Considérés souvent tantôt comme un espace où on se permet de tout dire ou comme faisant partie d'une sphère privée, les réseaux sociaux se révèlent de plus en plus comme un outil que la société marocaine peine à utiliser. Une absence d'éducation à ces outils qui n'excuse pas, surtout lorsqu'il s'agit de délits et crimes, comme par exemple la diffamation. Au Maroc, l'arrestation du YouTubeur «Moul Kaskita» pour injures à l'encontre des Marocains remet sur la table la méconnaissance des Marocains des règles et des lois s'appliquant aussi aux réseaux sociaux. Car, si plusieurs Marocains considèrent les réseaux sociaux comme un espace leur permettant de s'exprimer librement et sans retenue, il s'agit bel et bien d'un espace public auquel s'appliquent les mêmes droits et devoirs que dans la rue. «Les réseaux sociaux restent le seul espace où les gens peuvent s'exprimer en ''illimité''. On peut ainsi écrire ce qu'on veut, dire ce qu'on veut, quand on veut et cela pose un vrai problème», reconnait Mohamed El Ghazaoui. Directeur d'agence conseil en communication globale et digitale, en contact permanent avec les réseaux sociaux et les influenceurs, il reconnaît que les Marocains «ne savent pas comment utiliser cet outil d'expression» et «lorsqu'on donne à une personne un outil pareil en l'invitant à s'exprimer comme elle le veut, ça part dans tous les sens». «Je pense que nous vivons le pic de cette liberté d'expression sur les réseaux sociaux, qui doit être réglementée par des lois et des normes locales. On vit dans un bordel sur les réseaux sociaux qui n'ont fait que vulgariser des comportements que nous avions dans notre société.» Mohamed El Ghazaoui Les Marocains face à la responsabilité individuelle et personnelle A la question de savoir si les professionnels des réseaux sociaux, appelés influenceurs, sont-ils eux-mêmes conscients du fait des règles et des devoirs sur les réseaux sociaux, l'expert regrette que «la majorité écrasante des influenceurs, comme pour la société marocaine, ne sont pas au courant qu'il existe des lois qui s'appliquent aux réseaux sociaux et qu'il y a des textes incriminant l'usurpation d'identité, l'usage de photos d'autrui ou la diffamation par exemple». De son côté, le psycho-sociologue Mohssine Benzakour estime qu'il y a deux facteurs qui expliquent ce phénomène. D'abord, le fait que «la transition entre le monde réel et le monde virtuel ne s'est pas faite dans les règles», car la génération qui a ouvert les yeux sur les réseaux sociaux n'a jamais, selon lui, été préparée. «C'est quelque part la faute de l'école qui ne peut pas suivre les changements sociaux et technologiques ainsi que leur véracité et leur intrusion dans la vie de l'individu comme celle de la société. Il y a une défaillance à ce niveau», regrette-t-il. Notre psycho-sociologue rappelle aussi que le Marocain a «des problèmes avec les règles, c'est-à-dire là où il y a une institution, des règles à suivre. Il est le premier à ne pas les respecter». «Quand vous allez dans les règles qui gèrent la vie sociale sur les réseaux sociaux, il y a des avertissements que le Marocain ne lit pas, dont la diffamation et les insultes. Ce sont les premières choses interdites sur les réseaux sociaux. Malheureusement, ce sont des messages qui s'adressent aux mœurs et à la responsabilité de tout un chacun et nous savons que les Marocains, face à la responsabilité individuelle et personnelle, sont très défaillants.» Mohssine Benzakour Les réseaux sociaux, un espace public où «l'univers nous regarde» Et ce souci de respecter les règles, Mohssine Benzakour le lie psychologiquement à l'éducation. «C'est toujours le papa et la maman qui jouent très mal ce qu'on appelle ''la rigidité en termes de règles''. Ils ne sont ainsi pas stricts, le non n'est pas clair et le oui n'est jamais clair et parfois, les parents ne sont pas d'accord sur les règles donc l'enfant profite», rappelle-t-il. Ainsi, «une fois que la personne est livrée à elle-même, ses mœurs, ses valeurs, sa responsabilité, il y a plus de chance qu'elle triche plutôt qu'elle soit responsable», déplore-t-il, en affirmant qu'il en est de même lorsqu'il s'agit de la vie publique. Le psycho-sociologue considère que les Marocains «n'ont pas encore pris conscience que la vie, soit dans le réel ou dans le virtuel, reste toujours une vie publique». «C'est même plus qu'une vie aux normes du quartier ou de la ville, mais plutôt aux normes de l'international, car tout un chacun comprenant notre discours, va comprendre ce qu'on dit et malheureusement la mondialisation passe très mal chez nous. Nous ne sommes pas conscients que l'univers nous regarde», ajoute-t-il. Et d'évoquer une «double ignorance» ; celle d'ignorer le contexte national et de ce qu'on appelle espace public, qu'il soit virtuel ou réel, en plus de celle d'«être face à un espace plus large, à savoir le monde entier». Si nos deux experts insistent sur le rôle de l'éducation aux réseaux sociaux pour ce cas de figure, ils divergent sur l'affaire de «Moul Kaskita». Si Mohamed El Ghazaoui insiste sur le fait que «nous sommes dans l'urgence d'avoir une éducation pour les réseaux sociaux pour tout le monde, surtout les plus âgés car ce sont des majeurs qui risquent d'avoir des procès du jour au lendemain sans le savoir», Mohssine Benzakour considère que l'éducation «n'a pas fait son travail». «Tant mieux que la loi commence à bouger et qu'on éduque de cette manière», conclut-il.