Les cabanes de tôle sont isolées de la route par un haut mur en béton, seules les paraboles dépassent. La barrière de ciment cache les tas d'ordures et les excréments d'animaux qui jonchent les allées boueuses de Douar Skouila. Dans ce bidonville de Casablanca, près de 3 000 familles vivent entassées dans des baraques construites à partir de briques et de plaques de métal. En pleine journée, les bruits et les visages sont rares. Au détour d'un ruelle, assis sur un tas de déchets, un enfant sniffe de la colle dans un sac plastique. Plus loin, des femmes sont venues chercher de l'eau à la pompe ou laver leur linge. Au sol, le savon se mélange à la terre mouillée, mais son parfum ne réussit pas à masquer l'odeur nauséabonde qui occupe les lieux. "Même des animaux ne pourraient pas vivre ici", lance Mohamed, un habitant assis sur une chaise au milieu des débris. En pénétrant dans le dédale, les baraques se succèdent, presque toutes identiques… Dans l'une d'elle, un poste de télévision est allumé et plusieurs hommes, allongés sur des couvertures à même le sol, rient aux éclats. De 3 500 et 7 000 euros pour un appartement Youssef, 30 ans, vit dans cette cabane de 25 mètres carrés avec sa femme, ses parents et sa soeur. Il gagne environ 30 dirhams par jour (moins de 3 euros), grâce à un emploi de gardien. Le sourire figé, il explique: "J'ai peur qu'on rase notre maison et qu'après, je n'aie pas assez d'argent pour me payer autre chose. Ma famille et moi n'attendons qu'une chose, c'est de pouvoir quitter cet endroit et d'être relogés dans de vrais immeubles." Le mois dernier, il a appris à la télévision que les autorités marocaines prévoyaient de détruire tous les bidonvilles de Casablanca d'ici 2012 et de reloger les habitants dans de nouveaux immeubles, un programme intitulé "Villes sans bidonvilles". Le prix des appartements proposés oscille entre 40 000 et 80 000 dirhams (3 500 et 7 000 euros) mais le gouvernement verse une subvention de 25 000 dirhams (environ 2 200 euros) par ménage. "C'est bien, mais il faut quand même avoir un apport d'argent à la base. Même un crédit, je ne pourrai pas l'assumer seul, il faut que l'Etat nous aide." "Je fais encore la manche parfois" Cette année, près de 30 000 logements de fortune ont été démolis dans la région du Grand Casablanca. Dans certains coins de Douar Skouila, les monticules de pierres qui encombrent les rues offrent une vision de fin du monde. Il s'agit des restes des baraques détruites le mois dernier dans le cadre du programme national. Naïma, son mari et leur cinq filles ont vécu pendant quatre ans à Douar Thomas, un autre bidonville de Sidi Moumen, quartier d'où étaient issus les auteurs des attentats de Casablanca en 2006. Il y a un mois, cette famille a laissé sa baraque derrière elle quand on est venu lui annoncer qu'elle allait déménager dans un appartement neuf. Naïma assume seule les rentrées d'argent pour le foyer depuis que son mari a perdu la vue il y a plusieurs années. Cette quinquagénaire alterne les ménages ponctuels et les services domestiques en tout genre, pour acheter de la nourriture ou des fournitures scolaires à ses filles. "Je fais encore la manche quand je ne peux pas faire autrement." Ils vivent désormais dans un 55 mètres carrés avec deux chambres et un salon. Son prix: 75 000 dirhams (6 500 euros). Mais grâce aux subventions de l'Etat, ils n'ont eu à débourser que les deux tiers de cette somme. "Si les logements ne sont pas rasés, d'autres les rachètent à moindre coût" Pour cette famille de Casablanca, la vie a changé le jour où ils ont pu habiter sous un toit "sans avoir peur chaque jour que la tôle en métal s'envole avec une bourrasque de vent", lance Sofia, l'aînée de 14 ans. Pour autant, ce nouveau logement n'a pas fait disparaître la misère. Naïma s'insurge: "Ça fait un moins qu'on est là et on n'a ni eau, ni électricité. Ils nous ont dit qu'il fallait être patients car déjà on avait de la chance d'avoir été choisis pour être relogés." Leur ancienne baraque n'a pas été détruite pour l'instant. Ils l'ont revendue à des proches pour une somme modique."C'est bien là le problème", explique Zahidi Elarbi, de l'Alliance des associations de Sidi Moumen. "Si les logements ne sont pas rasés, d'autres les rachètent à moindre coût, et la misère n'est pas éradiquée, mais juste déplacée." Lui a vécu plus de quinze ans dans les bidonvilles de Sidi Moumen. Il exerce depuis vingt ans le métier de professeur, ce qui lui a permis d'acheter un appartement à crédit: "Il ne faut pas rêver, les habitants des bidonvilles de Casablanca ne seront pas tous relogés. Seuls ceux qui auront un minimum d'argent pourront bénéficier du programme. Ici, beaucoup ne savent pas de quoi ils vont vivre le jour même."Le Maroc veut se débarrasser de ses bidonvilles d'ici 2012