Un petit conte populaire arabe de l'époque (abbasside) des Mille et une Nuits, qui a traversé les siècles sans perdre ce côté fascinant et merveilleux qui le caractérise, nous raconte l'histoire d'une vieille lampe magique qui pouvait réaliser tous les rêves de celui qui la possédait. Il suffisait que les doigts de l'enfant Aladin la frottent pour qu'un génie apparaisse et lui propose d'exaucer tous ses désirs: « Maître, vous m'avez appelé, que désirez-vous ». Fasciné et terrifié à la fois par cette apparition brutale, Aladin mit un temps pour retrouver ses esprits et se rendre compte de l'importance de sa découverte. La suite de l'histoire est une véritable leçon de générosité et de courage, dans laquelle l'intelligence et la patience terrassent la méchanceté incarnée par le hargneux magicien Jâ'far. Cette relation complexe et conflictuelle entre trois acteurs, Aladin, le génie et Ja'far, que tout distingue, c'est aussi une excellente métaphore qui, appliquée à des situations paradoxales et incompréhensibles, telles que celle que vivent aujourd'hui les MRE, peut se révéler utile pour la compréhension. En effet, comme Aladin, les MRE ont été surpris par ce qu'ils ont entendu ou vu un soir de novembre 2005. S. M le Roi venait d'exaucer leurs désirs et leurs voeux les plus légitimes: droit de vote et d'éligibilité ? Accordé. Un Conseil Supérieur spécifiquement MRE ? Accepté. Représentativité institutionnelle et politique ? Assurée, à la première chambre de surcroît. Que de l'honneur, de la reconnaissance et de la considération pour une communauté méritante, fière de sa marocanité, attachée à ses racines cultuelles, culturelles, affectives et historiques et soucieuse d'apporter sa contribution au processus de construction d'un Maroc moderne et démocratique. Comme Aladin, les MRE, surpris par ce qu'ils venaient d'obtenir (droits civiques) mais heureux et fiers d'être enfin reconnus à leur juste valeur, se sont imaginés acteurs d'un système politique rénové dans lequel des Conseillers qualifiés et des élus compétents issus de leurs rangs, seraient attelés à la défense de leurs intérêts et disposés à exaucer leurs désirs de prospérité, de justice, d'équité et d'égalité devant la citoyenneté. Leurs louanges et leurs applaudissements ont alors fusé de toutes parts pour rendre hommage à SM le Roi Mohamed VI qui venait de leur donner cette opportunité. Mais contrairement à Aladin, la lampe MRE est restée insensible. Les frottements qu'elle subissait l'ont usée sans résultat tangible car le génie malicieux refusait d'obéir et d'agir ; il somnolait tranquillement dans son coin. Faute de réactions et d'actions, les acquis et les droits octroyés par SM le Roi sont alors restés au stade de la promesse. Les idées, les politiques et les stratégies susceptibles de favoriser la réalisation de ces acquis se sont faites rares. Par contre, les voltes face, les subterfuges et les discours creux se multiplièrent. Comment en est-on arrivé là ? C'est presque banal.... Une fois l'effet de surprise passé, les vieux démons qui hantent notre vie politique nationale depuis des décennies ont repris le dessus. Les ambitions personnelles, les prétentions démesurées, les rivalités partisanes, les combines politiques les plus saugrenues et les calculs électoraux les plus subtils ont jailli de toutes parts pour, en fin de compte, emporter sur leur passage les droits civiques et les rêves de plus de 3 millions de MRE. Le gouvernent et les partis de la majorité, surpris et pris de cours par l'initiative royale de novembre 2005, ont, en effet, « plié » pour laisser passer l'orage. Leurs émissaires parés de leurs plus beaux discours et leurs plus alléchantes promesses ont sillonné le monde pour renouer le contact avec les MRE. Mais tout cela n'était en réalité que subterfuge et une manière habile de «tâter le pouls » du patient MRE. Mais, surprise, ce patient qu'ils ont cru moribond, s'est révélé un peu coriace, peu sensible à leurs vagues promesses. Conscient de son bon droit et de la légitimité de sa cause, il s'est montré exigent et même disposé à