Le mauvais timing choisi par la direction chiite au pouvoir en Irak pour exécuter l'ancien président irakien, Saddam Hussein, accompagné des cris de haine confessionnelle, est venu au moment où une mobilisation de grande envergure est en train de se mettre en place contre les «Raouafidahs» (chiites arabes), et les «Safaouïines» (chiites iraniens). Ces derniers sont accusés de tenter de s'emparer du monde arabe sunnite. Au même moment, George Bush peaufine sa nouvelle stratégie en Irak. Elle sera basée sur une contre-attaque de l'Iran «chiite» par le biais des arabes sunnites. A Riyad, capitale d'Arabie Saoudite, la direction politique et sécuritaire reconnaît explicitement qu'elle avait trop tardé en évaluant la dimension du danger que représente la République islamique d'Iran, aussi bien sur le plan géopolitique régional que sur le plan religieux. Téhéran, qui revient à la charge concernant l'exportation de sa révolution chiite dans l'environnement arabe sunnite. Une partie de l'establishment saoudien reconnaît, implicitement certes, l'erreur fatale commise en participant activement à la destitution du régime de Saddam Hussein ; et, par là, favoriser, sans le réaliser, les plans mis en place par les mollahs chiites d'Iran. Dans les pays du Golfe, y compris au Koweit, on n'hésite pas à rappeler que c'est Saddam Hussein et son armée qui avaient à l'époque endigué la révolution de l'Ayatollah Khomeïni; et, écarté le danger imminent. Ce qui ne sera pas le cas dans l'avenir, plus particulièrement après que l'Irak soit entre les mains des alliés de Téhéran. Ce, même si ces derniers sont aussi les «partenaires» de l'occupant américain. Face à cette situation, Egyptiens et Jordaniens, se rangent désormais derrière le royaume saoudien. Celui-ci, devra, dans les prochains mois, constituer le fer de lance face à l'avancée du chiisme régional chapeauté par les Perses iraniens. Ces Etats arabes sunnites craignent sérieusement aujourd'hui le contrôle des chiites de la région. La naissance du «croissant chiite» (formé de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie), dont le roi Abdallah II de Jordanie avait évoqué, il y a un peu plus d'un an, n'est plus maintenant une simple idée. Il est, plus que jamais, à l'ordre du jour. Notamment, après la défense sur le terrain de la cause palestinienne par l'Iran, et l'humiliation de l'armée israélienne par les chiites libanais, alliés de Téhéran, les combattants du Hezbollah. Ce, alors que les régimes sunnites arabes n'arrivent pas, malgré leurs alliances stratégiques avec les Etats-Unis, à trouver une solution juste et durable au conflit israélo-palerstinien. Ce qui se passe en Irak depuis son occupation jusqu'à l'exécution «chiite» de Saddam Hussein, initiée et couverte par l'administration Bush, ne peut que raviver les craintes des Saoudiens. Ces derniers considérant qu'un Irak gouverné par une majorité chiite placera leur pays sur la ligne de démarcation avec l'Iran. Pis encore, cette situation permettra à cet Etat de les menacer à partir de deux fronts. Le premier, maritime dans le Golfe, et le deuxième terrestre, à travers une minorité chiite saoudienne qui avait été très longtemps marginalisée et qui trouve aujourd'hui les meilleures circonstances pour bouger et faire pression sur le pouvoir d'Al-Saoud. Ces deux menaces sont, selon l'ancien responsable militaire des forces américaines dans la région du Moyen-Orient, le général, John Abi Zeid, semble-t-il, à l'origine du changement d'attitude du président américain ; et, par là, le contraindre, contrairement aux conseils de James Baker et certains membres de son administration, de renforcer les positions militaires maritimes dans les eaux du Golfe. Reste à savoir maintenant l'Arabie Saoudite agira pour confronter la menace iranienne aussi bien sur ses frontières et partout dans le monde arabe sunnite. Scénarii et plans D'après un directeur général d'un groupe français spécialisé dans l'industrie de défense électronique qui étudie, à l'heure actuelle, la mise en place d'un système de défense des frontières d'Arabie Saoudite - Riyad s'intéresse à la construction d'un mur sur tout le long de sa frontière avec l'Iran. Le coût de ce système sécuritaire est évalué à environ 7 milliards d'euros. Cette décision reflète la détermination des dirigeants saoudiens de défendre directement leurs frontières terrestres aussi bien avec l'Iran qu'avec l'Irak. Pour ce qui est de la défense indirecte du côté de la mer, c'est la flotte maritime américaine et les autres pays occidentaux avec lesquels Riyad avaient signé des accords de défense, qui s'en chargeront. Il s'agit précisément de la Grande-Bretagne et de la France. Ce qui explique les critiques formulées, vendredi dernier, par le président français, Jacques Chirac, rendant pour responsable