi fondamentale, la nomination du Chef de gouvernement se fera sur la base des résultats du scrutin et au sein du parti qui sera arrivé en tête de ces élections. Ce scrutin devrait également donner sens à la nouvelle constitution en termes d'instauration d'un nouveau concept du pouvoir basé sur la corrélation entre la prise de responsabilité et la légitimité de la représentation démocratique, a-t-il fait observer, relevant que c'est à travers ces résultats qu'on peut mesurer le poids et la capacité de tous les acteurs concernés par l'opération électorale à mobiliser le corps électoral. Le facteur clé est donc le bon déroulement et la transparence de ce scrutin, “le défi majeur à relever c'est d'immuniser l'opération électorale et de faire prévaloir la légitimité de la représentation démocratique, à travers des élections transparentes et neutres, a souligné M. Darif. Dégager une majorité parlementaire homogène La réussite de cette échéance dépendra aussi de la rationalisation du paysage partisan et de l'établissement d'une carte partisane non balkanisée. Pour le secrétaire général de l'association marocaine de science politique, Abderrahim El Meslouhi, “ces élections constituent pour la classe politique une opportunité pour sortir de la crise dans une conjoncture marquée par des bouleversements aux niveaux national, régional et international”. La classe politique devrait faire face à des défis majeurs et répondre à des revendications sociales de court terme, à travers l'édification d'un pacte politique et social inclusif consensuel entre les différents acteurs politiques, a-t-il affirmé. Même son de cloche chez l'universitaire et membre de la Commission consultative de la révision de la constitution, Abdellah Saaf, pour qui l'un des enjeux majeurs de ce scrutin consiste à élire la prochaine majorité qui devrait proposer et adopter 28 lois organiques et ordinaires nécessaires pour la mise en Œuvre optimale des dispositions de la nouvelle constitution, et partant donner corps au nouvel esprit de la Loi fondamentale. Au sujet de la dynamique de regroupement des partis politiques qui marque la scène partisane depuis quelques semaine, le politologue Saaf a souligné que les élections doivent renforcer les vrais courants qui existent sur la scène politique, faire émerger naturellement les divergences et les convergences qui traversent le paysage partisan et faire construire un vrai système politique démocratique et compétitif. La carte politique doit être exprimée naturellement par le scrutin à travers des alliances post électorales et non pas des alliances contre-nature qui ne favorisent pas l'identification des courants politiques et ne facilitent pas le choix pour l'électeur, a souligne M. Saaf, dirigeant du Centre des études et recherches en sciences sociales. Vers un renouvellement des élites politiques L'élection n'est pas seulement l'expression de l'attachement à la démocratie, mais c'est notamment un moment de renouvellement des élites politiques. Elle représente un vrai test pour les acteurs politiques aussi bien dans le sens de mesurer la réussite ou non des partis politiques à saisir les contenus de la nouvelle constitution ou encore pour évaluer l'ampleur et le poids de chaque parti politique. Pour le professeur Saaf, la nouvelle Loi fondamentale contient nombre de dispositions qui visent la recomposition du champ politique et l'émergence d'une nouvelle élite, et ce, pour la dynamisation d'un processus d'élitisation rénové, redynamisé et revitalisé, citant notamment des mesures comme celles relatives aux dispositions sur les partis politiques, au mandat du parlementaire et son profil ainsi que sur les critères spécifiques d'éligibilité et d'incompatibilité. La nouvelle constitution a redéfini et reconstruit le profil du parlementaire en donnant une nouvelle centralité au régime parlementaire, a-t-il dit. Cependant, pour le politologue Darif, l'expérience parlementaire marocaine laisse croire que ce renouvellement ne peut être que partiel du fait que les partis politiques trouvent du mal à renouveler leurs élites, soulignant que le renouvellement de la classe politique est un processus culturel qui nécessite le changement des mentalités et des comportements. Cela dit, pour que la fonctionnalité de l'élection soit préservée, deux défis doivent être relevés : un taux de participation relativement fort pour asseoir la légitimité de la classe politique et un taux de renouvellement du personnel parlementaire élevé nécessaire à la dynamisation de la vie politique. Les partis politiques auront de plus en plus à choisir entre trois modes d'action. Le plus limité et le plus traditionnel fait d'eux des machines électorales. Le plus attirant, celui qui correspond à la réalité principale des partis politiques dans le monde, est de proposer un projet sociétal bien ficelé, répondant aux attentes et aux revendications de toutes les couches sociales. Quant au rôle le plus nouveau, c'est celui qui associe l'extension de la démocratie à la modernisation économique et au développement social à travers la déconstruction des obstacles associés à la corruption, aux privilèges, à la bureaucratie, au corporatisme et à la défense des intérêts acquis. Des élections fondatrices de la démocratie et génératrices d'un nouvel ordre socio-économico-politique requièrent la qualification de tous les acteurs politiques et la mobilisation de toutes les forces vives de la Nation.