Quelques slogans vulgaires scandés par des ados, un drapeau brûlé, et voilà une partie des Marocains en émoi. Billet d'humeur. Au troisième top, il sera midi. Ou bien onze heure ? Plus personne ne sait. Les Marocains qui, jadis, se levaient au chant du coq, sont devenus girouettes depuis qu'on a déréglé l'heure sur leurs smartphones. Avec le dérèglement climatique, l'été s'étale sur l'hiver, exception faite pour le mois de Ramadan. Bienvenue au pays du «Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?». Depuis la décision historique de Saâdeddine El Othmani d'économiser deux changements d'horaires sur quatre dans l'année, le peuple est en émoi. Et bien sûr, le gouvernement Casio a eu la brillante idée de ne pas supprimer le doublon du Ramadan. L'heure d'hiver pendant le jeûne c'est sacré ! Grognement virtuel des parents 2.0, manif du ter-ter pour les ados. Le monde à l'envers ! Les parents pétitionnent sur Avaaz tandis que leurs gamins s'essayent à la contestation dans la rue. Slogans enflammés, vulgarités et insultes à destination du chef du gouvernement, drapeau brulé, etc. L'heure d'été sera chaude... même en hiver ! Il n'en faut pas plus pour que les adultes - peut-être les mêmes parents pétitionnaires - s'émeuvent sur les réseaux sociaux des actes intolérables de cette jeunesse en déperdition. «Climat insurrectionnel ! L'autorité est partie avec Hassan II. Blad siba ! Fuyons avant que nos enfants ne nous fassent la peau...» A croire que ces vieux - autrefois jeunes - n'ont jamais vu de manif d'ados turbulents au Maroc ou dans le monde. Jeunes et déjà si vieux... Mais comprenez-les, leur plus grand fait d'armes depuis l'âge adulte a été de signer une pétition en ligne contre l'augmentation des impôts. De vrais conservateurs IRL qui se rêvent Che Guevara sur Facebook. Une population si jeune, et déjà des réflex de vieux. «Slaguet !», criera sur Twitter un vieux cadre en assurance de 30 ans. «Ah non ! Tout mais pas le drapeau. Brûler la photo de Othmani, c'est plus sympa», proposera sur Instagram cette esthéticienne patriote. «Sipa coume ça kou change un payé», pestera cet ancien fonctionnaire d'un ministère roulant depuis peu en Jaguar. Même les anti service militaire obligatoire d'hier, révisent leur position aujourd'hui à la lumière des récents évènements. Et si on laissait jeunesse se faire au lieu de voir une sédition en tout acte de contestation de l'autorité d'adolescents avant tout en rebellion contre leurs parents ? Même les militants de gauche qui rêvent du grand soir n'arrivent pas à voir dans cette colère automnale, les germes d'une révolution. C'est vous dire l'hystérie qui s'est emparée du Maroc depuis quelques mois. Il faut avouer qu'il y a de quoi collectionner les pathologies psychiatriques avec les improvisations du gouvernement El Othmani. Jeudi, conseil du gouvernement : Tout se passe normalement, c'est-à-dire qu'aucune réforme courageuse ne sera décidée. On ne change pas une équipe qui... gagnerait à démissionner. Quelques heures après cette réunion normale, la décision est prise de convoquer d'urgence tous les ministres afin d'acter le non changement d'heure d'été même en hiver. Qui a décidé qu'on ne changerait rien ? Personne ! Le roi ? «Non c'est moi !», assumera fièrement El Othmani. Remède plus douloureux que le poison Mais jusqu'ici, tout allait bien. Pour corriger un non changement d'heure qui ennuie les parents ronchons sur Facebook, le gouvernement va décider de tout changer. S'il n'a probablement pas pris la décision qu'il endosse bon gré mal gré, Saâdeddine El Othmani va successivement changer les horaires des écoles publiques et privées, changer les horaires des fonctionnaires, proposer aux entreprises privées d'adapter leurs horaires, laisser la première décision à la discrétion des académies... Cela fait tout de même beaucoup de rustines pour réparer le trou d'une décision improvisée. Mais le ministre de la Réforme de l'administration et de la fonction publique assure que tout ça a été travaillé depuis de longs mois. Ils ont donc mis sens dessus dessous le pays suite à une étude commandée en mars dernier. Dommage qu'il n'y ait pas d'étude magique sur la corruption dont on appliquerait les recommandations un vendredi pour feinter tous les corrompus et les corrupteurs. En un week-end, le Maroc passerait premier dans le classement de Transparency au nez et à la barbe de la Nouvelle-Zélande et des pays scandinaves. Mais bon, une réforme à la fois. Priorité à GMT+1 pour économiser l'électricité. La menace est à peine voilée : sans l'heure d'été toute l'année, il faudra dire adieu à votre climatiseur. C'est vrai qu'en automne, la menace fait un flop. Mais imaginez l'argument massue si le non changement d'heure était tombé en plein été ? Le Marocain n'aime peut être pas le (non) changement d'heure, mais ce qu'il déteste le plus est qu'on touche à son confort. Vivement que le Ramadan tombe en plein hiver pour qu'enfin on n'ait plus à changer d'heure.