les erreurs commises par l'administration américaine. Celles-ci qui ont abouti au déclenchement de la guerre confessionnelle qui se profile à l'horizon. Le chef de l'Etat français craint une implication de «facto» de son pays au cas où une confrontation se déclenche entre l'Arabie Saoudite, et par là, certains pays du Golfe, soutenus par les Etats-Unis et l'Iran. Dans ce contexte, on apprend qu'un accord est actuellement à l'étude pour mettre sur pied un plan global et détaillé dans lequel participent les grands joueurs dans la région. Outre l'Arabie Saoudite et l'Egypte, la Turquie, en tant que pays sunnite, participera sans doute à faire face aux ambitions régionales iraniennes. Cela ne pourra se faire sans l'apport d'un soutien illimité, à tous les niveaux aux sunnites d'Irak. Ce, dans l'objectif de déstabiliser le pouvoir chiite qui compose avec Téhéran. Cette aide ne s'arrêtera pas aux portes de l'Irak, avait souligné, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue Arabe, lors de son dernier passage à Beyrouth. Les Arabes, sous-entendu, sunnites, qui sont menacés par le danger iranien là où ils sont, auront le soutien inconditionnel nécessaire. Allusion faite à des pays comme le Bahrein où la majorité est chiite, au Koweit et au Liban, où cette communauté tente de faire des démonstrations de force. Cette implication des Etats arabes sunnites ne veut, en aucun cas, répéter l'expérience afghane avec l'ex-URSS. Cela dit, l'idée d'expédier des combattants en Irak est exclue. Parce qu'elle reproduira une Quaeda/bis, d'une part ; et, de l'autre, parce que les Américains n'acceptent pas de recourir à une telle expérience risquée qui pourrait donner naissance à une nouvelle génération de terroristes. Déstabiliser le pouvoir chiite Les bases du nouvel accord arabo-américain consistent, selon une source saoudienne proche du ministre de l'Intérieur, le prince Nayef Ben Abdel Aziz, à interdire à l'Iran d'étaler son influence dans la région. Et, au même moment, affaiblir cette influence dans les pays où les iraniens ont réussi leurs percées. Dans ce cadre, parmi les scénarii proposés, renforcer les positions des modérés arabes et non arabes, sunnites et chiites confondus, pour se défendre contre le chiisme à l'iranienne et combattre l'extrémisme. Le recours à ce scénario est dû à la crainte des Etats arabes d'un soudain retrait des troupes américaines d'Irak ; ou, d'un accord de dernière minute qui sera conclu entre l'administration Bush- qui avait perdu le Congrès et la Chambre des représentants et l'Iran, et par la suite la Syrie. Ce qui ouvre la porte à plusieurs autres scénarii. Parmi les bases de ce nouvel accord en vue, la promesse de George Bush d'envoyer 20 000 soldats supplémentaires en Irak afin d'imposer la stabilité à Baghdad. Et, l'engagement des pays arabes alliés d'envoyer des combattants «modérés» pour faire face à ceux qui ont été formés et financés par la République islamique d'Iran. Washington vise en premier lieu le Hezbollah chiite libanais qui inquiète de plus en plus Israël. Une confrontation entre arabes sunnites et les combattants de ce mouvement chiite, est l'annonce officielle d'une guerre communautaire à travers le monde arabe. Un objectif qui ne peut que réconforter l'Etat hébreu et ses dirigeants. Dans l'objectif d'éviter une telle confrontation au Liban ou ailleurs, le roi Abdallah Ben Abdel Aziz a invité une délégation du leadership de Hezbollah à faire le pèlerinage à la Mecque. C'est dans ce cadre qu'il a reçu le numéro 2 de ce mouvement, Cheikh Naïm Qacem et ses compagnons pour discuter pendant plus de deux heures de l'apaisement de la situation au Liban. Saddam partie de l'enjeu C'est dans ce même ordre de mobilisation des forces sunnites que les Saoudiens ont commencé, il y a quelques semaines, à renouer avec l'Organisation des Frères musulmans, notamment la branche syrienne. Il semble que le Caire et Riyad sont désormais prêts à composer avec ces opposants islamiques, surtout après que toutes les initiatives pour «raisonner» le régime syrien, et le convaincre de se démarquer des Iraniens, ont été vouées à l'échec. Ces informations et ces nouvelles orientations trop risquées pourraient réconforter certaines forces régionales et inquiéter d'autres. Mais les résultats d'une confrontation entre chiites et sunnites ne pourra que rendre la situation plus explosive. Surtout que tous les ingrédients d'un non retour à la stabilité pour longtemps sont déjà rassemblés. De plus, aucun des Etats arabes concernés par le déclenchement de ce processus qui renvoyant la guerre fratricide, peut être déjà consommée, à l'époque des «Sahabas», ne pourra garantir le dérapage. En d'autres termes, voir les courants islamistes extrémistes sunnites, profiter de la nouvelle donne pour consolider leur popularité. Cela