prendre toute sa place dans le processus électoral de 2007. Puis un beau jour de juin (le 16), tel le méchant Jâ'far de l'histoire de la lampe merveilleuse, le Ministère de l'Intérieur, invoquant des motifs logistiques et techniques (et brandissant le spectre de l'influence islamiste), proclame l'annulation du droit de vote MRE pour 2007, réduisant de ce fait tous les espoirs et tous les rêves (égalité et justice) nés du discours de novembre 2005. La déception et le doute prennent de nouveau le dessus. L'espoir perdu va renaître de ses cendres, tel le phoenix, le 30 juillet 2006 lorsque SM le Roi va réaffirmer de nouveau le principe de l'égalité des marocains devant la citoyenneté. Cet espoir se renforce le 6 novembre 2006 lorsque Sa Majesté annonce d'une manière claire « l'adoption d'une nouvelle politique équitable » à l'égard de la communauté marocaine de l'étranger, « en reconnaissance de la position d'avant-garde qu'elle occupe parmi les forces vives qui contribuent activement au développement et à la modernisation du Maroc, à son rayonnement civilisationnel , à sa cohésion sociale et à son essor démocratique », précise le Souverain. Cette reconnaissance et cette volonté royale, à ne pas en douter, tombe comme une goûte d'eau fraîche dans la gorge d'un naufragé du désert, pour redonner de la fierté et de la confiance aux 3 millions de MRE soucieux d'exercer pleinement leurs droits civiques et désireux, tout simplement, de participer à la construction d'un Maroc moderne et démocratique. Mais que reste t-il aujourd'hui des décisions gouvernementales et des débats qui, depuis novembre 2005, à longueur de communiqués de presse et de conférences, caressent l'ego des MRE et leurs promettent monts et merveilles ? D'abord une grande déception, car les MRE sentent bien aujourd'hui que l'exercice de leurs droits civiques pour 2007 est de plus en plus compromis. Par, conséquent, tous les débats actuels concernant le renvoi des législatives à une date ultérieure, la révision de la constitution, le code électoral, le seuil électoral (3% ou 7 %) et les débordements du 8 septembre (corruption et abus d'autorité) apparaissent à leurs yeux comme de simples manœuvres dilatoires qui consistent à noyer le poisson MRE dans les méandres de questions juridiques, politiques et constitutionnelles complexes. Il reste ensuite une grande et inquiétante interrogation sur la volonté du gouvernement et des partis politiques à vouloir vraiment rendre justice aux MRE en leur permettant d'exercer réellement et directement leurs droits civiques. La lecture des réactions enregistrées dans les nombreux forums internet et des écrits qui prolifèrent dans la presse, donne la mesure et l'ampleur de cette déception et de ce doute. La participation aux élections législatives de 2007 comme la création d'un Conseil Supérieur MRE restent en effet problématique. Et ce ne sont pas les mesures annoncées dernièrement par le gouvernement (projet de loi 23-06 modifiant et complétant la loi 9-97 formant le code électoral) qui pourront aider à dissiper le malentendu. En effet, ces mesures qui stipulent que : « les Marocains des deux sexes, nés hors du territoire du Maroc et résidant à l'étranger peuvent demander leur inscription sur les listes électorales générales et présenter leur candidature dans la commune sur la liste électorale de laquelle ils sont inscrits..... Le lieu des inscriptions est laissé au libre choix des concernés ... », posent en réalité plus de problèmes qu'elles n'apportent de solutions. L'examen attentif de ces mesures laisse plus d'un MRE et plus d'un spécialiste perplexe. * Comment peut-on assurer en 2007, d'une manière satisfaisante et effective, la participation de plusieurs centaines de milliers de MRE éparpillés dans le monde, dans leur lieu de résidence ou de travail situé au Maroc ? * Ces centaines de milliers de MRE-électeurs seront-ils tous disposés à la même période et à la même date à effectuer les déplacements et les efforts (matériels) nécessaires pour accomplir leur devoir de citoyens ? * Seront-ils acceptés en qualité de