L'annonce aura choqué plusieurs. A bord d'une pateras en direction de l'Espagne, depuis les côtes de Fnideq, une passagère marocaine a succombé à ses blessures après les tirs de la Marine royale qui a arrêté l'embarcation. Il s'agit d'une première, face à laquelle des associations sont sous le choc. Dans la nuit du mardi à mercredi, l'information a fait le tour des réseaux sociaux, choquant plusieurs Marocains dont ces acteurs de la société civile. Hayat B., une étudiante universitaire âgée d'une vingtaine d'années a succombé à ses blessures après avoir reçu une balle au bassin. Elle faisait partie des 25 passagers d'une embarcation de type «Go fast», qui a tenté de conduire des jeunes de la régions vers l'Espagne. La Tétouanaise n'a pas été la seule à être touchée par balle, au cours de cette opération menée hier par la Marine royale pour mettre en échec la traversée. Lors des tirs, trois autres Marocains ont été blessés. L'un a été transféré à Rabat après s'être fait amputer du bras. Un second a été touché aux cuisses, tandis que le troisième aurait reçu une balle au cou, selon plusieurs médias dont Le Desk. Entre choc et indignation Si les autorités locales expliquent que cette intervention est survenue après plusieurs tirs de sommation adressés au conducteur de l'embarcation, ce dernier n'a en tout cas pas été touché. Auprès de Yabiladi, le président de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) à Nador, Omar Naji s'indigne. «Si les tirs de sommation visaient le conducteur et que la fusillade avait surtout pour but de l'empêcher de continuer sa route, selon les autorités locales, pourquoi avoir visé les Marocains qui n'étaient que des passagers ? Parce que celui qui est aux commandes est Espagnol et qu'il ne faut donc pas le blesser ?» Confirmant à Yabiladi que les personnes blessées sont toutes issues de la région, Mohamed Benaïssa, président de l'Observatoire du nord pour les droits de l'Homme (ONDH), précise de son côté que l'opération a donné lieu l'arrestation de deux ressortissants espagnols. Ils ont vraisemblablement été deux à conduire cette embarcation «qui arborait un drapeau espagnol». Si l'usage des armes à l'encontre de nationaux choque, Mohamed Benaïssa n'écarte pas la possibilité d'une opération dissuasive. De plus, «les barques à moteur de type "Phantom" sont souvent utilisés par les trafiquants de drogue actifs entre le Maroc et l'Espagne», ce qui a donné lieu à de folles rumeurs après l'intervention de la Marine royale. «Aux premières heures ayant suivi les faits, nous avons entendu des versions et leur contraire», nous confie ainsi Karima Layachi, présidente de la section de l'AMDH à Fnideq. «Certains disaient que les passagers auraient payé les passeurs, d'autres avançaient qu'ils étaient de mèche avec ces derniers ; il est difficile de démêler le vrai du faux, ou encore d'entrer en contact avec les familles des blessés et surtout celle de la jeune femme décédée. Nous suivons en tout cas son dossier jusqu'à ce que ses proches obtiennent sa dépouille pour l'inhumer.» Karima Layachi, présidente de l'AMDH - Fnideq Selon le président de l'ONDH et contrairement à certaines versions diffusées sur les réseaux sociaux, ce passage vers l'Europe aurait été «proposé gratuitement, puisque cette embarcation fait partie de celles qui s'introduisent depuis plusieurs jours dans les côtes du Nord en appelant les passants à les rejoindre pour regagner l'Espagne». «Ces véhicules peuvent accueillir des passants, des femmes et des enfants, qui se promènent parfois même en famille et sont embarqués même s'ils n'avaient pas l'intention de se rendre au royaume ibérique», ajoute-t-il. Par ailleurs, Mohamed Benaïssa déplore que cette opération ait fait des blessés et conduit à la mort d'une passagère parmi «des jeunes qui ne rêvent que d'un avenir meilleur». Des poursuites au lien d'intervention sur le plan social Après leur tentative avortée, les passagers pourraient faire l'objet de poursuites pour tentative d'émigration illégale, selon le président de l'ONDH. En effet, ce dernier nous indique que «les blessés sont sous haute surveillance par la Gendarmerie au sein de l'hôpital de Fnideq, à tel point qu'il est impossible de leur rendre visite. Ils pourraient être déférés devant le parquet». Dans le nord du Maroc, de jeunes nationaux sont de plus en plus tentés par cette traversée, comme nous confirme Karima Layachi : «Hier avant les faits, je devais me rendre au commissariat. Arrivée sur place, le lieu était archicomble. La police avait interpellé un grand nombre de jeunes qui auraient été dans l'attente de voir apparaître à l'horizon une pateras. Issues d'autres régions du pays, ils signaient des PV avant d'être reconduits dans des cars jusqu'à leurs villes d'origine.» Notre interlocutrice déplore aussi le fait que «jusqu'à ces derniers temps, nous n'entendions parler que passages de migrants non-marocains, mais le phénomène de voir nos nationaux traverser la mer de la sorte s'est vite répandu». La présidente de l'AMDH à Fnideq affirme même que «certains ont réussi à regagner l'Espagne et ont même pu recontacter leurs familles pour les rassurer». Si ces traversées sont de plus en plus régulières, Karima Layachi estime que ces jeunes restent «des victime de l'Etat marocain», la situation actuelle traduisant un «échec collectif à pouvoir leur tendre la main». En effet, «il ne s'agit pas uniquement que de leur trouver un travail», mais surtout de «les accompagner dans leur processus d'autonomisation». Dans ce sens, la militante alerte sur la situation des jeunes de la région qui sont «livrés à eux-même» et auprès de qui l'usage de drogues s'est massivement diffusé. Comme nombre d'associatifs locaux, Karima Layachi nous confier qu'«à M'diq-Fnidek, ceux qui ne meurent pas en mer meurent de la consommation des drogues ; c'est une réelle problématique sociétale».