Alors que l'arabe est en déclin, Abdelilah Salim, professeur d'arabe au lycée Lyautey et docteur en linguistique déplore, en cette journée mondiale, que les responsables politiques au Maroc n'aient pas mis en œuvre des mécanismes suffisamment solides pour valoriser cette langue, quelque peu éclipsée par le français et l'anglais. L'arabe fait partie des dix langues les plus parlées dans le monde mais, malgré cette position, son usage serait en déclin. Est-ce un constat que vous faites ? La langue arabe est effectivement en déclin. Pour moi, c'est avant tout un problème politique. Il y a un paradoxe, une contrainte, entre les textes juridiques et la réalité. Dans les textes, il écrit que l'arabe est une langue officielle, ce qui est censé avoir des répercussions. Or sur les documents officiels par exemple, l'arabe est toujours remplacé par les langues étrangères, ce qui est en contradiction avec les textes juridiques, qui reconnaissent le caractère officiel de la langue. Ce constat affecte les représentations chez les personnes et les pousse à considérer que la langue arabe n'est pas porteuse d'opportunités. En tant qu'enseignant, je constate que les jeunes, les parents, privilégient une approche pragmatique en mettant en valeur les langues étrangères, comme le français et l'anglais, au détriment de la langue arabe. Au Maghreb, c'est le français qui vient en premier lieu au regard du contexte historique. La langue arabe est donc effectivement en déclin, en raison de cette contradiction entre le texte juridique, qui la reconnaît comme une langue officielle, et la réalité, le vécu au quotidien. Il n'y a pas de stratégie pour développer la langue arabe, pour que des centres de recherche travaillent sur une mise à niveau de la langue, de sa syntaxe et de son lexique et pour développer et moderniser l'approche éducative. Diriez-vous que l'arabe n'est donc pas une langue valorisée ? Un pays qui a officialisé la langue arabe doit chercher à donner à cette langue des opportunités nécessaires, ce qui n'est pas le cas au Maroc. Les décisions politiques n'ont pas permis ces opportunités. C'est un dysfonctionnement qui concerne le rapport entre les textes et la réalité. Il faut dire aussi que la pluralité linguistique est encouragée : nous sommes un pays polyglotte qui maîtrise plusieurs langues, mais il ne faut pas pour autant oublier l'aspect identitaire. La langue arabe est liée par plusieurs pays arabes ; il y a des opportunités identitaires sur ce point, mais les responsables politiques ne sont pas parvenus à valoriser l'arabe, à créer des opportunités pour ceux qui la maîtrisent. Qu'en est-il du dialecte ? Le dialecte, c'est une autre question. Il y a toute une culture véhiculée par les dialectes et par l'amazighe. Les dialectes sont des langues nationales qu'on doit enrichir et promouvoir, mais ils ne pourront jamais remplacer la langue arabe au regard de leurs carences, notamment sur la terminologie. Ils sont certes riches de par les chants, les contes, la communication de chaque jour, mais pauvres en ce qui concerne la production de termes. Lorsqu'on veut passer à un niveau éducatif, le dialectal ne suffit pas pour donner des leçons, transmettre un savoir… C'est une langue de la rue et difficilement unifiable, qui touche la pluralité des Marocains. L'absence d'une Académie de la langue arabe peut-elle expliquer en partie ce déclin ? Il y a des assemblées instaurées depuis le XIXe siècle et le début du XXe siècle, qui travaillent justement sur le lexique, la terminologie... Ce dont nous avons besoin, c'est d'un centre de recherche qui facilite cette langue, la prépare pour être bien enseignée dans les établissements, chose qui n'existe pas dans le monde arabe. Au Maroc en l'occurrence, le Conseil national des langues et de la culture marocaine n'a toujours pas vu le jour…