s'applique également aux mouvements chiites extrémistes. Est ce qu'une telle configuration pourrait permettre à l'administration Bush, coincée et affaiblie plus que jamais, à résister pendant les deux prochaines années ; et, par là, montrer aux américains qu'elle pourra toujours tirer les ficelles au Moyen-Orient et garantir les intérêts stratégiques des Etats-Unis ? L'enjeu est énorme et les risques aussi. Dix jours avant la livraison par les Américains de l'ancien président Saddam Hussein aux services du premier ministre irakien Nouri al-Maliki, pour être exécuté, l'ambassadeur des Etats-Unis à Baghdad, Zalmay Khalil Zad, s'est rendu discrètement à Amman. Il avait rencontré tard dans la nuit, le souverain Hachémite pour lui transmettre les informations qui lui sont parvenues le matin de ce même jour. Elles consistaient à lui faire savoir que Washington avait l'intention de reporter l'exécution de trois semaines. Le temps nécessaire pour l'administration Bush de trouver les issues adéquates. Au même moment, les Américains négociaient dans la capitale jordanienne avec les dirigeants politiques Bâassistes, venus de toute part, la libération de l'ancien président contre un arrêt total de la résistance et la participation au processus démocratique. Cette orientation a été confirmée par le nouveau secrétaire de la Défense, Gates, qui s'est rendu dans la capitale irakienne, deux jours après. Quatre jours plus tard, à 5 heures du matin, Zalmay Khalil Zad avait été réveillé pour répondre à un appel urgent du président américain dans lequel, ce dernier lui demandait de livrer Saddam Hussein au gouvernement irakien, notamment à Nouri al-Maliki, pour être exécuté. L'ambassadeur américain, trop gêné par cette décision, a de suite mis le roi Abdallah II de Jordanie au courant de cet événement. Ce dernier, qui participait indirectement aux pourparlers avec les Bâssistes, n'a pas caché sa déception, attirant, en même temps, l'attention sur la gravité d'une telle décision. Cependant, un des ses proches conseillers avait explique à La Gazette du Maroc, que le changement d'attitude de la part de Bush est intervenu après qu'il ait été convaincu par Dick Cheney et l'ancien ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, que l'exécution de Saddam par les chiites est une occasion à ne pas rater. Car, elle poussera, d'une part, les sunnites à coopérer avec les Américains au cas où ils peuvent «capitaliser» cette exécution ; notamment, en mettant dans la ligne de mire Moktada al-Sadr et ses milices ; et de l'autre, culpabiliser à chaque instant, le premier ministre, Nouri al-Maliki et ses alliés. Forcing des Américains Plus particulièrement les Marjaïates de Najaf qui, d'après les Américains, ont donné une fatwa selon laquelle Saddam Hussein devra être exécuté le premier jour de Aïd d'Al Adha. Depuis cette exécution, les Américains font un forcing sans précédent pour se rapprocher des Sunnites. Ce, en obligeant les Chiites à faire de plus en plus de concessions. La dernière en date, inviter la famille de Saddam Hussein à revenir vivre en Irak sous la protection aussi bien du gouvernement et des Américains. Dans ce même ordre de rapprochement, ils poussent les Kurdes, eux aussi sunnites, à se démarquer des chiites, et soutenir leurs frères. Car, l'obstacle principal n'existe plus. De son côté, le leader Kurde, Massaoud Barazani, critique ouvertement Al-Maliki, qui a voulu faire le héros chiite en exécutant Saddam Hussein pour son crime à Dujaïl qui avait coûté la vie à 136 chiites, en laissant de côté les massacres des dizaines de milliers de Kurdes dans la campagne d'Al-Anfal. Un début de pressions sur le pouvoir chiite. Dans ce cadre, on apprend que Barazani est invité en Arabie Saoudite. Ce, alors que le président Kurde, Jalal Talabani, a reçu des ordres des Américains, de ne plus inviter ni recevoir des responsables iraniens chez lui à Assoulaïmanieh, son fief dans le Kurdistan irakien. En dépit de tous les démentis de la part des Saoudiens concernant la mobilisation des sunnites partout dans le monde arabe, ce qui se passe sur le terrain prouve le contraire. Cette mobilisation fait désormais partie d'une stratégie qui est en train de se concrétiser. Car la riposte des sunnites arabes est une forme de la défense du royaume saoudien contre l'«invasion iranienne». Les hommes politiques arabes sunnites parlent pour la première fois des ambitions de l'Etat des «Majous», ces Kouffars perses. Les tensions montent chaque jour d'un cran alors que l'Arabie Saoudite n'est plus prête à faire marche arrière avant que l'influence régionale iranienne diminue. Cela ne pourra malheureusement se faire sans une réelle confrontation sur le terrain entre sunnites et Chiites. Les dés sont jetés et les paquets sont déjà mis du Machrek au Maghreb.