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Abdelali Benameur : «Le PJD reste malheureusement attaché à l'Etat islamiste»
Publié dans Agadirnet le 25 - 06 - 2007

Abdelali Benameur : «Le PJD reste malheureusement attaché à l'Etat islamiste»Abdelali Benameur estime que le champ politique est divisé en deux courants : socio-libéraux et conservateurs, dont les protagonistes doivent s'unir. Le président-fondateur d'Alternatives se dit pour un PJD au pouvoir après la clarification nécessaire.
ALM : Quel regard portez-vous sur la scène politique en cette période préélectorale ?
Abdelali Benameur : Force est de constater qu'elle n'est pas très motivante. Au niveau d'un cercle d'amis, on est amenés à dire qu'on fait de la politique par France interposée. Le débat n'y est pas et la motivation des citoyens ne semble pas de mise. Les sondages le démontrent à telle enseigne qu'au niveau de l'association Alternatives, on va organiser une rencontre sur le thème : « Faut-il mobiliser le citoyen pour crédibiliser le politique ou crédibiliser le politique pour mobiliser le citoyen ?». C'est une réalité un peu pessimiste. Et ce qui rend les choses encore plus navrantes, c'est qu'il y a quelques remous, quelques prises de conscience qui émergent au sein de certains partis, mais sans que cela débouche sur de véritables débats sur le plan national.
Que pensez-vous des alliances qui se sont nouées entre quelques partis, PJD-FC-ADL et PSU-PADS-CNI notamment ?
Normalement, on aurait pu parler de programmes politiques avant de parler de programmes d'alliances. Ce sont des alliances électoralistes qui ne reposent pas sur des fondements et des clarifications. Même celle de la gauche. Pourtant, la société marocaine semble, au-delà de toute considération politicienne, dégager deux grandes tendances, deux grands mouvements qui la traversent fortement. D'un côté, nous avons un mouvement que je qualifierais de démocrate progressiste avec un fondement socio-libéral et c'est ce que l'on pourrait appeler la gauche. Malheureusement, les différentes composantes de cette gauche ne semblent pas encore réaliser la bonne synthèse pour arriver à assumer leur véritable orientation qu'est le socio-libéralisme.
De l'autre côté, nous avons un fort courant de société conservateur religieux et qui représente pour l'instant pratiquement la majorité au niveau du pays. Malheureusement, le courant conservateur que je qualifierai de «Musulmans démocrates», ne semble pas non plus réaliser cette synthèse. Vous avez l'Istiqlal qui est très représentatif de ce courant et qui commence peut-être à peine à l'assumer, et de l'autre côté, vous avez le PJD qui aurait pu l'assumer également, mais qui reste malheureusement attaché à l'Etat islamiste avec un référentiel religieux aussi bien en termes de valeurs que de règles de fonctionnement de la société et de surcroît avec certaines règles qu'il interprète à sa manière. Normalement, un parti musulman démocrate devrait reconnaître l'Islam comme référentiel en termes de valeurs et laisser les règles de fonctionnement à l'alternance politique et aux interprétations des uns et des autres. Globalement, la gauche reste divisée entre une dimension radicale et une dimension socio-libérale et la droite divisée entre musulmans démocrates en voie de reconnaissance et islamistes du PJD dont une seule composante semble s'orienter de plus en plus vers l'interprétation musulmane démocrate telle que je viens de la définir. Et voilà le blocage ! Il ne peut y avoir d'alternance claire. A cela, il faut ajouter le système électoral qui ne permet nullement l'émergence de majorités claires. La confusion est partout. Il y a une chose qui commence à faire plaisir dans notre société toutefois : c'est qu'une bonne majorité des Marocains, qui semble constituer la base agissante de l'intégrisme, commence à comprendre qu'il faut faire la nuance et la distinction entre islamisme intégriste et courant musulman.
C'est l'islam tolérant, l'islam d'ouverture qui commence à prendre le dessus et s'imposer au détriment d'une certaine conception obscurantiste de notre religion. C'est ce qui me pousse à dire que le résultat des prochaines élections sera encore une fois un partage entre quatre ou cinq courants comme c'est le cas actuellement. Et cela ne fait pas plaisir.
Est-ce que la Koutla est encore capable de convaincre l'électeur ?
La Koutla renferme essentiellement deux partis constituant, l'un une aile de la gauche et l'autre une de la droite. Donc un programme commun me semble être difficile. La Koutla peut encore avoir un rôle déterminant au niveau de la revendication démocratique et elle peut se concerter et jouer un rôle très utile et même important.
Est-ce que le PJD, aujourd'hui allié à des tendances libérales, est suffisamment préparé pour gouverner ?
