Sultan «particulièrement tyrannique et ouvertement antisémite», Moulay Yazid commence son règne avec une campagne de persécution religieuse des juifs à Tétouan et à Fès avant qu'elle ne touche plusieurs autres villes du Maroc. La parenthèse de cette ère antisémite ne sera fermée qu'avec le décès du fils de Mohammed III, deux ans seulement après son arrivée au pouvoir. La vie des juifs au Maroc, avant les immigrations vers Israël au XXe siècle, n'a pas toujours été paisible. Au-delà de la tolérance de la société marocaine et de la cohabitation entre juifs et musulmans pendant plusieurs siècles, l'histoire retiendra plusieurs tragédies ayant perturbé cette harmonie et ce vivre-ensemble tant convoité. Depuis leur arrivée au pouvoir en XVIIIe siècle, les sultans alaouites étaient connus pour leur attention particulière à la communauté juive au Maroc. Plusieurs d'entre eux avaient même hissé aux rangs de conseillers plusieurs Marocains de confession juive. Presque tous sauf un. Sous le règne de Moulay Yazid (1790-1792), les juifs de l'empire chérifien vivaient l'enfer sur terre, à cause d'une campagne de persécution religieuse émanant de sa haine déclenchée par… deux conseillers de son père. Car, de son vivant et vers la fin de son règne, Moulay Mohammed Ben Abdellah (dit Mohammed III) étaient conseillé par deux juifs : Jacob Attal et Eliyahou Lévy. Aux origines d'une haine pour les juifs Le sultan avait aussi, à cette époque, peur de son fils Moulay Yazid. Il «avait surtout peur d'être détrôné par Moulay Yazid qui se réfugia dans un sanctuaire près de Tétouan pour échapper aux sbires de son père», raconte David Bensoussan dans «Il était une fois le Maroc : Témoignages du passé judéo-marocain» (Editions iUniverse, 2012). Car par le passé, Moulay Yazid avait accepté l'allégeance du corps rebelle des Abid Al boukhari. Des soldats de cette puissante armée, chargés pourtant de l'arrêter, finissent par désobéir à cet ordre du sultan Mohammed III. Et à l'âge de 81 ans, le petit fils de Moulay Ismail décide d'aller lui-même achever son fils, Moulay Yazid, mais perd la vie sur le chemin. A la mort de Mohamed III, aucun des nombreux fils du sultan ne pouvait tenir tête à Moulay Yazid, qui contrôlait déjà la puissante armée du royaume chérifien. «Il commença par décapiter les chefs qui furent au service de son père dont l'effendi qui assuma à toutes fins pratiques un rôle de Premier ministre», poursuit David Bensoussan. Moulay Yazid, fils de Mohammed III. / Ph. DR Et il commença par les deux juifs Attal et Lévy qui conseillaient son père. Si le premier a pu prendre la poudre d'escampette, le deuxième fut «décapité avec son frère sur ordre du nouveau sultan». La haine et la colère de Moulay Yazid se propagent assez vite pour toucher l'ensemble des Marocains de confession juive, au point qu'il sera qualifié de sultan «particulièrement tyrannique et ouvertement antisémite», comme le rapporte Robert Assaraf dans «Mohammed V et les Juifs du Maroc à l'époque de Vichy» (Editions Plon, 1997). «Le règne de Moulay Yazid est encore vivant dans la mémoire juive de Fès. A peine proclamé, le souverain fit chasser les Juifs de leurs foyers et les laissa vivre à la belle étoile ou sous des tentes, fit démolir les maisons juives pour en récupérer les trésors cachés, fit déterrer les corps dans le cimetière juif et détruisit les synagogues», raconte pour sa part Joseph Chetrit dans «L'histoire mouvementée des Juifs de Fès». Il commence avec les juifs de Tétouan, ville qui l'a pourtant accueilli, et dont les juifs seront «les premiers à sévir de la folie de ce sultan», enchaîne David Bensoussan, qui cite le récit du chroniqueur Muhamed Al-Duayyef Al-Ribati «Les membres de la délégation qui le reçurent à l'entrée de la ville furent traînés sans pitié dans les rues, attachés à la queue des chevaux. Le Mellah fut razzié et les anciens collaborateurs du sultan Mohamed III furent tués. Les soldats eurent complète licence de saccager la ville.» Muhamed Al-Duayyef Al-Ribati Les juifs massacrés dans plusieurs villes Des viols et des séquestrations auraient alors eu