La confirmation en appel des condamnations visant les détenus du Hirak du Rif interpelle plusieurs ex-détenus politiques, qui ont fait de la prison entre les années 1970 et 1990. Trois parmi eux donnent à Yabiladi leur lecture de ce procès, à la lumière de leur vécu. Le 5 avril dernier, la cour d'appel de Casablanca a confirmé les peines de première instance, condamnant une quarantaine de militants du Hirak du Rif, dont Nasser Zefzafi, de 1 à 20 ans de réclusion. Le déroulement de ce procès ainsi que son verdict ont fait réagir des acteurs de la société civile, des politiques ayant appelé à l'amnistie générale des manifestants, mais également des ex-détenus des années 1970 à 1990. Parmi eux, Jaouad Mdidech, actuellement écrivain et journaliste, qui a été arrêté en 1975. Celui qui a été également enseignant a été interpellé dans le cadre des arrestations ayant visé le groupe d'Abraham Serfaty, dans les rangs des étudiants marxistes-léninistes. «Après huit mois à Derb Moulay Chrif, j'ai été condamné à 20 ans de prison ferme. J'en ai purgé 14 ans et 4 mois», confie-t-il à Yabiladi. Le journaliste a été relâché après l'initiative prise par Hassan II de gracier des détenus politiques. «C'était le 7 mai 1989, bien que je n'attendais aucune clémence ; c'était par principe que je n'avais pas formulé de demande de grâce», se rappelle-t-il. «Contrairement à la situation dans laquelle nous étions, les jeunes du Hirak ne font partie ni d'un mouvement politique, ni d'organisations secrètes. Ce procès n'aurait pas dû avoir lieu ; même dans le fond, il est entaché de violations flagrantes aux droits de l'Homme», explique Jaouad Mdidech. Des revendications sociales éclipsées par des procès politiques Pour Jaouad Mdidech, comme pour Ahmed Marzouki, ancien détenu de Tazmamart, «il s'agit d'un procès politique par excellence». Pour ces deux victimes des exactions des années 1970, «le traitement de l'affaire du Hirak est dépourvu de sagesse juridique et politique pour s'y prendre d'une manière sereine et apaisée». Ainsi, Jaouad Mdidech estime qu'«il y a eu quelques altercations avec les forces de l'ordre, comme cela peut arriver dans n'importe quel mouvement social, mais rien n'explique de tels jugements». «Habitant de surcroît dans le Prérif, je peux dire que les habitants de ces contrées souffrent d'une grande exclusion et ressentent une colère. Ils ne comprennent pas comment des revendications sociales trouvent leur réponse dans de lourdes condamnations, alors qu'avant cela, des responsables ont été limogés.» Ahmed Marzouki De son côté, Abdellah Mesdad, secrétaire général de l'Observatoire marocain des prisons (OMP), déplore que cette forme de procès desserve tout esprit de réparation collective au niveau régional. «Elle donne lieu à des glissements des questions de développement et de justice sociale vers des poursuites à caractère politique, où l'on exige d'abord la remise en liberté des détenus avant l'avancement des projets auquel on appelait initialement», fait-il remarquer. Enseignant de philosophie à la retraite aujourd'hui, Abdellah Mesdad a été arrêté en 1977 avec des étudiants marxistes-léninistes. Comme lui, ils ont été détenus pendant trois ans sans procès et ont observé une grève de la faim, jusqu'à obtenir une réponse à leurs demandes. Il a été arrêté de nouveau en 1984 et condamné à deux ans de prison ferme, dans le cadre des arrestations visant des anciens détenus politiques, après les émeutes qui ont secoué plusieurs grandes villes du Maroc. «Suite aux grèves de la faim que nous avions menées, nos conditions de détention ont été améliorées et nous avons sensibilisé le public à notre cause. Toujours est-il que le contexte ne doit pas être le même aujourd'hui vis-à-vis des jeunes du Hirak», déplore-t-il. C'est parce que ces anciens détenus considèrent que ce procès n'aurait pas dû