Si les conclusions d'une commission du CNDH sur les événements de la prison Ras El Ma à Fès en rapport avec les détenus du Hirak ont été violemment critiquées par la DGAPR, elles déplaisent aussi aux associations des droits de l'Homme. Ce n'est que sur la remarque sur les cellules disciplinaires qu'elles affirment être d'accord. «Aucune trace de torture à l'encontre des détenus [du Hirak à la prison Ras El Ma à Fès] n'a été constatée», a tranché hier le CNDH. Le conseil dirigé par Amina Bouayach a dépêché les 7 et 8 novembre derniers une commission pour enquêter sur les événements qu'a connus la prison locale à Fès suite à un enregistrement audio de Nasser Zefzafi. Si les conclusions du CNDH ont fortement déplu à la Direction générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR), elles ne passent pas non plus du côté des associations des droits de l'Homme. «Le CNDH prend comme référentiel pour rédiger son rapport les textes régissant les prisons au Maroc alors qu'une institution s'intéressant aux droits de l'Homme doit s'inspirer des textes internationaux, à travers les Règles Nelson Mandela», dénonce ce jeudi Aziz Ghali, président de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), auprès de notre rédaction. Pour lui, la commission du CNDH «aurait dû condamner les punitions, comme les 45 jours en détention disciplinaire, et comparer les conditions de la détention avec ces règles». De son côté, le nouveau président de la Ligue marocaine des droits de l'Homme (LMDH), Adil Tchikito affirme ne pas être «convaincu» par ces conclusions. «Si nous avions tous contribué à la mise en place du mécanisme national de prévention de la torture, nous ne nous serions pas aujourd'hui devant une commission peu crédible», fustige-t-il. Une idée qu'il partage avec Driss Sedraoui. Président de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l'Homme (LMCDH), il affirme lui aussi que «le rapport du CNDH doit être conforme aux normes internationales en matière de droits de l'homme» et considère que ces normes «ont été négligés». Les conclusions du CNDH sur la torture ne passent toujours pas Pour les associatifs, le fait que le CNDH parle d'«ecchymoses sur le corps des deux détenus», mais affirme plus loin l'absence de torture ne passe pas. «Ces ecchymoses signifient qu'il y a des passages à tabac contre les détenus, c'est-à-dire des actes de violence», affirme Adil Tchikito. «L'article 1 de la Convention contre la torture définit la torture comme tout acte entraînant des souffrances physiques ou morales», ajoute-t-il. Même son de cloche chez Aziz Ghali : «C'est bien que le CNDH réagisse aux allégations de torture», dit-il, mais s'interroge toutefois de la raison pour laquelle le CNDH n'a pas «réagi précédemment lors des procès des détenus». «Comment le CNDH peut-il parler d'ecchymoses tout en affirmant qu'il n'y a pas de torture ? Quelle est donc sa définition de la torture ? A mon avis, en évoquant ces signes, cela veut dire qu'il y a eu de la torture. Il ne faut mettre des degrés de torture. De plus, le CNDH n'a pas, non plus, fait d'évaluation pour la torture psychologique.» Aziz Ghali Pour le président de l'AMDH, «mettre des détenus au cachot est aussi de la torture». Il dénonce, par ailleurs une «punition collective» des détenus du Hirak sachant que le CNDH affirme que l'altercation n'a eu lieu qu'entre des agents pénitentiaires et deux détenus. Et le président de l'AMDH de dénoncer l'absence de réaction du CNDH quant aux allégations de torture et de viol émises par Nasser Zefzafi. «Le Conseil doit ouvrir une enquête : on ne peut pas cacher le soleil avec un tamis en commentant les événements de la prison Ras El Ma», considère-t-il. De son côté, le président de la LMCDH Driss Sedraoui rappelle qu'en tant qu'ancien détenu, «le mécanisme de contrôle dans les prisons est basé sur la violence et la force et il existe encore certaines formes de torture pratiquée dans diverses prisons». Situation des cellules disciplinaires, un point positif pour le CNDH Quant à l'état de cellules disciplinaires des prisons Toulal 2 et de Ain Aicha, que la délégation du CNDH qualifie de déplorable, les associations fustigent la DGAPR. «Les conclusions comportent un aspect positif : apporter un démenti du récit fictif du Délégué général de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion, sur les conditions de détention et l'absence de tout abus physique à l'encontre des détenus du Hirak», reconnait Driss Sedraoui. «La délégation du Conseil national a exposé une allégation du Délégué général de l'administration pénitentiaire et de la réintégration qui affirmait que ces cellules remplissent toutes les conditions», complète Adil Tchikito. «Rien que le manque d'éclairage est considéré comme une forme de torture extrême selon les Règles de Mandela», tient-il à rappeler. Hirak : La DGAPR riposte violemment aux observations du CNDH De son côté, le président de l'AMDH rappelle avoir «déjà plaidé auprès du Délégué général quant à la situation des prisons qui ne remplissent aucune condition instaurée par les Nations unies et les conventions internationales». «Ces prisons sont elles-mêmes des cachots», critique-t-il. Mais s'ils reconnaissent que la délégation du CNDH a ouvert la boite de Pandore en évoquant brièvement la situation des prisons au Maroc, certains associatifs restent toutefois réticents. «Le Conseil est avant tout une institution étatique et ses rapports tentent d'être plus appropriés et plus modérés», conclut Driss Sedraoui.