Où en est la culture amazighe au Maroc neuf ans après le coup de pouce donné par le roi Mohammed VI avec son discours tenu à Ajdir ? L'une des références de la langue amazighe dans le Royaume et non moins recteur de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), Ahmed Boukous, nous fait le point de la situation. Il se prononce aussi sur la place que l'IRCAM réserve aux Marocains résidant à l'étranger (MRE) dans ses activités. Entretien. - Yabiladi.com : Quel bilan pouvez-vous dresser sur l'évolution de la culture amazighe depuis le discours du Souverain à Ajdir en 2001 ? - Ahmed Boukous : Sur le plan politique, le principal acquis est la reconnaissance par SM le Roi de la culture amazighe. De ce fait, la langue amazighe est depuis 2003 enseignée dans les écoles. Aujourd'hui, il y a un peu plus de 500 000 élèves qui suivent les cours de langue amazighe et à peu près 12 000 enseignants la dispensent dans environ 4000 écoles. Toutefois, l'enseignement de la langue est très loin d'être généralisée à l'ensemble du territoire national car seulement 10% des élèves du primaire suivent ces cours. A défaut d'une politique conséquente de recrutement et de formation des enseignants, l'objectif de la généralisation risque de ne pas être atteint. Au niveau médiatique, nous avons la radio amazighe qui existe depuis le siècle dernier. De même, des programmes télévisuels sont diffusés sur les différentes chaînes de télévision, en plus de la chaîne amazighe qui existe depuis mars 2010. - Mais des dysfonctionnements ne manquent pas? - Il faut dire que l'exécution des plans d'action signés avec les principaux partenaires avance à un rythme qui n'est pas toujours satisfaisant. Mais nous ne sommes pas les seuls concernés. C'est le cas de plusieurs autres initiatives nationales. La volonté politique est là mais l'application fait défaut. C'est l'exemple de la Moudawana, de la politique de l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH), du nouveau code de la route etc. C'est dire que toutes les choses novatrices rencontrent des difficultés à cause des mentalités et du fait que cela dérange certaines habitudes, sans parler de certaines résistances. - Où en est-on à l'IRCAM dans la réunification des langues amazighes? - Au Maroc, il existe des dialectes de l'amazighe, en l'occurrence le Tarifite dans le Rif, le Tamazighte dans la région du Maroc central et le Tachelhite dans le Souss. Mais le choix qui est fait consiste à aménager ces dialectes de manière à en faire une langue amazighe commune qui est en train d'être codifiée, standardisée à l'IRCAM. Notre objectif est de veiller à l'enseignement de l'Amazighe comme langue commune. Actuellement l'alphabet tifinaghe est retenu, il est codifié et en usage dans l'enseignement. Des travaux importants touchant aux différents aspects de la langue sont en cours, notamment le vocabulaire fondamental, des lexiques spécialisés et la grammaire. - Cette standardisation de la langue fait-elle l'unanimité? - Un certain nombre de personnes et même d'associations pensent que la langue n'a pas besoin de cette standardisation. Ils préfèrent la diversité de la langue avec ses dialectes. Nous comprenons ce point de vue. D'autant plus que les différentes expressions culturelles patrimoniales sont réalisées dans ces dialectes. Mais pour donner une chance à l'amazigh de résister aux autres langues, il faut qu'il soit écrit et qu'intègre les institutions, à commencer par l'école et l'université. De même, nous pensons que la population amazighophone de ce pays doit un jour parler la même langue, ce qui donnerait à cette langue une force extraordinaire pour s'affirmer, être préservée et promue. - En cas de succès, la langue amazighe ne risque-t-elle pas de faire des jaloux? - Selon les statistiques de 2004, 72% des Marocains utilisent la Darija. C'est la langue populaire, elle est la plus forte! Depuis des siècles, elle progresse au détriment de l'amazigh. La chance de langue amazighe à présent, c'est de disposer d'appareils puissants comme la télévision, l'enseignement et la création littéraire et artistique. Quant aux conflits, je ne crois pas à cette éventualité. On appartient tous à la même communauté, bien que la population autochtone soit amazighe à l'origine. L'essentiel est de garantir les droits humains, y compris les droits linguistiques et culturels. - Les MRE sont-ils inclus dans les activités de l'IRCAM ? - Ils sont inclus par la force des choses. La majorité des MRE sont originaires des régions amazighophones. L'IRCAM est intéressé par cette population. Nous menons des activités destinées aux MRE, en partenariat avec des associations en France, en Espagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Il s'agit d'activités de rayonnement culturel et de formation d'enseignants associatifs. Mais c'est assez limité globalement car nous n'intervenons que lorsque nous sommes sollicités. Nous travaillons avec les institutions concernées par la question des MRE pour intensifier ces actions (ministère chargé de la Communauté marocaine à l'étranger, Fondation Hassan II, CCME). Nous pensons notamment à introduire l'amazigh dans les programmes des écoles des pays d'accueil où la langue arabe est enseignée. - Qu'est-ce qui limite vos actions envers la communauté marocaine à l'étranger ? - Le problème c'est que les pays d'accueil sont de moins en moins disposés à financer des cours destinés aux langues et cultures d'origine des étrangers sur leur sol, comme c'est le cas de la Hollande. Les associations essaient de prendre le relais mais elles manquent de moyens. Les subventions qu'elles reçoivent de ces Etats sont dérisoires. D'où notre devoir et notre responsabilité à tous à l'égard de notre communauté établie à l'étranger, ministère, CCME, Fondation Hassan II et IRCAM. La volonté est là, il faut juste des plans d'action concertés et efficients et les moyens nécessaires à leur exécution.