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Immigrés d'hier et d'aujourd'hui: «des premières lignes à la seconde zone ».
Publié dans Yabiladi le 25 - 09 - 2006

Le département de la Somme (80) célèbre, cette année 2006, le 90e anniversaire de la « Bataille de la Somme » qui a vu s'affronter, en quelques mois, du 1er juillet à novembre 1916, plus de trois millions de combattants originaires de vingt pays. Un million de morts.
J'ai pu visiter les différents lieux de mémoire qui jalonnent le parcours de cette bataille (musés, cimetières, mémorial et nécropoles) et l'occasion m'a été donnée de rencontrer des Sud-africains, des Ecossais, des Allemands et des Anglais venus honorer leurs morts et entretenir un sentiment que résume ce bout de phrase qui résonne comme un serment indélébile : "Nous n'oublierons jamais".
La présence en ces lieux éveille chez le visiteur, quelles que soient son origine et ses convictions, une multitude d'interrogations sur la bêtise humaine, sur la folie des hommes et les ravages de toutes ces guerres faites au nom d'une prétendue supériorité culturelle ou raciale. Elle suscite aussi des interrogations, moins métaphysiques ou philosophiques, en rapport avec la réalité d'aujourd'hui.
En ces lieux de mémoire où tout est silence et recueillement, j'ai cru personnellement ressentir un mélange de fierté et de dépit : fierté de voir ces milliers de soldats de toutes cultures, de toutes origines et confessions unis sous le même drapeau pour défendre la liberté; dépit de constater à quel point leur souvenir est loin d'occuper toute la place qu'il mérite dans la mémoire collective.
En effet : qui se soucie aujourd'hui d'entretenir la mémoire et le souvenir de ces milliers de fantassins, chasseurs, zouaves, cuirassiers, tirailleurs coloniaux, sénégalais et marocains, venus défendre l'honneur et la liberté de la France ?
Mises à part ces stèles de marbre gris où sont gravés des noms africains et maghrébins, que reste t-il dans la mémoire collective de ces soldats soudés sur les champs de bataille et unis dans la mort sur le sol français ?
En ces lieux de mémoire où la fraternité, la solidarité et la bravoure de milliers de combattants, d'origine multiple et diverse, s'étalent dans toute leurs simplicité et sincérité, les discours xénophobes et électoralistes, les législations discriminantes, humiliantes et discriminatoires dont font l'objet aujourd'hui les descendants directs des tirailleurs africains apparaissent lointains et dérisoires.
Devant ces stèles de marbre gris qui portent à jamais gravés les noms de milliers d'immigrés morts pour la France et dont "le courage, le sacrifice suprême et le dévouement à la liberté" sont cités en exemple, les images et les représentations audiovisuelles réductrices et volontairement exagérées des jeunes issus de l'immigration dont la télévision française nous a abreuvés ces derniers temps, deviennent ridicules et sans objet.
Mais loin de ces lieux de mémoire, tout est différent. Ce sont d'autres considérations, d'autres réalités et interrogations d'un autre niveau qui prévalent.
Les immigrés, c'est l'éventail que l'extrême droite brandit pour semer l'inquiétude, la haine et le trouble dans les cœurs et les esprits. C'est la « figure » inquiétante et hostile que les médias mettent en scène pour réaliser de l'audimat. Leur présence même sur ce sol que leurs ancêtres ont abreuvé de leur sang est considérée comme une menace pour la cohésion de la société toute entière.
Quel destin que celui de ces milliers d'immigrés descendants de tirailleurs africains morts pour l'honneur de la France ? Quelle trajectoire que celle de ces fils d'ouvriers des chaînes de montage des usines automobiles ou des mines du charbon du Nord, relégués et cantonnés aujourd'hui dans les secondes zones (ZEP, HLM, emploi, listes électorales) ?
Quel parcours que celui de ces générations successives d'immigrés acteurs de cette longue et inexorable évolution qui les a conduit «des premières lignes » des champs de batailles les plus meurtriers de France et d'Europe (depuis au moins 1914), aux bidonvilles et quartiers les plus défavorisés des grandes villes françaises, objet de discriminations et de rejet...
Comble du paradoxe, boucs émissaires, accusés de tous les maux de la société, ces même immigrés se trouvent aujourd'hui, dans la perspective de l'élection présidentielle de 2007, au centre d'un enjeu politique majeur. La France compte, en effet, plus de 2 millions d'immigrés (sur 5) qui disposent d'un droit de vote incontestable. Et c'est ce fabuleux réservoir de voix qui attise toutes les convoitises et suscite cette compétition effrénée que mènent la gauche et la droite pour le contrôle de ce "grand marché" de voix beurs.
