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Villes minières, un massacre environnemental
Publié dans Lakome le 20 - 12 - 2012

Avec une contribution au PIB de l'ordre de 6% et près de 35 000 emplois, le secteur minier prend de l'ampleur dans l'économie du royaume. Mais l'autre face de Janus n'est guère reluisante. Dans plusieurs villes, l'exploitation minière cause des dégâts très lourds. Enquête.
A quelques kilomètres de Khouribga, vers Mfassis, le paysage prend un coup de gris et le sol noircit au fur et à mesure qu'on approche de cette petite bourgade. Aucun signe de vie ne se dégage des maisonnettes éparpillées par-ci par-là. Le soleil tapant du mois d'août y est certainement pour quelque chose. De temps à autre, un vent souffle en rafales et soulève en passant des montagnes de sable et poussière blafardes. Leur origine : l'unité de lavage du phosphate de Mfassis, la plus importante de la région. «On s'est habitué à ces nuages de poussière qui émanent des usines de l'OCP (Office chérifien des phosphates, ndlr). On sait qu'elles contiennent des matières chimiques nuisibles, mais on n'y peut rien, c'est notre destin », indique Ahmed, un jeune habitant du village qui travaille dans la Laverie de Mfassis.
La trentaine, bien qu'il fait plus vieux, visage pâle et cernes sous les yeux, il peste contre cette situation mais visiblement ce n'est pas son premier souci. «Je travaille à l'OCP en tant que saisonnier. Ma première préoccupation est de devenir titulaire, car c'est mon seul gagne-pain », reconnaît-il. Pourtant, les dommages environnementaux causés par l'exploitation minière n'ont rien de secondaire. «L'industrie minière est, par définition, une activité extrêmement polluante de par les rejets solides, liquides et gazeux qu'elle génère, mais aussi à cause des destructions des terres arables et des écosystèmes qu'elle occasionne », indique Abdelaziz Adidi, directeur de l'Institut national de l'aménagement et de l'urbanisme (INAU), et auteur de plusieurs travaux sur la question.
Le sujet de la dégradation de l'environnement dans les conglomérats phosphatiers demeure un secret d'Etat, une affaire frappée du sceau de la confidentialité. Avec une contribution de 3,5% au PIB et près de 25% des recettes des exportations, les dommages collatéraux de l'OCP passent sous silence. Cependant, après près d'un siècle d'exploitation, les dégâts sont pour le moins lourds. Une petite virée dans la région de Khouribga est suffisante pour s'en rendre compte...
Sur la route délabrée reliant Mfassis à Boujniba, tout au long d'une quinzaine de kilomètres, une couleur jaunâtre couvre les étendues de terre. Les champs de blé, épars, se comptent sur le bout des doigts. «Ici, les terres sont stériles. Quelques agriculteurs s'obstinent à semer leurs champs, mais la majorité a laissé tomber », explique notre guide Ahmed. C'est que les terres arables ont tout simplement été détruites. « Pour des raisons de compétitivité et de réduction des coûts, l'OCP a opté pour l'extraction à ciel ouvert. Seulement, cette méthode détruit à jamais le paysage naturel, d'autant que l'Office n'a pas l'obligation de reconstitution ou de réhabilitation des terrains comme c'est le cas en Europe et en Amérique du nord. Ajoutons à cela que les opérations de traitement par voie humide, nécessitent des quantités énormes d'eaux qui, après être chargées de matières stériles et nocives, sont drainées dans les cours d'eau, les nappes, les lacs, et les mers», explique Abdelaziz Adidi. Résultat : plusieurs fellahs de la région ont plié bagage pour chercher leur gagne-pain sous d'autres cieux, notamment en migrant vers l'Europe. «Les habitants de la région sont des agriculteurs à la base. Mais la dégradation de l'environnement a rendu cette activité impossible : les terres sont stériles, le bétail meurt très vite... De plus, l'Office a exproprié la majorité des terres de la région en contrepartie de sommes dérisoires», indique Abdellah, un habitant de la petite localité de Hattane.
