A Fès, capitale spirituelle du royaume, le pèlerinage des Tidjanes revêt une importance commerciale, mais aussi diplomatique. Sur le front cultuel et spirituel, le Maroc compte bien s'ériger en leader dans la région ouest-africaine. Voire au-delà. Le tourisme religieux au Maroc, et à travers lui la confrérie des Tidjanes, est à coup sûr un levier de la puissance douce - ou «soft power», dans le jargon géopolitique. Quelques clics sur Internet suffisent à s'en convaincre : «La confrérie soufie étend, sur les deux rives du Sahara, une influence spirituelle, mais aussi politique», rappelle le Monde. Ailleurs, c'est la chercheuse italienne Nazarena Lanza, du Centre Jacques-Berque à Rabat, qui y va de son analyse : «Si ce pèlerinage n'est pas nouveau car il date de plus d'un siècle, ce n'est que depuis une dizaine d'années qu'il a pris de l'ampleur, devenant un véritable phénomène de société au Sénégal et un important enjeu commercial et diplomatique pour le Maroc», écrivait-elle en 2014 dans une étude sur le tourisme sénégalais au Maroc. Bakary Sambe, enseignant-chercheur au Centre d'études des religions à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, au Sénégal, va plus loin : «Les rapports sénégalo-marocains contemporains nous permettront de saisir comment cette confrérie soufie s'impose en régulatrice d'une coopération bilatérale, en devenant un enjeu important dans la lutte d'influence entre l'Algérie et le Maroc, opposés, entre autres questions, sur celle du Sahara occidental.» Entre 300 à 350 millions de fidèles Sur le terrain, d'autres acteurs confirment l'enjeu diplomatique de cette confrérie. «Non seulement c'est un enjeu commercial, mais c'est aussi un enjeu diplomatique de première importance. La confrérie des Tidjanes dans le monde représente plus de 300 à 350 millions de personnes, dont une partie très importante se trouve en Afrique de l'Ouest. Beaucoup de ces pays, notamment la Guinée, le Sénégal, le Mali, et j'en passe, concentrent de très fortes communautés tidjanes qui ont un certain pouvoir là-bas», explique à Yabiladi Ahmed Sentissi, président délégué du Conseil régional du tourisme (CRT) de Fès. D'un point de vue religieux, la confrérie des Tidjanes rejoint le courant malékite auquel se rattache le Maroc, ainsi que «la religion telle qu'elle est prônée par le royaume à travers Sa Majesté. Il est donc tout à fait logique que ces fidèles aient une certaine importance dans les valeurs islamiques et celles relatives au soufisme». Leader mondial Le volet commercial n'est pas en reste. «Rien qu'au Nigéria, dans la ville de Kano (la deuxième du pays, ndlr), les fidèles se comptent par dizaines de millions. Ils représentent à eux-seuls une partie très importante de la population du pays. C'est donc un marché potentiellement très prometteur», observe Ahmed Sentissi. Plus encore, «le Maroc se positionne en leader à l'échelle mondiale pour la confrérie des Tidjanes. Dans la sous-région africaine, nous sommes très influents. Il y a une relation de confiance et d'amitié dans la mesure où beaucoup de ces imams viennent apprendre chez nous à travers les instituts», insiste-t-il. En 2014 et 2015, sur les 697 étudiants inscrits (hommes et femmes), l'Institut Mohammed VI de formation des imams prédicateurs et des prédicatrices dénombrait, outre 250 Marocains, 447 étrangers, en majorité africains : Mali (112), Guinée-Conakry (100), Côte d'Ivoire (100), Tunisie (37), selon le Monde. Un peu plus tôt, en 2013, le Mali et le Maroc avaient convenu un accord bilatéral prévoyant la formation de 500 imams maliens à Rabat. Fès, capitale spirituelle du Maroc, avait tout intérêt à ne pas rater le coche. A partir de 2007, le Conseil régional du tourisme de la ville, en partenariat avec la wilaya et l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH), a mis en place le projet «Ziyarates Tijania» pour accueillir les pèlerins ouest-africains. «Entre 50 et 60 maisons de la médina de Fès se sont constituées en association pour offrir le gîte aux Tidjanes à des prix modiques, entre 100 et 300 dirhams par nuit. Pour les familles nombreuses, c'est plus pratique d'habiter dans une maison en pleine médina, à proximité du sanctuaire de Sidi Ahmed Tijani. Ça a également permis à la médina de créer un microsystème pour ces gens-là qui leur permet de vivre autour du sanctuaire et de faire interagir la population locale», se réjouit Ahmed Sentissi. Prochaine étape : la mise en place d'une liaison aérienne directe entre Fès et Dakar. «Toutes les démarches ont été effectuées d'un point de vue réglementaire, assure le président du CRT. On attend l'accord des autorités sénégalaises. Elle devrait voir le jour dans les mois qui viennent.»