Le Salafiste Cheikh Fizazi est encore une fois de plus sous le feu du projecteur. Sa dernière lettre adressée à la plus Haute autorité du pays, après celle envoyée au groupe islamiste Al Adl Wal Ihssane laisse pantois. En fait, l'homme en question veut se positionner en tant qu'intermédiaire entre l'Etat et les salafistes dans le cadre d'une « initiative de réconciliation », comme il le précise dans sa missive. Une telle action a poussé plusieurs analystes de s'interroger sur les visées d'une telle action : que veut Fizazi concrètement ? Le politologue Mohamed Darif estime que l'appel de Fizazi constitue une continuité de certaines initiatives voulant trouver une issue au dossier du Salafiya Al Jihadiya. Mais au-delà du contexte général, Darif estime que la personne concernée a des ambitions à caractère individuel et qu'outre son rôle religieux, l'ex détenu salafiste est en quête d'un rôle politique. « Depuis le 14 avril, date de sa libération, ce dernier se considère comme un acteur politique doté d'une mission, qui est celle de soutenir l'Etat contre tous ceux qui guettent la stabilité du pays », souligne-t-il en substance. Une lecture qui s'inscrit de l'autre côté des barricades par rapport à Mustapha Khalfi, président du centre marocain des études et recherches contemporaines. Ce dernier, considère que la lettre de Fizazi s'inscrit dans un contexte marqué par plusieurs tentatives voulant dénouer ce dossier gelé depuis le 17 mai, quand des affrontements se sont déclenchés à la prison de Salé entre la police et des prisonniers comptés sur les rangs de la Salafiya Jihadiya. Et d'ajouter qu'aujourd'hui il y a un large consensus pour que ce dossier soit traité conformément a l'approche déjà adoptée par l'Etat, qui est celle de «l'équité et la réconciliation », surtout pour les prisonniers qui ne sont pas impliqués dans des actes criminels. Pour Abdelhakim Aboullouz, docteur en sociologie, la position de Fizazi est un indicateur fort qui indique que la Salafiya s'est transformée d'un groupe jihadiste à un mouvement modéré. Le spécialiste du mouvement de la salafiya au Maroc indique dans ce sens que Cheikh Fizazi qui appelait auparavant à une séparation nette entre son association "Ahl sunna wal jamaa" et l'association de Cheikh Maghraoui (*association considérée comme proche du pouvoir), a renoncé récemment à ses idées en appuyant même cette association. Mais, pour le professeur Darif, ce qu'il faut retenir dans la lettre de Fizazi, c'est qu'il fait allusion à ses soupçons quant à la démarche des pouvoirs publics pour le traitement de ce dossier. «Fizazi ne fait que reproduire des positions que l'Etat rejette catégoriquement, surtout quand il s'agit d'une mise en cause de ses organes sécuritaires », note notre interlocuteur. Toujours selon Darif, la lettre de Fizazi se heurte à un obstacle rédhibitoire. En d'autres termes, la Constitution actuelle ne permet plus au Roi d'octroyer une grâce générale. Et d'affirmer que « le Roi a appelé aussi dans un dernier discours à une interprétation démocratique du texte constitutionnel consacrant les principes de l'Etat de droit, ce qui rend donc quasi-impossible un tel scénario, loin de la logique traditionnelle « chfaâa », comme le veut Al Fizazi ». Mais la question qui préoccupe aujourd'hui l'opinion publique, et de savoir si les conditions d'un tel dialogue sont réunies pour qu'on puisse parler d'une telle concertation entre l'Etat et la Salafiya ? Darif souligne qu'un tel cas de figure n'est pas pour l'heure dans l'agenda des responsables de l'Etat. Mais, cela n'empêche qu'il y avait auparavant des dépassements dans le traitement de certains dossiers. Pour lui, la responsabilité revient en premier lieu à la justice qui devrait pour sa part fournir plus d'efforts et ne pas se contenter uniquement des procès de la police judicaire. Alors que Mustapha Khalfi déclare que tous les éléments sont réunis pour entamer un dialogue entre les deux parties, à condition que les éléments de la Salafiya condamnent clairement la violence, et ne soient pas impliqués dans des actes de violence. Certainement un tel dialogue nécessite des acteurs bien définis, commente le professeur Aboullouz. Dans le cas du Maroc, quelle est la partie habilitée à mener cette mission, et comment l'Etat envisage traiter ce dossier, surtout lorsqu'on sait que le socle dogmatique de la Salafiya jihadiya se contredit avec la doctrine religieuse de l'Etat. Ainsi et faute d'éléments fiables, toute réponse ne serait que de la surenchère, conclut Aboullouz.