Selon une enquête réalisée en 1985 par l'autorité locale de ce village, près de 1 456 personnes soit 149 ménages propriétaires terriens, ont définitivement quitté le territoire de la commune. Destination? «Certains sont partis travailler comme ouvriers agricoles dans le périmètre de Tadla. D'autres ont jeté leur dévolu sur la ville pour chercher un emploi dans les chantiers du bâtiment et le secteur informel », explique notre interlocuteur. Mais ce n'est pas cela le plus dramatique. Les problèmes de santé dont souffrent les habitants est une autre paire de manche. «Tous les habitants de la région souffrent, à des degrés différents, de maladies à cause du phosphate : nos dents tombent rapidement, certains de nos enfants naissent avec des déformations, sans parler des maladies dites ‘professionnelles' et dont l'Office ne veut même pas entendre parler», déplore, la rage au cœur, Aicha, une jeune femme qui travaille à la Laverie de Mfassis. Il est curieux, néanmoins, que « jamais une étude n'a été réalisée par l'OCP ou par les autorités locales pour confirmer (ou infirmer !) les allégations des habitants concernant ces maladies », note Abdelaziz Adidi. Contacté à plusieurs reprises, l'OCP SA n'a pas souhaité s'expliquer sur la question. Mais, sur son site web, le groupe assure que la protection de l'environnement et le développement durable sont au cœur de sa stratégie. Ainsi, à titre d'exemple, « A Khouribga et à Youssoufia, l'OCP développe des laveries dotées de systèmes de décantation des boues et de recyclage des eaux usées». Aussi, la mise en fonction en 2013 du pipeline Khouribga-Jorf Lasfar pour le transport devrait «réduire l'émission de CO2 de quelques 900 000 t/an (soit plus de 20% de l'empreinte carbone du Maroc), grâce à la disparition du transport par train et du séchage ». Le mastodonte minier lance également des opérations de reboisement pour atténuer l'impact nuisant de son activité. «Mais ces efforts demeurent insuffisants, estime Abdelaziz Adidi. Les excavations produites par l'exploitation à ciel ouvert condamnent à jamais la partie arable du sol. C'est une véritable destruction de la topographie naturelle. A défaut d'un travail sérieux de rétablissement des sites exploités, il ne faut pas espérer grand-chose ».
Changement de cap ! Direction : Jerada, près de 60 kilomètres au sud d'Oujda et, surtout, à 612 km de Casablanca. Il est 9h30 et le mercure affiche déjà 38°C. La ville tourne au ralenti, la journée semble ne pas encore commencer. Les quelques cafés ouverts accueillent leurs premiers clients «lève-tôt ». «Les temps ont changé. Il y a encore quelques années, la ville grouillait de bonne heure. Et l'activité tournait à plein régime. Mais depuis la fermeture des mines, la ville est entrée en hibernation », balance le chauffeur de taxi qui nous conduit au centre ville, comme pour nous répondre.
C'est que la ville, créée en 1927, ne doit son existence qu'à l'activité minière. Pendant de longues années, elle a vécu au rythme de l'extraction du charbon. Les grandes cheminées, qui pointent vers le ciel crachant une fumée noire, ont longtemps fait partie du décor de la ville. Mais ce temps est révolu. L'épuisement avancé des réserves, rendant le coût de l'extraction élevé, et la chute des cours du charbon sur le marché international ont poussé les autorités à fermer, en 2001, toutes les mines de la ville. Résultat : près de 7000 ouvriers, dont la majorité malades de la silicose, se sont retrouvés au chômage.
Mais la page n'est pas tournée pour autant. La ville en pâtit toujours. Après des décennies d'exploitation, une quantité non négligeable de matériaux stériles s'est amoncelée en plein centre urbain. «Les mines fermées nous ont laissé un souvenir : plus de cinq montagnes de remblais de charbon qui dégagent des émanations nauséabondes et encombrent la ville », ironise Mohamed Taayounit, président de l'Association Tafaoul pour l'environnement et le développement. Les mines ont en effet été fermées sans aucun plan de restauration ou de réhabilitation. « La mine d'anthracite de Jerada contient 2 à 5 % de pyrite et a produit entre 15 à 20 millions de tonnes de déchets solides. Ces stériles sont stockés en milieu urbain, avec une population environnante estimée à 65000 habitants. Les terrils portent atteinte au paysage de la ville, et peuvent être à l'origine des problèmes de stabilité liée à l'action du ruissellement et de l'érosion éolienne. Aussi, les stériles miniers peuvent contenir d'éventuels contaminants chimiques», indique Mounia Battioui, chercheur, auteure d'une thèse en biologie sur le sujet. Et d'ajouter : « L'un des problèmes les plus cruciaux provenant des stériles de charbon, est la production du drainage minier acide: le lessivage de ces stériles par les eaux météoriques, l'oxydation des sulfures de fer contenus dans ces derniers et leur migration entraîne la contamination des eaux superficielles et souterraines ». En langage moins savant, et plus clairement, la nappe phréatique est en danger. Mais elle n'est pas la seule. La qualité de l'air dans la ville est aussi pointée du doigt par les habitants. «La Centrale thermique de l'ONE (Office national de l'électricité, ndlr), est située en plein centre ville et ses cheminées dégagent une fumée qui pollue l'atmosphère. Une fois en 2010, une grande quantité de poussière noire s'est abattue sur les toits des maisons, causant une grande panique parmi les citoyens», raconte Mohamed Taayounit. Et le pire est à craindre : la centrale thermique, en activité depuis 1971, compte passer à la vitesse supérieure.
