Il reconnaît l'existence de prisons secrètes, mais les vide et prévoit, enfin, des procès. La pression des Européens a joué, mais plus encore celle des législatives de novembre. Coup de théâtre, mais aussi coup de poker: le discours dans lequel George W. Bush a pour la première fois reconnu, mercredi soir, l'existence de prisons secrètes gérées par la CIA, a pris par surprise, non seulement l'opinion publique internationale, mais aussi la classe politique américaine. Et là est bien un des objectifs poursuivis: faucher l'herbe sous le pied de l'opposition démocrate à deux mois des élections législatives. En s'adressant à un parterre réunissant des parents de victimes du 11 septembre, à quelques jours de la commémoration des attentats, le Président américain a plaidé sa cause avec une remarquable candeur. S'il a choisi de révéler aussi tardivement l'existence d'«un programme distinct» de détention de terroristes présumés, a-t-il expliqué, c'est parce que les interrogatoires sont quasiment terminés et que, si procès il doit maintenant y avoir, ils ne pourront qu'être révélés au public. Mais c'est aussi parce que, a admis M.Bush, la Cour suprême a rappelé à l'administration américaine que la guerre contre al Qaeda tombait sous le coup des dispositions de la Convention de Genève protégeant la «dignité humaine» et interdisant les «traitements humiliants ou dégradants». Or, a souligné le Président, «les hommes et les femmes courageux» qui ont «risqué leur vie pour capturer quelques-uns des terroristes les plus brutaux à la surface de la Terre» méritent autre chose que d'éventuelles poursuites en justice pour crimes de guerre... Certes, a insisté George W. Bush, qui s'est bien gardé d'évoquer la prison irakienne d'Abu Ghraïb, l'Amérique «ne torture pas. C'est contre nos lois et nos valeurs», a-t-il précisé. Il n'empêche qu'il lui a fallu admettre que, pour «légaux et nécessaires» qu'ils aient été, les interrogatoires ont aussi été «durs». Selon «The Washington Post», c'est la secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, qui a convaincu la Maison-Blanche de jouer désormais la transparence, non sans un vif affrontement avec le vice-président Dick Cheney. Elle s'est dite sensible notamment aux pressions des alliés européens. Ces aveux n'auront, toutefois, pas pour effet immédiat de calmer l'ire outre-atlantique. Si les méthodes américaines ont, selon M.Bush, empêché d'autres attentats et sauvé des vies, «kidnapper des gens et les torturer en secret, c'est là le fait de criminels, non d'un gouvernement démocratique», a réagi jeudi le président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, René van der Linden. «L'Europe n'aura aucune part à un système aussi dégradant.» Après avoir fait transférer quatorze détenus de la CIA vers Guantanamo, le Président américain entend achever son processus de «normalisation» en traduisant les terroristes présumés devant des juridictions militaires, pour autant que le Congrès vote rapidement une loi qui l'y autorise. En rejetant ainsi la responsabilité de la suite des opérations sur le pouvoir législatif, M.Bush espère se débarrasser d'un boulet, au moins jusqu'au scrutin du 7 novembre.