Mais, le plus surprenant de tout, c'est de voir cette course aux « voix beurs » se prolonger jusqu'au sein même de nos institutions cultuelles. Le CFCM censé s'occuper d'abord des affaires de l'Islam et des musulmans en toute indépendance, n'a pas échappé à la tentation. Empêtré dans ses conflits internes à répétition, et ses problèmes « métaphysiques », ce Conseil Français du Culte Musulman s'est illustré (le 17 septembre), une fois de plus, non pas par des propositions concrètes et pertinentes concernant des questions liées à l'exercice du culte musulman, mais par des divisions et de l'anathème.
Cette phrase émouvante et explicite que j'ai relevée lors de ma visite aux différents lieux de mémoire de la bataille de la Somme qui dit : "Nous n'oublierons jamais", me revient ici à l'esprit et m'interpelle.
Cette élection de 2007 n'est-elle pas l'occasion pour ces milliers d'immigrés de raviver leurs souvenirs, de souder leurs rangs et de rappeler aux principaux candidats déclarés ou potentiels, à la fois l'apport et le sacrifice des ces milliers de combattants africains et maghrébins morts pour que la France vive dans la liberté et l'honneur et l'apport économique et culturel des 5 millions d'immigrés qui vivent, cotisent et participent à la prospérité de ce même pays ?
Cette élection n'est-elle pas le moment le plus propice pour les jeunes générations d'immigrés d'interroger les politiques de touts bords sur leurs programmes et leur rappeler leurs promesses (non tenues) ?
* Qu'en est-il de ces promesses faites par la droite, à l'occasion des élections de 2004, de "mettre en avant de nouveaux talents représentatifs de la diversité de la société française" (André Santini, député UDF) ?
* Qu'en est–il de ce message d'un ancien premier ministre (d'Alain Juppé) affirmant que son parti (l'UMP) serait à leurs (immigrés) côtés "dans ce combat dont l'enjeu n'est rien de moins que la cohésion sociale et l'unité nationale" ?
* Qu'en est –il des promesses des partis de gauche de donner un contenu et une réalité à « l'égalité des chances », à « l'égalité des droits », à « l'égalité républicaine », et de rendre effective la représentation politique « des minorités visibles » ?
* Qu'en est-il des promesses faites aux immigrés à la veille et au lendemain de la victoire du président de la République en avril 2002 ?
Toutes ces interrogations sont légitimes et méritent d'être posées avec vigueur. Mais la question qui me semble en ces temps électoraux pertinente est la suivante : comment faire bon usage de cette réserve de voix (+ de 2 millions et 1⁄2) que représentent aujourd'hui en France les citoyens français issus de l'immigration ?
Certes, ces jeunes beurs qui se bousculent aux portes des grands partis politiques (UMP et PS en particulier) se sentent sans doute « investis » d'un devoir, voire d'une mission de « francs-tireurs » pour lever tous ces tabous qui entravent la promotion et la participation des jeunes français issus de l'immigration aux processus politiques et électoraux. Bien entendu, le droit d'appartenance partisane et la liberté d'expression sont des droits constitutionnels fondamentaux et légitimes.
Mais, ces « beurs de service », censés drainer de nouveaux adhérents et des votants vers les partis qui ont dédaigné leur ouvrir quelques portes et leur offrir quelques postes d'adjoints, ont-ils conscience de leur véritable force et de la portée de leur engagement ?
Jusqu'à quand ces mêmes immigrés, plus souvent à la recherche de prestige et de visibilité personnelle, resteront-ils les « beurs de service » et les « roues de secours » des carrosses de partis politiques, de gauche ou de droite, peu enclins à respecter leurs engagements et rendre effectifs ces égalités qu'ils ne cessent de proclamer au profit des immigrés ?
Autrement dit, le moment n'est-il pas venu de rappeler aux candidats et à leurs partis (élection législative de 2008 oblige) à la fois ce double et inestimable apport des immigrés à la France : celui des tirailleurs africains et des OS des usines automobiles et des mines du Nord et celui de ces immigrés dont une majorité sont nés sur ce sol que ces mêmes tirailleurs ont abreuvé de leurs sang dès juillet 1918 durant la bataille de la Somme, ou le même été 1918 à Château-Thierry, dans le bois de Courtons (10ème D.I. Coloniale), sur la montagne de Reims (1er Corps d'Armée Coloniale) et pendant l'offensive Mangin (R.I.C.M.) .
Souvenons-nous, ces tirailleurs africains ont laissé sur ces champs de bataille plus de 100.000 morts au combat ou par maladie (36.000 Nord-africains et 30.000 Africains noirs).


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