Plusieurs voix émanant de l'échiquier politique marocain appellent tantôt à un amendement de l'article 47 de la Constitution, tantôt à la modification du mode de scrutin. Si le politologue Mohamed Darif rappelle les «coutumes constitutionnelle», Abderrahim El Allam pointe du doigt des «conflits partisans», loin de l'intérêt public. Depuis quelques mois déjà, des formations politiques à l'exemple de l'Union socialiste des forces populaires (USFP), déterrent de veilles demandes, donnant ainsi les prémices de la prochaine campagne électorale de 2021. Ainsi, après les appels récurrents à un amendement de l'article 47 de la Constitution, voilà que certaines formations politiques demandent une modification du mode de scrutin. Au Maroc, jusqu'en 2002, les élections législatives étaient faites sur la base d'un scrutin uninominal avant l'adoption d'un scrutin de liste à la proportionnelle. Aujourd'hui, certaines formations politiques souhaitent faire marche arrière. Pour le politologue Mohamed Darif, cette requête est «discutable». «Le problème au Maroc ne concerne pas le mode de scrutin mais les conditions de l'organisation des élections, la culture électorale des Marocains et la stratégie électorale des partis politiques», explique-t-il à Yabiladi. «Le système électoral doit changer, cela est vrai. Mais il n'y a pas que le mode de scrutin», reconnait-il. «Tout le monde sait que le mode de scrutin, qui est un choix politique, est lié au système des partis adoptés par le pays. Il y a des pays qui adoptent un mode de scrutin uninominal à un seul tour, comme la Grande Bretagne, et le cas du Maroc avant 2002 mais qui ne marche qu'avec un bipartisme, c'est-à-dire deux formations politiques capables de décrocher une majorité absolue aux élections pour former un gouvernement homogène. Quant aux pays ayant un multipartisme, comme au Maroc ou en Italie, c'est plutôt le scrutin de liste à la proportionnelle, car un seul parti, quelle que soit sa force, ne parvient jamais à décrocher la majorité absolue.» Mohamed Darif Pour le chercheur, l'objectif de ce système «est de représenter chaque parti selon sa force électorale et le nombre d'électeurs». «Nous avons un système électoral à revoir et ce n'est pas seulement l'aspect technique, comme le mode de scrutin qu'il faut modifier», insiste-t-il, faisant savoir que le débat sur l'amendement de l'article 47 est plus d'actualité que la modification du mode de scrutin. La Constitution de 2011 et les coutumes constitutionnelles Le politologue regrette, à cet égard, que les politiciens ne fassent pas attention aux coutumes constitutionnelles. Comparant entre la Constitution marocaine et celle de 2014 adoptée en Tunisie, Mohamed Darif reconnait qu'au Maroc, «l'article 47 ne dit rien sur le délai de formation du gouvernement et les scénarios à prévoir, comme le cas de plusieurs autres pays». «Et cela a été visible lors du blocage de 2016-2017», relève-t-il. Mais sommes-nous vraiment obligés d'amender l'article 47 ? «Pas forcément, car on peut le changer pour compléter et clarifier les choses ou sinon, à côté de cet article, voir ce que les coutumes constitutionnelles impliquent», nous répond-t-il. Notre interlocuteur rappelle deux «coutumes constitutionnelles» depuis 2011, lorsque le roi Mohammed VI chargeait le secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane de former un gouvernement après les élections de 2011 et lorsqu'il décidait, en 2017, de le limoger. «Pour le premier cas, le Roi avait tranché sur une question de la personne à nommer au sein du parti arrivé premier et qui ne figurait pas dans la Constitution. Une pratique qui a été entérinée en 2016. Pour le deuxième, il y a le communiqué du Cabinet royal en 2017 pour limoger Abdelilah Benkirane et nommer Saadeddine El Othmani, énonçant une autre coutume selon laquelle le Souverain dispose de plusieurs choix, en cas d'un blocage, pour former un gouvernement.» Mohamed Darif Un «pur conflit partisan» De son côté, le professeur de sciences politiques à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech, Abderrahim El Allam, rappelle que les demandes d'amendement de l'article 47 ne sont pas nouvelles. «Déjà lors du référendum sur la Constitution de 2011, il y avait des remarques sur des failles et des lacunes qu'il fallait amender», nous rappelle-t-il. Il reconnait aussi que l'article 47 était ainsi pointé du doigt, notamment pour l'absence de scénario en cas d'échec à réunir une coalition majoritaire, et la non fixation des délais pour cette mission. Mais, à cette époque, «les partis qui appellent aujourd'hui à un amendement s'étaient inscrit dans une hystérie collective pour voter en faveur de la Constitution, sans prêter attention aux observations formulées par les chercheurs», regrette Abderrahim El Allam. «Ce débat qui renaît de ses cendres aujourd'hui aurait été compréhensible s'il avait émané de formations politiques sans agenda spécifique. Malheureusement, nous avons aujourd'hui ceux qui veulent un amendement et ceux qui le refusent. C'est donc un pur conflit partisan.» Abderrahim El Allam Pour le professeur des sciences politiques, «les premiers veulent désavouer le parti vainqueur, craignant la victoire du PJD lors des prochaines élections et veulent imposer un délai pour la formation du gouvernement pour passer, en cas d'échec, au parti arrivé deuxième, ce qui serait dangereux». Alors que de l'autre côté, le PJD qui «pense arriver premier, considère que cet appel à la modification vise à lui couper la route», nous déclare-t-il. «A mon avis, ni les partis politiques appelant à l'amendement, ni le parti qui le refuse, ne cherchent l'intérêt du peuple. Par conséquent, s'il y a amendement de la Constitution, il devrait concerner de nombreux articles et paragraphes, indépendamment des agendas partisans», conclut-il. Entre l'article 47 de la Constitution marocaine et l'article 89 de la Constitution tunisienne L'article 47 de la Constitution marocaine de 2011 énonce que «le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats». Dans son Article 89, la Constitution tunisienne de 2014 énonce que le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l'Assemblée des représentants du peuple est chargé de former le gouvernement. Il dispose d'un mois, renouvelable une fois, pour cette mission. Le cas échant, le Président de la République charge une personnalité pour cette mission, avec un délai d'un mois renouvelable. Puis, après quatre mois sans formation de gouvernement, le chef d'Etat dissout l'Assemblée des représentants du peuple et appelle à des élections anticipées.