se tenir qu'Abdellah Mesdad indique avoir «toujours appelé à ne pas imposer une procédure judiciaire dans la résolution d'une question qui trouve sa réponse dans le politique». «La réaction des autorités a été l'arrestation et la condamnation face à des revendications sociales, ce qui pose d'emblée la problématique de l'équité du procès», nous explique-t-il. Un appel à mettre fin à la détention des militants du Hirak Abdellah Mesdad souligne que «les militants du Hirak sont des détenus politiques pour qui doivent s'appliquer les Règles Neslon Mandela en matière de traitement des détenus», notamment le fait de devoir les laisser regroupés dans une même prison. Peu après la confirmation de leurs peines en appel, ils ont cependant été dispersés, chacun transféré vers une prison dans le nord du pays. Hirak : «Il faut une solution politique et non pas juridique» [Interview] Ce sont ces règles minimales pour le traitement des détenus qui font défaut, selon Jaouad Mdidech. «C'est un travail initié par la justice et que l'administration pénitentiaire termine, comme pour casser la cohésion entre les militants, leurs grèves de la faim, désolidariser leurs familles et mater in fine les actions qui peuvent être entreprises de l'intérieur de la prison où ils doivent être regroupés», remarque-t-il. Le secrétaire général de l'OMP, lui, explique que «la direction de la prison a usage de transférer les condamnés en appel, après confirmation de leur jugement, vers des prisons plus proches de leurs familles selon la capacité de chaque centre pénitentiaire ; toujours est-il qu'en tant que détenus politiques, ils doivent être gardés dans une même prison». Pour lui, «le dénouement définitif à ce dossier est que ces militants soient remis en liberté, car ils n'ont commis aucun crime. Il faut mettre fin à leurs souffrances et à celles de leurs proches». Ahmed Marzouki, qui a passé vingt ans dans la prison de Tazmamart après avoir été arrêté avec un groupe de militaires, suite à la tentative de coup d'Etat de Skhirat en 1971, souligne en effet que «l'approche sécuritaire ne peut pas être une réponse systématique, chaque fois que des gens manifestent dans une région pour leurs droits sociaux légitimes». «En tant qu'anciens détenus, nous sommes passés par un processus de réconciliation, mais je ne peux que déplorer le fait de voir la succession des faits présents, comme si le travail de justice transitionnelle n'avait pas été fait», précise celui qui rappelle, dans ce sens, que le règlement administratif des anciens détenus de Tazmamart est toujours en suspens. «Il est dans l'intérêt de notre pays de mettre fin à cette situation ubuesque. C'est dans l'intérêt de l'Etat de réinstaurer un climat d'apaisement général et c'est également dans l'intérêt des citoyens, pour qu'ils retrouvent confiance en la gestion de la vie publique. Une initiative de grâce pour tous les détenus ayant porté des revendications sociales, mais aussi les journalistes, devient urgente.» Ahmed Marzouki Et Jaouad Mdidech d'enchaîner : «Au niveau du bon sens, l'Etat doit résoudre ce dossier en le classant et en libérant les détenus, pour s'attaquer aux véritables problèmes du pays que sont les inégalités sociales, le chômage, l'intégration des jeunes dans l'emploi, dans le cadre d'un Etat qui doit respecter leurs revendications légitimes.» Selon Abdellah Mesdad, «il viendra un jour où nous arriverons à l'évidence qu'il y a eu des injustices envers ces personnes et qu'il faut les réhabiliter dans le cadre d'un processus de réparation, à la fois individuelle et collective». Il précise que «la solution commence par une remise en liberté et une réponse au niveau du développement socio-économique régional, comme cela a fait partie des recommandations de l'Instance équité et réconciliation (IER) en 2004, qui n'ont pas toutes été mises en œuvre».