lieu à Tétouan. Dans un rapport adressé à la chancellerie des Habsbourg, Franz Lorenz von Dombat, cité par David Bensoussan, raconte comment les soldats de Moulay Yazid «dévêtirent les Juifs et leurs épouses de tous leurs vêtements avec la plus grande violence et satisfirent leurs désirs avec les Juives et les jetèrent dans la rue». Moulay Yazid aurait aussi promis, selon le même ouvrage, une «récompense pour chaque tête de Juif qu'on lui apporterait». Suite à l'intervention de la mère du sultan, les Juifs de Fès «eurent un traitement de faveur : on exigea d'eux 100 talents d'argent et on leur donna la consigne de ne pas quitter les lieux». Une «consigne sema la panique et les Juifs durent quitter la ville le jour même. Ceux qui restèrent ne purent amasser que 16 talents et les fonctionnaires s'approprièrent» leurs mobiliers, poursuit-on. Cimetière israélite de Fès. / Ph. DR Moulay Yazid, faisant marche arrière quant à la promesse donnée à sa mère, finit même par autoriser à ses soldats de piller, pendant 24h, le quartier juif de Fès. «Une fois arrivé dans la ville, il exigea que les Juifs quittèrent leur quartier pour s'installer dans leurs effets au dépotoir de la ville. Cet hiver-là, un feu se déclara dans ce nouvel abri d'infortune», poursuit David Bensoussan. Durant cette première année de son règne, le nouveau sultan ordonna même de «détruire le cimetière juif et d'utiliser les pierres tombales pour construire une mosquée au Mellah». Une version relayée aussi par la chercheuse Sidney S. Corcos dans «La communauté juive de Mogador-Essaouira». «Sous le règne, heureusement court, de Moulay Yazid, à peine deux ans (1790-1792), les juifs subirent des persécutions et des souffrances, notamment des commerçants et personnalités éminentes qui étaient en relation étroite avec le Palais», écrit-elle. Et d'ajouter qu'un «grand nombre de familles se réfugièrent à Gibraltar et à Londres» alors que d'autres, comme le rabbin Jacob Elmaleh de Mogador, publieront des lamentations en mémoire de ces événements. Une parenthèse fermée avec la mort de Moulay Yazid Dans certaines villes marocaines, comme Meknès, beaucoup de juifs de Meknès quittèrent leurs maisons pour se réfugier dans des montagnes, en Algérie, en Tunisie et même en Palestine. «En arrivant à Oujda, les partants témoignèrent que les juifs eurent les oreilles coupées sur ordre de Moulay Yazid qui trouvait que les vêtements des juifs ne les différenciaient pas suffisamment de ceux des musulmans», rapporte-t-on dans «Il était une fois le Maroc : Témoignages du passé judéo-marocain». Le nouveau sultan du Maroc, qui détestait les juifs, leur infligea même des brimades, comme «l'obligation faite aux juifs de porter des vêtements de couleur jaune», comme l'affirme l'historienne Colette Zytnicki dans «Perceptions antagoniques des frontières juridico-politiques entre juifs et musulmans dans le Maroc précolonial». La même année, Moulay Yazid ordonna aussi de «décapiter soixante notables de Marrakech, juifs ou chrétiens pour la plupart» et «aurait massacré près de 3 000 personnes et crevé les yeux à des centaines d'autres» à Marrakech qui avaient refusé de se soumettre à lui, préférant prêter allégeance à son frère Moulay Hicham. Des juifs du Maghreb. / Ph. DR Selon le récit d'Al-Douayyif, le fils de Mohammed III aurait même «ordonné qu'un juif sur deux eût la tête coupée et que le second ait le visage balafré». Mais cette parenthèse cruelle de l'histoire de l'empire chérifien sera vite fermée. «Seule la mort de Moulay Yazid des suites d'une blessure de guerre lors de la bataille contre Marrakech évita de plus grands massacres», écrit David Bensoussan pour annoncer que la tragédie cessera avec le décès de Moulay Yazid. En 1792, son successeur et frère, Moulay Slimane, commença par rétablir le tort fait aux juifs, en rétablissant notamment les prérogatives des négociants juifs du sultan et en permettant aux juifs de regagner les Mellahs. A Fès, le nouveau sultan ordonna même la destruction de la mosquée construite par son frère à partir des pierres tombales du cimetière juif de la capitale.