En activité depuis le début des années 1930, la mine de charbon de Jerada a fait très tôt de cette ville une cité ouvrière. Celle-ci s'est construite autour de l'extraction de charbon, faisant engager rapidement ses premiers travailleurs dans l'activité syndicale. Retour sur une action dont les fers de lance ont propulsé la création de l'Union marocaine du travail (UMT). Située dans le nord-est du Maroc, la cité minière de Jerada est historiquement connue par son activité économique depuis au moins 1929. Autour de la mine de charbon, elle a créé un tissu social qui s'est densifié pendant plus d'un demi-siècle, et dont la vie est directement tributaire du site minier. Le charbon est extrait à volonté, fortement exploité et exporté partout ailleurs. Mais depuis la fin des années 1990 et dans un contexte où les cours mondiaux du minerai ont considérablement chuté, la prospérité économique de la mine s'est érodée. Le seul site industriel de la ville a été officiellement fermé, dans le cadre d'un plan social. Ce dernier est demeuré contesté jusqu'à nos jours ; les acteurs l'ayant fustigé rappellent comment il a plongé des milliers de familles dans la précarité. En d'autres termes, l'activité minière a officiellement été mise à l'arrêt il y a une vingtaine d'années. Cependant, les ouvriers sont restés prisonniers d'un travail informel, car la mine a continué à fonctionner clandestinement, n'obéissant à aucune norme et ne laissant aucun choix à ceux qui ont résisté à l'exode. A une soixantaine de kilomètres au sud d'Oujda, la ville de Jerada s'est construite autour de la mine de charbon. / Ph. DR. C'est ainsi que la ville de Jerada a enterré lundi deux jeunes frères parmi ces travailleurs-là, morts au fond de la mine trois jours avant. La tension sociale était pesante depuis une dizaine d'années et cet accident l'a ravivée, donnant lieu à une série de manifestations. Depuis vendredi dernier, les habitants de Jerada ont donc investi la rue, pour protester contre la situation à laquelle ils sont abandonnés, dans une ville rongée par le chômage et le travail informel mal payé. Alors que la fronde sociale ne faiblit pas, ce mouvement contestataire rappelle le passé résolument militant de cette cité minière, au cœur de laquelle l'un des tous premiers syndicats marocains est né. Le bassin de Jerada Plus exactement, l'extraction minière a commencé à Jerada en 1927. Le livre Coal Geology de Larry D. Thomas (2002) situe les régions où le minerai est présent dans les strates : «Le charbon noir de la période Carbonifère se situe dans le nord-est du Maroc, à Jerada. Il a été identifié en profondeur sous des sédiments plus récents à Ezzhiliga (province de Khémisset) ainsi qu'à Tindouf-Daraa» C'est ainsi que le charbon a été découvert à Jerada après une série de recherches, menées par les géologues d'une société belge appelée Ougrée-Marihaye. Selon le site local Oujda city, ces recherches ont abouti en janvier 1927: «J. Horry a été le premier géologue à signaler la présence du charbon dans le bassin de Jerada». Officiellement, les mines de la ville ont été exploitées à partir de 1934, comme nous l'explique Houssine Bernat, secrétaire général du bureau régional de l'Union marocaine des travailleurs (UMT) à Jerada. Dans un entretien donné à Yabiladi, le syndicaliste a expliqué qu'à partir de la découverte du charbon dans la région, les ouvriers ont afflué en grand nombre pour être employés dans les mines. Les conditions rudimentaires ont amené les travailleurs à s'organiser au sein d'un syndicat. Des mineurs de Jerada rejoignant leur chantier / Ph. DR. Les mineurs intègrent le travail syndical «Sous le Protectorat français, les conditions de travail dans la mine étaient difficiles et l'extraction se faisait à l'aide d'outils traditionnels», nous explique Bernat, qui insiste sur le fait qu' «en 1946, la ville a accueilli le premier congrès syndical organisé sous l'égide de la Confédération générale du travail (CGT), un syndicat français historique». Le congrès a constitué un tournant dans l'histoire de l'action syndicale au Maroc, rappelle Houssine Bernat. «Les ouvriers de Jerada ont inspiré tout le pays et pour la première fois, des Marocains ont créé un syndicat. A partir du congrès de 1946, une vague de dirigeants a émergé dans la ville comme