Le présumé complot visant à assassiner un ambassadeur saoudien (étrange idée !) sur le sol américain (très étrange idée !!!) sera-t-il jugé assez crédible pour devenir une sorte «d'arme de destruction massive» contre la République islamique d'Iran ? Qui aurait oublié le «cinéma» de Colin Powell agitant une prétendue fiole d'anthrax sous le nez des membres du Conseil de sécurité de l'ONU en 2003 ? Lui-même a exprimé, deux ans plus tard, toute son amertume de s'être livré à cette médiocre mise en scène… Quant aux Saoudiens, on comprend qu'ils soient un peu énervés contre leurs voisins car les Iraniens se paient vraiment leur fiole en ajoutant provocation sur provocation, sur toutes sortes de questions et notamment sur celle de la représentation de la figure du Prophète, un domaine où, pourtant, ça ne rigole pas beaucoup comme on le sait depuis la célébrissime «affaire des caricatures»… On a encore pu le constater récemment avec la diffusion, par la chaîne tunisienne Nessma, du film d'animation Persepolis (voir le précédent billet), la figuration du sacré est vécue sur le mode hypersensible par de très nombreux musulmans. A tort ou à raison, c'est une autre histoire, sachant que les autorités en matière de religion sont elles-mêmes très loin d'être unanimes sur cet épineux problème. On l'a déjà rappelé (ici), les positions doctrinales et plus encore les pratiques de l'islam chiite ou sunnite divergent assez radicalement. Là où le second, sous l'influence de l'islam wahhabite notamment, se montre aujourd'hui de plus en plus iconophobe (dans une société où, paradoxalement, les images sont toujours plus envahissantes), le premier admet beaucoup plus facilement des portraits, plus ou moins symbolisés, des «saints» de l'islam, Mahomet, le «messager de l'islam» compris. Mais ce que les fidèles, toutes écoles confondues d'ailleurs, pourraient avantageusement avoir davantage présent à l'esprit car cela contribuerait à dédramatiser la situation, c'est le caractère non pas figé mais au contraire très évolutif de la jurisprudence, à savoir l'état du droit sur telle ou telle question (en islam, pour ce qui est des affaires religieuses, on appelle cela le fiqh). Sans retourner des siècles en arrière (quand des miniaturistes n'hésitaient pas à dessiner le portrait du prophète de l'islam), il est intéressant de constater qu'il y a quelques années encore le portrait de Mahomet appartenait à l'imagerie populaire (voir ce dossier très intéressant d'où est tirée l'illustration ci-dessous). Quoi qu'il en soit, et même en Arabie saoudite, là où pourtant le caractère sacrilège de l'image est quasiment érigé en dogme, des autorités religieuses affichent aujourd'hui des positions très nouvelles. Lors d'un débat consacré par la chaîne saoudienne (très halal) Al-Arabiya, deux juristes importants, Salem Al-Qaïda (صالح بن محمد اللحيدان) et Hatem Al-shérif (حاتم الشريف) ont ainsi publiquement relativisé le tabou d'une représentation des figures majeures de l'islam, tels que les prophètes ou ceux qu'on appelle les «Compagnons» (Sahara). Ils sont même allés jusqu'à reconnaître qu'elle n'était pas forcément illicite… Carte postale algérienne, années 1920-1930 Une position adoptée, et ce n'est pas un hasard, à l'occasion du débat à propos d'un énième feuilleton posant cette question. En effet, parmi les succès de la récente saison de ramadan figure une série intitulée Hassan, Hussein et Moawiyya (du nom des deux fils de Ali morts dans les combats qui ont vu la victoire du dernier nommé, le fondateur de la dynastie omeyyade). Cette histoire, particulièrement sensible puisqu'elle est à l'origine du grand schisme (fitna) entre sunnites et chiites, mettant en scène toute une litanie de personnages plus ou moins sacrés selon la tradition musulmane, le tournage (l'œuvre portait le nom de Al-Asbât à l'origine) a donc été particulièrement mouvementé, avec des acteurs préférant se désister par crainte du scandale et des autorisations de tournage refusées au dernier moment. Et lorsque la drama