La question n'est pas là. Les organisations politiques à différents degrés regroupent forcément des compétences. Le problème est le suivant : Est-ce que le PJD accepte réellement le jeu démocratique ? Et il ne peut l'accepter que s'il accepte l'idée que l'Islam en tant que valeurs dans le référentiel constitutionnel et des règles dans le cadre de l'alternance politique. Je dirai que certains cadres du PJD avec qui j'ai eu l'occasion de discuter semblent évoluer vers cette thèse. Mais, malheureusement, ils ne le déclarent pas encore ouvertement. Et certainement parce qu'il y a une autre aile qui reste attachée au référentiel islamiste intégral. C'est-à-dire les valeurs et normes de l'Islam dans un cadre constitutionnel et dans ce cas d'espèce, si on inscrit les règles dans la Constitution, que reste-t-il à l'alternance démocratique ? Et c'est dans ce sens que je dis que cette aile n'est pas démocratique. Le jour où le PJD deviendra un parti musulman démocrate, dans la perception universelle du terme, pourquoi ne gouvernerait-il pas dans le cadre de l'alternance politique ? C'est cela la démocratie. Et dans l'état actuel des choses, force est de constater que si le PJD arrive au gouvernement, il aurait toute la légitimité et ce ne serait pas respecter le choix démocratique que de l'empêcher de gouverner en alternance si jamais il abandonne son idée qui consiste à instaurer un Etat islamiste.
Quels seraient les risques pour une démocratie en construction si ce parti sortait de ces élections avec une majorité parlementaire ?
Si jamais cela arrivait, il pourrait faire voter des lois conservatrices mais avec deux limites. La première, c'est qu'il ne pourrait jamais faire passer des lois qui sont contraires à l'éthique et à certains choix universels comme, par exemple, couper la main à un voleur. Le deuxième type de limites est celui qui permet aux modernistes, une fois arrivés au pouvoir, d'abroger ces lois et d'en adopter d'autres. J'ai souvent cité l'exemple suivant aux gens du PJD : une fois arrivés au pouvoir démocratiquement, vous pourrez interdire la consommation de l'alcool, mais comme cela relève de l'alternance démocratique, permettez à des gens comme moi s'ils reviennent au gouvernement d'abandonner une telle loi. Non pas parce que nous sommes contre vous par principe, non pas parce que nous souhaitons que l'alcool soit consommé à tort et à travers, mais nous le ferons pour deux raisons importantes. La première est d'ordre économique, cela peut faire reculer le mouvement touristique. La deuxième raison est liée au risque qu'au Maroc on arrive à la situation qu'ont connue d'autres pays avant nous qui ont interdit la consommation de l'alcool et qui ont vu beaucoup de leurs concitoyens passer à la contrebande et plus grave encore, à la consommation de l'alcool à brûler avec du soda. Au lieu d'interdire, agissez sur deux volets. Régulez la consommation pour la limiter et en deuxième lieu, exhortez les gens à ne plus consommer ou à consommer moins. Le principe de l'Islam n'est pas l'interdiction, mais l'exhortation et le conseil.
Le découpage électoral tel que remodelé peut-il permettre d'aboutir à une forte majorité parlementaire pour un parti donné ?
Le découpage électoral est toujours une arme à double tranchant. Et si on veut convaincre les gens, c'est par des idées et non pas par des artifices.
Quel serait alors le rôle de partis comme le RNI ou ceux de l'opposition de droite libérale ?
Tel que je vois le paysage politique actuellement, cela m'étonnerait qu'il y ait une force qui puisse être majoritaire en termes de nombre d'élus. Nous avons actuellement quatre forces majeures avec un certain nombre de forces d'appoints. Les forces majeures à mon sens sont l'Istiqlal, l'USFP, le PJD, le RNI après sa transformation peut-être, et puis il y a le reste. Pour moi, il y a au Maroc deux grands courants. Un courant socio-libéral qui pourrait regrouper l'USFP, le PPS, le PSU et d'autres petits partis de la gauche radicale. De l'autre côté, nous avons un courant conservateur avec une aile démocratique qui est l'Istiqlal et une aile à la recherche de sa voie qui est le PJD.
Le reste ne relève que des accords électoralistes qui peuvent donner lieu à des mariages contre-nature si jamais la situation actuelle continue de prévaloir.
Dans quelle mesure l'action associative nuirait-elle, comme le soutiennent certains partis politiques, aux intérêts de ces derniers ?
L'action associative ne peut être qu'un appoint. C'est le parti politique qui représente le citoyen et qui a la vocation de gouverner, l'associatif ne peut qu'accompagner. Ceci d'une part, d'autre part, il faut dire aussi que certaines dérives qui ont touché le politique commencent aussi à atteindre l'associatif. L'associatif ne peut pas prendre la place du politique. C'est le politique qui doit d'abord se rénover.
Benameur, un riche parcours
Abdelali Benameur est docteur en sciences économiques, professeur des universités. Il est fondateur du réseau HEM et ancien directeur de l'Institut supérieur de commerce et d'administration des entreprises (ISCAE). Il est membre du Conseil consultatif des droits de l'homme CCDH, de la Commission spéciale éducation formation (COSEF) et du Conseil supérieur de l'enseignement.
M. Benameur est militant associatif et président-fondateur de l'Association «Alternatives » et du Forum des grandes écoles. Il est également spécialiste des questions ayant trait à l'enseignement, auteur d'un récent ouvrage qui s'intitule : «Repenser l'école» et directeur de publication du mensuel économique « Economia».


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