L'éducation non formelle ne s'inscrit pas dans une logique de concurrence avec l'école formelle, mais de complémentarité et de diversification de l'offre éducative, le tout pour répondre aux besoins de tous les élèves. C'est ce qu'explique Hssain Oujour, directeur de l'éducation non formelle au ministère de l'Education nationale. A quels besoins vient répondre l'éducation non formelle ? C'est un programme qui, lorsqu'il a été lancé en 1998, venait répondre à un constat commun à tous les pays : il n'y a pas une seule réponse formelle d'éducation adaptée à 100% des élèves. L'éducation non formelle s'inscrit dans une logique de diversification de l'offre éducative à une échelle d'environ 5 à 10%, le but étant de généraliser cette offre éducative. Au départ, il y a donc vingt ans, presque 2 millions d'élèves en âge d'être scolarisés ne l'étaient pas. Face à ce constat, il a aussi fallu faire face aux problèmes des diplômés chômeurs. La logique du ministère de l'Education nationale à l'époque fut de donner des opportunités de travail et d'encadrement pédagogique à ces jeunes diplômés au chômage, ainsi qu'à ces enfants en dehors du système scolaire, le tout via la participation de la société civile. Pourquoi ? Parce que tous ces enfants, bien qu'ils soient nombreux, se dissolvent très facilement parmi les adultes ; ils n'apparaissent pas. Ce sont des enfants qui travaillent, parfois dans des exploitations familiales, et qui ne sont donc pas visibles. Il fallait donc une action de proximité qui soit assurée par la société civile. Nous avons ainsi noué des partenariats avec la société civile marocaine, qui compte aujourd'hui 430 associations qui agissent dans le domaine de l'éducation non formelle. Ce dispositif est aujourd'hui renforcé par la loi-cadre 51.17 qui réglemente les objectifs et les orientations des politiques éducatives au Maroc. L'éducation non formelle concerne les moins de 18 ans avec deux programmes complémentaires : une école dite «de la deuxième chance», de base, pour les moins de 13 ans, et un programme qualifiant qui permet une initiation professionnelle pour les plus de 13 ans. Nous sommes en train de mettre en place un «réseau» pour les 13-18 ans qui consiste en un programme de trois ans avec une remise à niveau, une initiation professionnelle et un accompagnement pour l'insertion socio-économique en milieu de travail. Quelles sont les limites de l'éducation non formelle ? Le financement et la coordination des efforts pour trouver des moyens pour ces populations, dont les besoins ne se limitent pas à l'éducation et à l'instruction. Il nous faut continuer de développer une approche de proximité et de convergence des efforts au niveau local pour élaborer des solutions. L'existence d'une éducation non formelle ne trahit-elle pas les lacunes de l'éducation formelle ? Notre approche, c'est d'essayer d'implanter des programmes au niveau de l'école ; il faut que l'école soit son propre recours. L'éducation non formelle est dans une logique de complémentarité avec l'école, pas en concurrence ou en parallèle. L'éducation non formelle intègre les enfants en décrochage scolaire, qu'ils soient issus de l'immigration ou en situation difficile – y compris les enfants des rues. Comment s'adaptent-elles à leurs besoins ? Ce qui qualifie l'éducation non formelle, ce n'est pas tant ses programmes que ses actions de proximité et de souplesse. On ouvre les classes à n'importe quel moment de l'année, sans tenir compte de la rentrée de septembre, des vacances scolaires, etc. Dès qu'un groupe est constitué, dès qu'il y a un besoin, on ouvre une classe. On essaie également de les adapter au niveau des élèves, qui est très hétérogène. Par exemple, les besoins ne sont pas les mêmes pour les enfants des milieux ruraux que pour ceux des milieux urbains. On travaille avec beaucoup de souplesse et d'engagement vis-à-vis de nos partenaires que sont les associations, ainsi qu'avec des éducateurs dans un esprit de bénévolat avec toutefois une couverture de leurs frais de déplacement pour aller encadrer ces classes. C'est toute une autre culture de l'action publique qui ne veut pas être figée, mais plutôt souple et adaptée. La formation qu'on propose comprend quatre programmes scolaires : le premier vise le retour et l'insertion à l'école ; le second est dédié à l'orientation et la formation professionnelle ; le troisième conçu spécialement pour les besoins des enfants en milieu rural, qui concentre la majorité des bénéficiaires de l'éducation non formelle – 80% des enfants non scolarisés ou déscolarisés sont dans les territoires ruraux – ; le dernier a pour but de réinsérer socialement les enfants des rues ou en conflit avec la justice. Il vise à les alphabétiser et à les réconcilier avec eux-mêmes, mais aussi avec la société. En quoi l'éducation non formelle contribue-t-elle à la lutte contre l'abandon scolaire ? L'approche de l'éducation non formelle est celle d'une «veille éducative». Du fait qu'ils côtoient tous les jours leurs élèves, les enseignants ont la capacité de détecter rapidement ceux qui risquent de décrocher du système scolaire. La notion de «veille éducative» a donc été pensée en partant du principe que si ces enseignants privilégient des rapports harmonieux avec leurs élèves, en particulier les plus fragiles, ces derniers ne décrocheront pas. C'est ça qu'on appelle la «veille éducative». On part également du principe que ce sont avant tout les établissements, et pas les élèves, qui ont besoin d'être soutenus : un établissement qui bénéficie d'un soutien sera plus apte à lutter contre le décrochage scolaire de ses élèves. C'est pour cela qu'on a lancé, en partenariat avec l'UNICEF, l'opération «Child to child» pour recenser les élèves qui ne sont pas scolarisés. Mais la lutte contre le décrochage scolaire, c'est une économie d'énergie pour ces établissements : quand les élèves ne sont pas déscolarisés, on n'a pas besoin d'aller les chercher. Pour l'année 2019-2020, on a pu ramener 35 000 élèves sur les bancs de l'école.