a été enfin prête, c'est l'Académie des recherches islamiques (مجمع البحوث الأسلامية), une institution qui dépend d'Al-Azhar au Caire, qui a tenté d'interdire sa diffusion, comme elle avait déjà essayé de le faire pour d'autres feuilletons mettant en scène diverses figures considérées comme sacrées par l'histoire religieuse. Or ces feuilletons sur le messie, la vierge Marie ou encore le prophète Joseph (voir ce billet) ont souvent en commun d'être produits par les Iraniens (chiites comme on sait) et d'être extrêmement populaires auprès du public arabe (très majoritairement sunnite comme on ne l'ignore pas !). En dépit des protestations des garants officiels de la tradition religieuse (sunnite), et malgré toutes les déclarations des islamistes et autres salafistes qui les rejoignent sur ce point, les téléspectateurs du monde arabe redemandent du péplum à la sauce islamique, à tel point que les chaînes télévisées, bon gré mal gré, ne peuvent faire autrement que de suivre le mouvement ! Le client est roi et, malgré toutes les récriminations, Hassan, Hussein et Moawiya a été projeté par les plus grandes chaînes panarabes (Al-Hayat, Rotana…) ou locales (la tunisienne Nessma notamment), tout comme l'avaient été avant lui et avec des dizaines de millions de fidèles téléphages, Youssouf al-Siddiq,Maryam al-Adhra, et Al-Masîh. Sans surprise pour peu qu'on soit un peu mécréant, on constate que la forte demande du public arabe, adroitement exploitée par l'industrie audiovisuelle iranienne, a réussi à faire évoluer les positions de l'islam traditionnel bien plus vite que tous les débats théologiques ! Néanmoins, conformément à la logique de surenchère propre à la transgression des tabous, la prochaine étape consistera sans aucun doute à oser la représentation de la plus sacrée des figures de l'islam, celle du prophète Mahomet. Un «défi» qui est au moins aussi ancien que le cinéma puisqu'il y avait déjà eu un projet de ce genre dans les années 1930 (voir ce très ancien billet). «Côté sunnite», si on peut l'écrire ainsi, on annonce Le Messager de la paix, un remake du très célèbre Al-Risâla (Le Message), réalisé vers la fin des années 1970 par le syrien Mustafa Al-'Aqqâd (voir cet article dans le Guardian). Mais la société qatarie Al-Noor Holding (productrice de Hassan, Hussein et Moawiyya que l'on vient d'évoquer) se lance à son tour dans l'aventure, en partenariat avec Barrie Osborne (Le Seigneur des anneaux, Matrix : tout un programme !…). Centrée sur les premières années de la vie de Mahomet, cette super-propduction de quelque 150 millions de dollars bénéficiera des conseils éclairés du Global Mufti, Youssef Qardâwi (القرضاوي). Dans les deux cas, les responsables ont bien fait savoir que la «licence» dont bénéficie désormais la représentation de certaines figures saintes ne s'étendait pas au personnage principal de l'histoire, Mahomet, dont le visage n'apparaîtra pas l'écran. Mais ce ne sera pas le cas du projet lancé«côté chiite». Le célèbre comédien et réalisateur Majid Majidi a en effet annoncé (article dans le Teheran Times) qu'il travaille actuellement à la réalisation d'un film historique sur la vie du prophète de l'islam. Largement centré sur l'enfance du "messager de Dieu"; le film incluera également des épisodes plus tardifs de la vie de Mahomet, incarné par l'acteur-réalisateur en personne. On verra bien où et comment se fera la diffusion de cette œuvre, mais on imagine qu'elle suscitera quelques sérieux conflits. On espère seulement qu'ils resteront cantonnés au monde des symboles… Pour les arabophones, un article dans Elaph écrit par un 'âlem égyptien proposant 7 arguments justifiant la figuration du Prophète ! Très rapidement : pas de texte spécifiant l'interdiction, le fait que le Prophète pratiquait l'art plastique, qu'il avait recours à la représentation, préfigurant même les films de science-fiction, qu'il avait recours aux devinettes, aux scénarios… Et enfin que c'était un homme !!! Visiter le site de l'auteur: http://cpa.hypotheses.org/