candidats par les électeurs locaux, les notabilités locales et les administrations locales ? * Si, au mois de juin 2006, le gouvernement a invoqué des raisons logistiques pour annuler la participation des MRE aux élections législatives en 2007, est-ce que ses différentes administrations seront capables et prêtes le jour J pour faire face aux nombreuses difficultés que ne manqueront pas de soulever les élections de 2007 ? * Un élu/candidat MRE peut-il vraiment prétendre connaître les aspirations des habitants de sa circonscription électorale ? Car, quel rapport un RME de Paris, de Marseille, de Bruxelles, de Turin ou d'ailleurs (Afrique, pays anglo-saxons, pays du golfe...), a avec la localité de ses parents et ses grands parents ou avec son lieu de résidence secondaire ? A ne pas en douter, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines . Reste bien évidemment, le Conseil Supérieur. Mais là aussi, toutes les ambiguïtés ne sont pas levées. Si l'idée de création d'un Conseil Supérieur MRE s'impose de plus en plus comme pertinente et incontournable, de nombreuses questions liées à sa constitution, son fonctionnement et à ses pouvoirs, restent en suspens. * la mise en place de ce Conseil suffit-elle à résoudre la question de la participation institutionnelle et politique des MRE ? * la création de ce Conseil Supérieur est elle une simple compensation et une sorte de « monnaie d'échange » censée remplacer la participation effective des MRE aux élections parlementaires ? * de quels pouvoirs sera doté ce Conseil ? Simple pouvoir consultatif ? * quelles sont les modalités de désignation de ses membres ? Election, nomination ou un compromis entre plusieurs formules (annoncées dans un avant-projet) ? * quelle place occupera t-il au sein du système institutionnel et politique national ? * quels seront ses rapports avec les institutions existantes chargées de gérer les affaires des MRE ? Rapports de subordination ? Ou bien relations de travail et de partenariat ? * quelle crédibilité peut avoir un Conseil, fut-il Supérieur, sans pouvoir de décision et sans réels moyens financiers et budgétaires ? Ce qui rend cette situation difficile et permet au doute de s'installer dans les esprits, c'est l'immobilisme du gouvernement qui brille, dans cette affaire, par son silence. Pas de communication cohérente, pas de consultation satisfaisante, pas d'information ni de sensibilisation à la hauteur de l'événement. Même les rares ONG marocaines qui s'expriment aujourd'hui sur le sujet semblent dépassées par les événements. Elles donnent l'impression d'être en désaccord complet sur l'évaluation de la situation et sur les réponses à apporter aux questions posées. Grosso modo, trois grandes catégories d'ONG se distinguent nettement aujourd'hui. Il y a celles qui essayent, à partir d'une analyse approximative, d'amalgamer différentes formules et différents systèmes (découpage électoral, mode de scrutin, nombre de sièges MRE....) pour en faire des propositions inapplicables. Il y a celles qui, animées par un opportunisme flagrant et n'ayant pour instruments de repère que les rumeurs et les « on dit » que certains ministères ou partis se plaisent à leur glisser, naviguent dans le brouillard. Et puis celles (telles les veilles et nuisibles amicales) qui ne maîtrisent que l'art du « déguisement » et la manière de faire des « safaqas » sur le dos des MRE, et qui disent Amen à tout pourvu qu'on veuille bien leur accorder quelques miettes du festin. Nous l'avons écrit et soutenu à différentes occasions et depuis fort longtemps (nos travaux sur ce thème ont été abondamment repris), la question de la représentativité politique et institutionnelle des MRE est une question sérieuse qu'il faut traiter avec sérieux. C'est une question qui, compte tenu d'un certain nombre d'impératifs, de réalités (diversité, qualité, pluralité au sein de la communauté MRE) et aussi d'exigences (l'égalité devant la citoyenneté, la justice, l'équité), ne peut être indéfiniment retardée. Son traitement doit être impérativement confié à des gens irréprochables et