Si en Europe, la consommation de boissons alcoolisées n'est pas un interdit religieux, elle est sévèrement contrôlée et des moyens considérables sont mis en œuvre pour sensibiliser la population aux effets néfastes sur la santé et les risques d'accidents. Au Maroc, pays musulman où l'alcool est normalement réservé aux non-musulmans, la société est prise en otage entre la réalité et les discours moralisateurs religieux. Plusieurs dizaines de millions de litres de boissons alcoolisées sont consommées chaque année au Maroc. Il est évident que les non-musulmans -très minoritaires au Maroc- n'ont pu consommer à eux seuls toute cette quantité. Leur foie (l'organe et non la foi religieuse) ressemblerait à une éponge baignant dans une mare alcoolisée. Il est donc certain que les musulmans aident un peu à écouler tout le stock de bière Spécial et autre alcool fort au moins hors période de ramadan. Le problème du débat sur l'alcool au Maroc tient en la taxation d'extrémiste religieux toute personne qui tiendrait un discours mettant en relief le coût social au niveau de la santé publique, la sécurité routière... Difficile de se faire une place entre les discours où le religieux est la seule grille d'analyse et les thèses qui prônent la liberté totale au détriment de la santé des individus et des finances publiques. Au Maroc, un Claude Evin auteur de la loi portant son nom et qui interdit la publicité pour l'alcool, passerait pour un Ben Laden en col blanc. La cravate et le visage rasé ne pourrait tromper les anti-islamistes compulsifs. Or, il est urgent de poser le débat de ce fléau au Maroc. Les marques de gin, vodka, whisky s'affichent ouvertement dans les magazines et journaux du pays. Aujourd'hui, ce qu'on appelle les « premix », subtil mélange entre alcool fort et soda, qui créé la polémique en France par exemple, font un tabac chez les adolescents du Royaume grâce notamment à leur machine marketing dramatiquement efficace. L'Etat, si prompt à faire du copier-coller de la législation française s'est montré très prudent -pour ne pas dire fébrile- sur une interdiction de publicité qui serait salvatrice. L'Etat est également aux abonnés absents quand à la prévention routière et l'alcoolisme au volant. Les forces de l'ordre si prompt à vous arrêter dès que vous grillez un feu orange imaginaire, ou un excès de vitesse de 7 km/h, ne prennent pas la peine de traquer les poivrots au volant. Vous pouvez vous balader avec une bouteille de Vodka à moitié vide sur le siège passager qu'ils n'y verront que du feu. D'ailleurs aucun policier n'a de matériel pour contrôler le taux d'alcoolémie des conducteurs. Pourtant l'alcool au volant tue ! Le nombre de morts et de blessés sur nos routes sont là pour attester du coût pour la société marocaine. On parle souvent des dangers de l'alcool sur la santé des personnes (cirrhose du foie, dépendance, accident de la circulation...) mais on oublie trop souvent que ce fléau touche également le reste de la population. Un accident de la circulation, une personne malade à cause de l'alcool représente un coût pour la société et grignotent chaque années quelques pour cent du PIB. A l'heure où l'on parle de généralisation de la couverture sociale, de prise en charge des maladies graves, on ne peut faire l'économie d'un débat « dépassionné » sur le coût social de l'alcool au Maroc et mettre en place des mécanismes de régulations, de contrôle, de prévention, et n'ayons pas peur des mots de répression. Chacun est libre d'acheter au prix fort sa bouteille de premix ou de gin, à condition qu'il ne prenne pas le volant et qu'il ne trouble pas l'ordre public. Les responsables politiques doivent par contre cesser l'hypocrisie générale et réfléchir aux lois qui limiteront les dérives. A force de laisser la place aux discours essentiellement politico-religieux, on oublie aussi et surtout le bien être général de la société et des individus qui la compose.