Voyageur infatigable, Abdellah Aourik exhume pour l'Institut français d'Agadir les souvenirs de 5 ans passés à sillonner les Etats-Unis, au début des années 80. TelQuel a visité son atelier. On le connaît aussi pour Agadir O'flla, le magazine “interculturel” sur les arts et l'histoire qu'il édite à ses frais, dans sa ville natale, depuis quelques années. Mais, dans sa petite maison un peu poussiéreuse, où les peintures s'entassent jusqu'au plafond, on se rend compte que Abdallah Aourik est avant tout un homme au destin extraordinaire : rescapé du séisme de 1960, voyageur infatigable qui, en vendant ses toiles, a parcouru plus d'une centaine de pays (“104”, tient-il à préciser), des zones tribales du Pakistan aux plages de Hawaï, de l'Irak à l'Islande. De 1981 à 1985, il a sillonné l'Amérique, tirant de chaque étape un paysage et un portrait de femme. L'espace d'exposition de l'Institut français d'Agadir ne pouvait accueillir cette série dans son intégralité (“Elle doit rester ensemble et elle est à vendre”, insiste son auteur). Ce sont finalement quelques inédits (format 1 x 0,8 m), ramenés de Californie et de Hawaï et rassemblés sous le titre “L'Amérique vue par un Amazigh”, que le public gadiri peut admirer jusqu'au 24 octobre. Probablement la meilleure manière defaire connaissance avec cet artiste au parcours unique. Rescapé du séisme Flashback. Nous sommes le 29 février 1960. En ce jour de ramadan, le jeune Abdallah, âgé de 14 ans, rentre du cinéma vers 23h40… Soudain, la terre tremble. Le séisme détruit une grande partie de la ville d'Agadir, faisant plus de 15 000 victimes. “C'était une nuit horrible. Je ne retrouvais plus la maison. Je croyais être le seul survivant sur la planète”, se souvient-il. L'adolescent rôdera toute la nuit parmi les ruines, pour se réfugier dans son école, où il est accueilli par le directeur, “Monsieur Simon”. Avec d'autres orphelins, il est recueilli par la Croix rouge. Et deux mois plus tard, le jeune Abdallah est adopté par une famille belge, qu'il accompagne en Belgique. Mais un an plus tard, il apprend que ses parents sont parmi les rescapés. Il reviendra les voir mais, déjà, “la Belgique ne voulait plus (le) lâcher”. En 1965, bac en poche, cet étudiant doué décroche une bourse et s'en va étudier l'Histoire de l'Art à l'Université de Cambridge en Angleterre, puis l'anthropologie et la sociologie en Suède. Il intègre ensuite les Beaux-Arts de Berlin-Ouest, où il passe sa thèse sur la sculpture figurative, avant de boucler son cursus à Rome. Fin des études, et début des voyages. Un an à Katmandou Après une première exposition en 1969, à Berlin-Ouest, Aourik est invité par le Shah d'Iran à exposer à Téhéran, en 1972. S'ensuit un périple qui le voit traverser l'Asie, comme de nombreux hippies à l'époque : il expose à Kaboul, où le roi afghan Zaher Chah lui achète un tableau, avant de rejoindre Peshawar puis Lahore au Pakistan, jusqu'à New Delhi en Inde. Pendant ses années romaines, Aourik s'était pris de passion pour le bouddhisme et sa spiritualité : Katmandou n'est plus très loin. Il y passera un an. Caressant la couverture du dictionnaire anglais – tibétain qui trône toujours derrière son bureau, il se souvient d'avoir restauré bénévolement le parquet d'un temple tibétain du 3ème siècle avant JC. Mais on n'est pas encore au bout de nos surprises : “J'étais tellement défoncé, proche du nirvana, que j'ai décidé de rentrer au Maroc à pied”. Le voyage dure onze mois. En Irak, fin 1973, il se fait arrêter par la police de Saddam Hussein, vice-président à l'époque, qui l'accuse d'être un espion du roi. Quelques autres péripéties jonchent le récit qui le ramène jusqu'au Maroc. De retour au Maroc, le voyageur s'intéresse à l'art rupestre de l'Atlas. Il peint les femmes berbères et, déjà, les paysages du Sahara. Il expose d'ailleurs à la première Fête du Trône de Laâyoune, en 1977, sous les yeux de Hassan II, un travail de collages réuni sous un titre sibyllin : Surrealismus from the Divine Life. C'est au début des années 80 qu'Aourik s'envole finalement vers le Nouveau Monde. Pas de la manière la plus classique : il monte en Belgique en stop, et peint pendant deux mois d'arrache-pied, avant de s'envoler vers la Nouvelle-Orléans, où il expose à l'International House du World Trade Center. C'est le début d'un périple de cinq ans, qui le mènera jusqu'en Alaska, au volant d'un van Volkswagen acheté pour 300 dollars. “J'ai mis un an et demi à faire 50 Etats, puis je me suis installé dans le Connecticut et la Nouvelle-Angleterre, où les quatre saisons sont parfaites, toujours ponctuelles”, se souvient l'artiste. Il reste ensuite “un bon moment” en Californie, avant de rejoindre Hawaï, où il expose en 1986 la totalité de son voyage américain. Gardien de la mémoire Durant ces cinq années aux Etats-Unis, Aourik a réalisé environ 150 tableaux, en peignant “jour et nuit, qu'il pleuve ou qu'il vente, dans la rue ou à la campagne”. Comme lors de ses précédents voyages, il vivait de peu : “Je vendais des tableaux sur la route, des portraits pour les gens, je peignais dans les bistrots. C'est toujours avec mes tableaux que j'ai financé mes voyages”, explique-t-il. Depuis son retour au Maroc, il y a une quinzaine d'années, Aourik n'a plus tellement quitté sa région, s'intéressant à la vie des pêcheurs d'Imsouane ou encore à l'arganier. Sauf en 2003, pour une exposition en Roumanie. “Il se met au service du formidable patrimoine amazigh : garder trace de l'habitat, des objets, enregistrer pour construire demain”, note Françoise Py, maître de conférences en histoire de l'art à l'Université Paris 8. “J'ai découvert l'art à l'école, en Belgique, lorsque je commençais l'histoire de la musique. Et tous les livres d'histoire étaient illustrés de peintures, se souvient l'artiste. Je me demandais, comment peut-on expliquer l'histoire avec des traits de crayon, des images ? C'est pour ça que je suis attaché au figuratif, à expliquer les histoires de la vie. C'est l'image qui fait l'histoire”.