Sous une marée de drapeaux blanc et rouge, des dizaines de milliers de défenseurs de la laïcité ont participé samedi à la troisième grande manifestation hostile au gouvernement organisée en un mois en Turquie pour exiger le retrait du candidat de l'AKP, issu de la mouvance islamiste, à la présidence. Ce même jour, des amendements constitutionnels déposés par le parti au pouvoir et visant à instituer l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel ont été adoptés en commission parlementaire, a annoncé l'agence de presse officieuse Anatolie. Ces modifications, qui risquent d'accroître les chances du candidat de l'AKP au pouvoir, le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gül, à la présidentielle, pourraient être approuvées par le Parlement dans les jours à venir. Le rassemblement de Manisa, qui a réuni entre 60.000 et 70.000 personnes selon la police, s'est tenu symboliquement dans la localité dont est originaire le président du Parlement et influent membre de l'AKP, Bülent Arinc. D'après les médias, le dispositif de sécurité a été renforcé autour de son domicile. Deux autres manifestations, moins importantes, ont eu lieu dans des villes de la côte ouest. Samedi, les rues de Manisa se sont remplies de manifestants parmi lesquels on distinguait des femmes voilées et des hommes en uniforme militaire, munis du drapeau de la Turquie et pour certains de portraits de Mustafa Kemal "Atatürk", fondateur de la République turque moderne. "La charia (loi islamique) ne passera pas", scandaient-ils. Cette manifestation avait été précédée dimanche dernier par le rassemblement à Istanbul d'un million de personnes et, il y a trois semaines, par celui de plusieurs centaines de milliers de personnes à Ankara, la capitale. Une quatrième manifestation est prévue à Canakkale. "PAS DE VOILE A CANKAYA!" "Nous sommes ici pour protéger la République et leur donner une leçon. J'espère qu'ils apprendront leur leçon", a expliqué un manifestant, Ahmet Bulut. La tension politique demeure vive en Turquie après la mise en garde de l'armée, gardienne sourcilleuse de la laïcité kémaliste, vis-à-vis du candidat de l'AKP et l'invalidation par la Cour constitutionnelle du premier tour du scrutin. Le Premier ministre et chef de l'AKP, Tayyip Erdogan, a avancé les élections de trois mois et demi. Deux partis de centre-droit, l'Anap et le parti de la Juste Voie, ont par ailleurs annoncé leur fusion, ce qui pourrait renforcer l'opposition face à l'AKP lors des élections législatives anticipées du 22 juillet. Ces deux formations disposent de respectivement 20 et quatre sièges dans une assemblée qui en compte 550. Les défenseurs de la laïcité en Turquie craignent que l'AKP, s'il contrôle à la fois le Parlement et la présidence, ne revienne sur la séparation de la religion et de l'Etat. Ce parti soutient que son bilan au pouvoir - y compris l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne - montre qu'il respecte la laïcité. Selon un article à paraître dimanche dans le journal allemand Bild am Sonntag, le porte-parole de l'UE pour la politique extérieure, Javier Solana, a exprimé son soutien à Gül. "Je suis certain que le ministre des Affaires étrangères Gül va poursuivre son travail efficace en tant que président", a-t-il dit, d'après le journal. L'opposition turque s'est focalisée sur le port du foulard islamique par l'épouse de Gül. "Pas de voile à Cankaya", hurlaient les manifestants, faisant référence au palais présidentiel. "Le président du Parlement est l'ennemi d'Atatürk", scandaient-ils aussi, faisant référence à Bülent Arinc, qui a déplu à l'armée en prônant un débat sur la laïcité, question éminemment sensible en Turquie.