La fin de la transition démographique devait signer pour le Maroc, selon le démographe Youssef Courbage, chercheur à l'INED en France, son entrée dans la modernité et une nouvelle ère de prospérité économique. Aujourd'hui, les effets de ce qu'il appelle le «bonus démographique» semblent se perdre faute de parvenir à créer suffisamment d'emplois. «La forte pression sur le marché de l'emploi va diminuer : les entrées de jeunes sur le marché du travail vont progressivement se ralentir. Les départs en retraite vont également s'accélérer, de sorte que des jeunes mieux formés vont remplacer des personnes âgées, moins compétentes. Ces transformations agiront sur la propension à émigrer à l'étranger.» En 2006, Youssef Courbage annonçait ainsi l'avenir heureux que promettait la fin de la transition démographique au Maroc. «Les projections indiquent aussi que le Maroc aura à gérer un marché de l'emploi tendu jusqu'au milieu de la prochaine décennie, et que la tension ne baissera qu'à partir de 2013», estimait-il alors. «Nos projections ne se sont pas vérifiées», a admis Youssef Courbage, vendredi 5 octobre à Rabat dans le cadre de la série de conférences organisée par la CDG. «La bulle démographique provoquée par l'augmentation du nombre de jeunes dans la population liée à la transition démographique a commencé à se dégonfler dans les années 2000. La proportion des jeunes dans la population a (comme il le prévoyait en 2006, ndlr) cessé d'augmenter puis s'est réduite fortement», indique Youssef Courbage. Selon le recensement de la population, la part des jeunes de moins de 15 ans a encore baissé de 31,2% à 28,0% entre 2004 et 2018. Un bonus démographique qui a bien eu les effets escomptés sur l'économie Comme prévu par le modèle démographique, l'alphabétisation de la population, même si elle n'a pas été à l'origine de la transition démographique, l'a bien accompagnée par la suite. Aujourd'hui, en 2014, 92% des enfants âgés de 7 à 12 ans sont scolarisés. «Les différences entre les sexes se sont réduites à presque rien, or l'école c'est la modernité. Les conséquences sur l'autonomisation de l'individu sont considérables. Le mariage entre cousins est en très forte diminution et crée un brassage favorable à la formation de l'Etat nation», ajoute le démographe. «Le recul de la mortalité, l'allongement de la durée de vie à 43 ans, dans les années 50, à 76 ans aujourd'hui, changent les mentalités : la mort n'est plus à tous les coins de rue, son spectre recul. Les perceptions de la vie changent, le fatalisme se réduit. Ainsi, la population tend à être moins nombreuse mais mieux éduquée, en meilleure santé, mieux nourrie… La raréfaction du nombre de jeunes crée ainsi un bonus démographique», estime toujours Youssef Courbage, guère inquiet du vieillissement de la population qui s'annonce. «La vitalité n'est pas qu'une question d'âge. Les structures familiales des pays arabes peuvent permettre une prise en charge des personnes âgées loin des difficultés rencontrées par les Etats européens.» Youssef Courbage, démographe à l'Institut national d'études démographiques Comme prévu, ce bonus démographique a bien eu les effets escomptés sur l'économie. «En 2018, sur la base des chiffres de 2014, j'ai refait mes calculs. Le nombre d'entrées sur le marché du travail se stabilise, alors que le nombre de sorties augmente. En toute logique, la pression sur l'emploi devrait baisser, pourtant le chômage augmente encore. En fait, la création d'emplois reste insuffisante même pour une population entrant sur le marché du travail qui se réduit», explique le démographe aujourd'hui. Le taux de chômage global et le taux de chômage des jeunes augmentent. Celui des jeunes urbains devrait atteindre 50% cette année. «En 2006, nous avions calculé que 350 000 créations d'emplois par an étaient nécessaires pour absorber tous les jeunes arrivant sur le marché du travail, mais même alors on était en deçà», se souvient-il. Le gouvernement politique et économique du Maroc ne parvient donc pas à saisir l'opportunité offerte par les bouleversements démographiques. Dès lors, «tous les bénéfices de la transition démographique risquent de tomber à l'eau. En 2008, certains ont même fait un lien de cause à effet entre la crise économique mondiale et les printemps arabes trois ans plus tard», souligne enfin le démographe syrien.