Franck Fregosi est spécialiste des questions relatives à l'islam en France, directeur de recherche au CNRS et chargé de cours à Sciences Po Aix. Il a réédité, chez Hachette Pluriel, «Penser l'islam dans la laïcité», en juin 2011. Alors que le ramadan approche et que les remarques stig¬matisan l'islam se multiplient, il analyse la place que tient aujourd'hui le ramadan en France auprès des musulmans mais aussi des non musulmans. Interview - Yabiladi.com : La pratique du ramadan augmente-t-elle, en France ? - Franck Fregosi : En 2009, l'institut de sondage Ifop a publié des statistiques sur la pratique de l'islam en France, entre 1989 et 2007. [Une étude réalisée sur la base d'enquêtes actuelles et historiques de l'Ifop, ndlr] Cette étude et l'une des rares à offrir des données précises. Parmi toutes les pratiques relatives à l'islam, celle du ramadan est la plus observée. [39% des personnes d'origine musulmane en France, en 2007, font la prière quotidiennement, 23% vont à la mosquée le vendredi, 6% ont réalisé un pèlerinage à la Mecque, enquête Ifop, ndlr]. L'étude souligne également que la pratique du ramadan a eu tendance à augmenter jusqu'en 2001, puis à se stabiliser. Tous les musulmans se retrouvent pendant cette période pour manifester publiquement leur appartenance à l'islam. Ceci dit, le fort taux de pratique du ramadan mesuré par l'Ifop est à relativiser car l'enquête est basée sur les déclarations des personnes interrogées, or il est difficile pour une personne d'origine musulmane d'affirmer publiquement qu'elle ne fait pas le ramadan, sous la pression sociale que l'on connait. - Le ramadan tient-il une place particulière auprès des musulmans dans un pays où l'islam n'est pas la religion majoritaire ? - Le ramadan ne fait pas partie des usages dominants. La portée religieuse du ramadan est donc plus forte. Jeûner lorsque l'on est le seul à le faire est plus louable car cela demande un effort supplémentaire. Le musulman en retire plus de bénéfice religieux. Au Maroc, le ramadan est un acte social plus banal, plus routinier. Même si cela peut sembler paradoxal, en apparence, le ramadan a aussi une valeur sociale particulière, en France. Il est un moment privilégié pour toute la communauté, car c'est bien le seul moment de l'année où l'on peut réellement parler de communauté musulmane. C'est une période de très forte socialisation, où l'on réaffirme une appartenance collective. - Les plus jeunes, nés en France, dans une fa¬mille musulmane, ont-ils tendance à abandonner cette obligation religieuse ? - La pratique du ramadan des jeunes est plus faible et plus fluctuante que celle de leurs aînés, mais cet écart à tendance à se réduire car c'est chez les plus jeunes que s'accroît le plus fortement la pratique de la prière, par exemple. La famille tient une place particulière pendant le ramadan, car il réunit toutes les générations. On essaie alors de donner à la famille tout son sens en rassemblant ses membres autour du repas nocturne. Le ramadan est l'occasion pour les parents de dire : «voilà, ce qui nous réunit, c'est aussi l'islam». C'est particulièrement le cas ces deux dernières années : le ramadan a lieu durant les vacances d'été. Les familles ont pu saisir l'occasion pour initier les plus jeunes alors que c'est une chose plus difficile à faire, le reste du temps, avec l'école. Le ramadan est alors une interface entre les générations pour un passage de relai. - Face à la stigmatisation de l'islam et des musulmans, en France, la dimension communautaire du ramadan se renforce-t-elle ? - Ces attaques n'ont pas d'influence directe sur la pratique du ramadan.Ce genre de propos peut pousser les musulmans à montrer publiquement qu'il est un moment de partage. Le ramadan est certes un moment privilégié de la communauté mais il ne signifie pas qu'elle se referme sur elle- même. A l'occasion des ftours les communautés marocaine et algérienne invitent de plus en plus fréquemment les élus. C'est l'occasion de les sensibiliser aux problèmes de leurs communautés. - Quelle place tient le ramadan auprès des non-musulmans ? - Il rebute certains d'entre eux et en fascine d'autres, mais dans l'ensemble, il y a une sorte de banalisation du ramadan. On en parle dans la presse et certains commerces l'utilisent comme argument commercial. Même si ce n'est pas ou-vertement affiché, on voit des promotions sur les dattes, sur la charcuterie hallal... Les petits gâteaux dans les pâtisseries arabes se vendent aussi beaucoup pendant le ramadan auprès des non-musulmans. D'un point de vue religieux, le ramadan a inter-pellé d'autres croyances., Il a amené l'Eglise, notamment, à redécouvrir les valeurs spirituelles et symboliques du carême. Elle a renouvelé son discours pour insister sur ses exigences spécifiques. Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°9