Taïeb Ben Bouazza (1925 – 2015), originaire de Berkane et qui a cofondé l'Union des travailleurs marocains le 20 mars 1955.» Le même récit a été confirmé par l'historien Maâti Mounjib, qui a témoigné auprès de Yabiladi du rôle efficace que l'activité syndicale de la cité minière a joué dans le pays : «Jerada est connue pour être l'un des premiers fiefs syndicaux du Maroc et Taïeb Ben Bouazza est un véritable père fondateur de l'UMT. C'est l'un des syndicalistes les plus connus, qui a très tôt mobilisé les ouvriers de Jerada». Plus que cela, le militant décédé à Stockholm en 2015 a été élu premier secrétaire général de l'UMT. Mais le scrutin a été entaché de fraudes et Mahjoub Ben Seddik, arrivé deuxième au classement, s'est accaparé le poste par la force. Taïeb Ben Bouazza / Ph. DR. Un déclin dramatique Mais à l'aube des années 2000, la ville qui a donné naissance au plus ancien syndicat et qui a offert des opportunités d'emploi à des milliers de travailleurs connaîtra un déclin sans précédent. «En 1998, le gouvernement a décidé d'arrêter l'extraction du charbon à Jerada», nous rappelle Houssine Bernat. Selon le syndicaliste, cette décision a été un choc pour la population qui ne vivait que de l'extraction du minerai. «A l'époque, les raisons officielles derrière la fermeture des mines et leur liquidation ont été que l'extraction devenait plus coûteuse que l'importation», a déclaré Bernat, qui considère cette justification non-convaincante. En 2001, les habitants de Jerada ont été officiellement interdits d'effectuer toute activité minière. La ville, qui s'est fait connaître pour avoir «relancé l'économie nationale», est désormais oubliée. Une situation que Bernat conteste fermement. «Aujourd'hui, les jeunes de Jerada sont obligés de travailler dans les mines clandestines pour gagner leur vie», dénonce-t-il auprès de Yabiladi. «En moyenne, deux à trois personnes meurent chaque année dans ces mines. Les ouvriers travaillent dans des conditions rudimentaires, voire inhumaines, et cela dure depuis plus de quinze ans.» Non loin des mines de charbon de Jerada, une usine électrique de charbon est désaffectée depuis plus de quinze ans / Ph. DR. Ils creusent pour vivre En effet, les jeunes chômeurs de la ville vivent beaucoup de difficultés. Yabiladi a pu s'entretenir avec Mehdy Mariouch, un photo-reporter qui a récemment rencontré les mineurs de Jerada dans le cadre de son travail. «J'ai visité Jerada en 2014, pour les besoins d'un reportage sur lequel je travaillais, nous confie-t-il. Pour moi, c'était une ville lointaine dont je ne savais encore rien». Mehdy a été amené à prendre en photo des mineurs, ce qui a été une rude épreuve et une leçon de vie qu'il partage aujourd'hui. «C'était choquant pour moi, au premier coup. Je suis allé avec mon appareil photo et j'ai visité les mines. J'ai rencontré les mineurs, qui m'ont dit qu'ils étaient désespérés. Ils me disaient que des journalistes et des reporters internationaux de grands médias s'étaient rendus sur les lieux avant moi, mais que rien de cela n'avait contribué à faire changer positivement leur situation.» Mehdy explique à Yabiladi que les jeunes de Jerada «creusent pour vivre» : «Ils se rendent tous les jours aux mines, creusent parfois jusqu'à 70 mètres à la recherche des plaques contenant de l'anthracite». Rencontrer ces ouvriers a marqué à jamais le jeune photographe. En plus d'avoir été frappé par les conditions de travail sur place, il a été choqué de connaître les modiques sommes que rapporte ce dur labeur. «Ils peuvent gagner de 70 à 100 dirhams par jour, ce qui n'est pas beaucoup. J'ai pris la photo d'un mineur qui récitait le Coran après avoir émergé des profondeurs de la mine. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il faisait cela, il m'a dit que survivre à une extraction de charbon était semblable à un résurrection.» Selon Mehdy Mariouch, il existe des jeunes à Jerada qui travaillent dans les mines et d'autres qui se rendent à l'ancienne usine de charbon désaffectée, où ils cherchent de la ferraille à couper et à vendre. Pour s'être longuement entretenu avec la population locale, Mehdy est convaincu que ces mineurs ne sont pas près de quitter leur ville, fief de l'action syndicale et d'une prospérité économique qui se conjugue désormais au passé.