L'ONE a lancé un grand projet d'extension de son unité de Jerada pour augmenter sa capacité de production, et ce afin de répondre à la demande croissante en énergie dans l'Oriental. Les Jeradis doivent prendre leur mal en patience ! La Centrale a au moins le mérite d'absorber une partie de la main d'œuvre, et un projet de développement de la Centrale peut être synonyme de nouveaux emplois. En attendant, les Jeradis ne sont pas restés les bras croisés. Un bon nombre des anciens mineurs a repris du service...clandestinement. Un peu partout aux environs de la ville, les anciens ouvriers creusent des puits (appelés localement descenderies) pour extraire du charbon et le vendre aux «barons» (comprenez une poignée de notables qui profitent de ce business en achetant le charbon extrait pour l'écouler sur le marché national). Munis de pioches et autres outils artisanaux, les mineurs creusent jusqu'à 60 mètres de profondeur pour remplir quelques caisses. Une entreprise à haut risque qui n'est pas sans conséquence sur l'environnement. «Les mineurs s'acharnent à creuser les descenderies dans la forêt qui encercle la ville en détruisant les arbres. Ils gagnent du terrain chaque jour. Le problème est que ces descenderies, une fois épuisées, sont abandonnées, laissant des excavations de plusieurs m2», déplore le président de l'Association Tafaoul. Et de fustiger : «nous avons présenté un projet aux Eaux et Forêts et à la Préfecture pour remblayer et planter ces terres. Mais nous sommes restés sans réponse». Le document doit certainement moisir dans les tiroirs de l'Administration. Ce n'est pas la première initiative avortée !
Autre région, autre drame. Nous sommes à Imider, un petit village berbère perché dans le Haut de l'Atlas, à 200 kilomètres au Nord-est d'Ouarzazate. Le paysage est pittoresque, mais les signes de la désolation sautent aux yeux. Au sommet du mont Alban, à deux kilomètres d'Imider, les habitants ont dressé des tentes de fortune sur lesquelles trônent côte à côte les drapeaux marocain et berbère. Objet du sit-in : garder le réservoir d'eau afin d'empêcher la Société métallurgique d'Imiter (SMI), qui exploite une mine d'argent depuis plus de 40 ans, de s'en servir. Selon eux, la filiale de Managem (elle-même appartenant au holding royal SNI), surexploite la nappe phréatique et pollue l'environnement au cyanure. «Cela fait plus d'un an que nous luttons contre la SMI. Elle a épuisé les ressources hydrauliques de la région au point que les puits se sont asséchés et, en plein ramadan, nous n'avions pas d'eau dans les robinets », s'insurge Brahim Udawd, jeune habitant du village et fer de lance de la contestation.
«La SMI est une grande consommatrice d'eau. Avec plus de 1000 employés, l'exploitation tourne à plein régime au détriment des ressources hydrauliques », renchérit Mohamed Zergouni, président de la section locale de l'Association marocaine des droits humains (AMDH). Une situation qui a poussé les habitants à ruer dans les brancards et, vu leur motivation, ils ne sont pas près de lâcher prise. Sur le mont Alban, la résistance est devenue une tâche quotidienne des villageois.
L'air hirsute, les hommes, drapés dans des djellabas rayées et coiffés d'un turban, sont assis en grappes à même le sol. Les jeunes, des chômeurs pour la majorité mais aussi des étudiants qui n'ont pas encore rejoint leurs universités, tapent la causette à côté. Les femmes, également de la partie, veillent quant à elles aux petits enfants et préparent à manger...mais quand il s'agit de prendre une décision, elles ont leur mot à dire. «La mobilisation des habitants a complètement changé les codes sociaux.Au moment des délibérations, tout le monde a le droit de prendre la parole. Les femmes n'hésitent pas à s'exprimer ouvertement et quand elles ne sont pas d'accord, elles le font savoir avec force. Au final, les décisions sont prises à l'unanimité, dans une sorte de démocratie locale participative », explique fièrement Brahim Udawd. Il y va de leur survie.