qualifiés. De nombreux pays voisins (Espagne, Portugal, Italie) ont réglé la question de la participation politique de leurs ressortissants depuis longtemps et d'une manière intelligente. Ils en récoltent aujourd'hui les dividendes. Pourquoi pas le Maroc ? Pourquoi pas les MRE ? Faits remarquables : nous mettons aujourd'hui moins de temps que par le passé pour construire nos autoroutes, pour développer nos zones touristiques et pour éradiquer l'habitat insalubre et les grandes poches de pauvreté. Des grands projets voient le jour par tout dans notre pays; dans le Nord, dans l'oriental, dans le sud et jusqu'au fin fond de nos provinces sahariennes. Des dossiers sensibles (l'IER, l'INDH, le code de la famille, le code de la nationalité) ont été réglés en dépit de toutes les résistances. Mais, qu'est-ce qui fait aujourd'hui que le chantier de la représentativité institutionnelle et politique des MRE reste en rade ? Qu'a-t-il de si particulier et de si difficile pour que sa réalisation traîne en longueur et suscite tant de résistances ? Les MRE aimeraient vraiment aujourd'hui savoir sur quel pied danser, à quel saint se vouer et à quelle sauce électorale ils seront mangés en 2007. Les atermoiements dont font preuve le gouvernements et les partis depuis novembre 2005 déroutent en effet les MRE et désarçonnent leurs ONG les plus actives. La décision royale qui consiste à confier au Conseil Consultatif des Droits de l'Homme le « soin de mener de larges consultations avec toutes les parties concernées », procède certainement d'une noble pensée mais ne semble pas encore, faute d'explication et de communication gouvernementales rapides et efficaces être bien comprise et appréciée à sa juste valeur par tout le monde. En réalité, les MRE se sentent, à tord ou à raison, écartés de la réflexion (de la consultation) sur une question sensible, la création d'un (leur) Conseil, qui les concerne au premier chef. C'est indéniable, la création d'un Conseil Supérieur est une étape très importante dans le processus de mise en œuvre d'une représentation effective et réelle des MRE. Et cela pour plusieurs raisons : * la réunion au sein d'une structure indépendante d'experts et de représentants crédibles, issus des rangs MRE, peut favoriser l'émergence d'idées, de projets et d'initiatives qui iront dans le sens de leur intégration dans tous les processus de développement économique et social de leur pays. * doté de vraies prérogatives et de moyens matériels adaptés, ce Conseil peut aussi jouer un rôle important dans la défense des intérêts légitimes des MRE que ce soit dans les pays d'accueil ou dans le pays d'origine (ELCO, éducation, formation, logement, emploi, retraites). * animé par des personnes choisies sur la base de critères incontestables, il pourra contribuer utilement à définir les priorités des MRE, promouvoir leur image (à l'intérieur et à l'extérieur du Maroc) et préciser les modalités politiques et techniques de leur participation au processus démocratique dans lequel notre pays est engagé sous l'autorité de SM le Roi Mohamed VI. Mais en aucun cas, la mise en place d'un Conseil Supérieur ne peut et ne doit rendre caduque la participation des MRE aux élections législatives ou bien empêcher la présence de leurs représentants à la première chambre (le débat reste ouvert à ce propos). Les deux institutions, le Conseil Supérieur et le Parlement, ont chacune, en effet, des fonctions précises à remplir dans le système politique et institutionnel national en perspective. Certes, elles procèdent de légitimités différentes mais peuvent, néanmoins, jouer des rôles complémentaires au profit des intérêts MRE qui sont intimement liés à ceux de leur pays (défense des causes nationales développement économique et social). En sommes, la participation directe et effective des MRE à la mise en place de l'une et de l'autre de ces institutions est une nécessité, une mesure de bon sens, et, surtout, un droit. Et comme toujours, le droit et la justice finissent par triompher contre vents et marrées avec ou sans l'aide d'une lampe merveilleuse.