Selon une étude réalisée par le cabinet Innovar pour le compte de la Commune d'Imider, les débits en eau dans cette région « ont connu une baisse importante entre juin 2004 et août 2005(déjà !), avec des régressions dans certains cas de 61% et 58% ». En cause, selon les villageois, le forage en 2004 par la SMI d'un nouveau puits d'une profondeur de 40 mètres, devenu depuis la principale ressource hydraulique pour la mine d'argent. La filiale de Managem, qui a perdu près de 40% de ses capacités de production à cause du blocus, botte en touche : «les études réalisées ont confirmé l'absence totale d'impact de l'exploitation des forages sur les réseaux d'irrigation locaux », se défend la société. Toujours est-il que « depuis que nous avons fermé le réservoir, le village a été normalement fourni en eau et sans interruption », contre-attaque Brahim. Autre reproche fait à la SMI : l'utilisation d'une eau polluée pour le traitement du minerai. Selon les villageois, les rejets liquides de la société sont très nocifs et portent atteinte à l'environnement. «Nous avions beaucoup de cultures qui ont disparu : des arbres fruitiers, notamment des grenadiers et abricotiers... Des espèces d'oiseaux ont également disparues », indique Mohamed Zergouni. Les éleveurs aussi doivent faire très attention. Selon les habitants, un troupeau de chèvres a succombé en 2007 après avoir bu près de la digue de rétention des eaux cyanurées de la SMI. La société balaie d'un revers de la main : «nous avons consenti des investissements importants pour introduire les technologies les plus éprouvées à l'échelle internationale visant plus de performance opérationnelle et une meilleure gestion des impacts environnementaux de l'activité. D'ailleurs, une étude est en cours pour obtenir la certification ISO 14001». Inchallah !
En attendant, la mobilisation ne faiblit pas et les villageois sont prêts d'aller jusqu'au bout. «Notre cause est la dignité et la préservation de l'environnement et nous allons la défendre jusqu'au bout », tonne Brahim. Au coucher du soleil, sur le mont Alban, les femmes rangent leurs affaires pour rejoindre leurs abris. Une grande partie des habitants, en cohorte, scandant des slogans et chants berbères, retourne au village. Une autre partie restera sur place pour garder le réservoir...en attendant l'épilogue.
Les maux des habitants, qui souffrent de l'exploitation minière, sont dus en grande partie à l'absence d'un cadre légal et réglementaire qui protège leur environnement. La législation en vigueur, notamment le code minier (qui date de 1951 !), n'impose aucune contrainte aux entreprises exploitantes. Alors que dans d'autres pays, le minimum syndical est de rétablir le site d'exploitation après extraction ou le reboiser. «Jusque-là, les pouvoirs publics semblent, en effet, avoir privilégié le rendement au rétablissement de l'équilibre écologique qui imposerait aux entreprises minières d'investir dans l'environnement», déduit Abdelaziz Adidi. Pourtant, «l'accès à l'eau et à un environnement sain» ainsi que le «développement durable » ont été érigés en droits constitutionnels dans la loi suprême de 2011 (art.31). Mais pour mettre en pratique cette mesure, il y a du chemin à faire. Certes, depuis les années 2000, une panoplie de textes juridiques a été mise en place (la loi n°13-03 relative à la lutte contre la pollution de l'air, la loi 12-03 sur les études d'impact sur l'environnement et la loi 11-03 sur la protection et la mise en valeur de l'environnement), mais leur impact a été limité. «Durant les dix dernières années, le Maroc s'est doté d'un corpus juridique important pour la protection de l'environnement dans tous les domaines. Le problème est qu'il n'y a pas une prise de conscience de l'importance de cette législation qui reste peu appliquée. Preuve en est, l'absence de jurisprudence en la matière», explique Mohamed Bedhri, professeur de droit de l'environnement à l'Université d'Oujda. L'exemple le plus édifiant à cet égard concerne les études d'impact sur l'environnement. Obligatoires au préalable depuis 2003 afin «d'évaluer les effets directs ou indirects pouvant atteindre l'environnement à court, moyen et long terme suite à la réalisation de projets économiques et de développement», ils sont rarement réalisés. «On le sait, ces projets mettent en jeu des intérêts économiques. Mais on ne peut pas faire fi du respect de l'environnement. Il faut dire qu'il y a récemment une volonté politique de mettre en avant les questions de l'environnement et du développement durable, mais dans la pratique rien n'a été concrétisé encore», indique Mohamed Bedhri.
En 2010, sur instigation royale, une Charte de l'environnement et du développement durable a en effet été lancée en grande pompe pour mettre le royaume en adéquation avec les normes internationales. Une initiative qui a été le fruit d'un long processus de tractations entre pouvoirs publics, opérateurs économiques, élus et communauté scientifique, et qui devrait être matérialisée par une loi-cadre englobant toute la problématique de l'environnement. Depuis lors un projet de loi a été préparé et a emprunté le circuit législatif avant d'être adopté récemment par le conseil de gouvernement du jeudi 14 décembre. Un cap a été franchi. Croisons les doigts et espérons que le texte aide à stopper l'hémorragie...
Cette enquête a été réalisée avec le soutien de l'ONG Free Press unlimited et le Centre Ibn Rochd


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